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Caïd Essebsi – Essid ou l’in-communication de crise

Habib-Essid-et-Beji-Caid-Essebsi

Face à l’attaque terroriste de Ben Guerdane, le président de la république et le chef du gouvernement ont montré l’ampleur de leur ignorance de la communication de crise.

Par Nadya B’Chir *

Lundi 7 mars 2016, nous sommes aux premières heures d’une journée qui marquait un début de semaine flageolante, au mieux ! Une opération anti-terroriste d’envergure est mise en marche dans la ville frontalière de Ben Guerdane et pour cause! Une cellule dormante affiliée à l’Etat islamique (Daech) nourrissait le fantasme d’épurer la région des mécréants et la convertir en émirat islamique. Une cellule de terroristes qui courtisait la gloire en mettant à feu et à sang une ville connue pour être le fief de la contrebande en Tunisie. Aussitôt, les médias nationaux se dépêchaient sur place, à l’affut de la moindre information rassasiante, à s’ingénier à installer des bigarrures avec la concurrence, se démarquer, se faire distinguer, et pourquoi pas dans la foulée aiguiser une étincelle de buzz?!

Pourrions-nous concevoir des reproches à l’égard des médias qui, face à des dégâts et des ampleurs impondérables, pourraient se prendre le pied en crochet, malgré leur pugnacité à ravitailler un public souvent insatiable d’informations fantaisistes évoquant le sang, le terrorisme, la mort, la terreur, et la laideur absolue?!

Alors, on s’active aux fourmilières à tendance diverse mais à fond commun : renseigner, informer et voire même servir de sources aux autorités de tutelle. S’il l’on s’attèle à analyser le traitement des événements de Ben Guerdane par les médias de la place, on livrera des critiques d’une main péremptoire. Mais haletons-nous à la porte de nos deux grands décideurs : le président de la république et le chef du gouvernement. Comment ont-ils géré la communication de crise de ce qui regarde l’opération de Ben Guerdane ? Faisons un tour.

Caïd Essebsi se hâte lentement

Béji Caïd Essebsi, président de la république de son état, s’est défait des opacités chaotiques régnant en général dans les hautes sphères, et a grondé dans un ballet de manœuvres simplistes cependant à signification dite «influente». Il s’est déplacé jusqu’à… la cellule des opérations à l’Aouina. But de la manœuvre : motiver les troupes, rabibocher le moral, imposer son autorité au regard de son équipe élargie, du public mais également de l’ennemie, rassurer son peuple de sa capacité de faire face à une quasi énième opération terroriste.

Le président de la République a garni tout cela par un mot plutôt bref, concis, sans chiqué et mièvre, néanmoins dépourvu d’émotions et de sentiments. C’était le lundi 7 mars. Depuis, notre président de la république est aux abonnés absents. Silence radio ! Que s’est-il produit depuis? Pourquoi ce silence assourdissant, bavard?

L’opération Ben Guerdane s’est pourtant poursuivie encore jusqu’à aujourd’hui, jeudi 10 mars. Aucune activité signalée sur la page officielle de la présidence comme les services de la communication nous ont habitués, aucune mesure prise et annoncée à grands fracas. Que se passe-t-il à la forteresse de la présidence de la république? Devrions-nous s’inquiéter?

Voici donc comment la présidence de la république a entendu pratiquer la communication de crise pour gérer l’opération terroriste de Ben Guerdane. La magistrature suprême n’en est pas à son coup d’essai. Et pourtant ! Nous nous retrouvons encore face à un manque criard d’anticipation, d’innovation, de diversification, d’originalité, etc. Se défaire des sentiers battus de la communication, surprendre avec des actes qui valent des millions de mots, se distinguer et se faire rassurant aux yeux du peuple et de nos forces armées. Donner un discours, qui plus est empreint de fermeté, de rigueur et de motivation pour un combat sans relâche, c’est bien. Présenter des actions, qui rassurent sur le rôle du président de la république en tant que chef suprême des armées, est encore mieux!

Hélas, encore une fois la présidence ne s’est pas inscrite dans la logique du passage à la vitesse supérieur et a préféré maintenir le levier de sa vitesse au même niveau, c’est bien plus… sûr !

Habib Essid : un air gravi d’incertitude et de chancellement

Venons-en au chef du gouvernement, Habib Essid. Ce n’est pas un scoop: M. Essid est un piètre communicant.

L’art de la communication est un véritable mystère pour lui qui n’est pas près de lui livrer ses clés. Parait-il, il refuserait de s’adonner aux jeux de la communication et d’y goûter à son plaisir et, de surcroît à ses vertus. Qu’à cela ne tienne !

Néanmoins, nous autres, peuple de ce pays, revendiquons le smig en la matière, car voyez-vous en des temps de crise, une communication singulière est requise. Or, cela vous est étranger et tout ce à quoi vous pouvez exceller est le haussement des épaules, brandir des mains aux allures tremblantes, et pousser un son aigu dissimulant à peine votre air gravi d’incertitude et de chancellement. Qu’allons-nous faire face à des discours que notre chef du gouvernement nous sert depuis plusieurs mois dans des flacons incongrus déjà que le breuvage n’étanche aucune soif?!

La communication de crise est aussi indispensable que toute autre mesure devant être décidée dans le cadre de la longue et impérieuse lutte contre le terrorisme. Pourquoi alors nos dieux gouvernants n’en prennent-ils pas conscience et arrêtent de nous infliger ce supplice qui ne fait que rajouter à notre misère morale et mentale déjà bien installée dans notre quotidien, encore et encore?!

Les héros de la dernière heure

Et puis nos leaders politiques ne sont pas en reste. Quel est le politique actif actuellement sur la place nationale et publique a-t-il effectué un semblant d’action de communication pouvant à la fois rassurer sur le devenir de l’activité politique et apporter un soutien aussi bien aux habitants de Ben Guerdane traumatisés et secoués par les événements sanglants qu’à nos forces armées ?! D’aucun ! En revanche, nos hommes politiques se font les beaux sur les plateaux télé et radio, en se pavanant avec leurs laïus vétustes comme les héros de la dernière heure et en nous gavant de post «émotif» et «reconnaissant» au regard de nos vaillants soldats et des braves habitants de la région sur les réseaux sociaux. Ils nous offrent également, des théories probablement défendables de comment sauver la Tunisie des griffes du monstre terrorisme. Il y va de même pour les ministres, membres de notre gouvernement, concernés au premier rang, mais abêtis par le silence et le laxisme en la matière.

Dans peu de jours, très peu même, les événements de Ben Guerdane ne seront plus qu’un banal sujet que l’on étale sur les tables des cafés et des restaurants pour meubler des conversations blêmes. Un retour au cours normal de la vie s’imposera et l’opinion publique retournera mâcher les problèmes du quotidien sans capituler sur la critique acerbe. Jusqu’à la nouvelle frappe de l’ennemi le plus absurde qui soit. En attendant, monsieur le président de la république, monsieur le chef du gouvernement, ayez pitié de nos âmes et de nos esprits et songez à la communication de crise ! Arrêtez l’obséquiosité fantasque et venez dans notre monde celui du troisième millénaire!

* Journaliste indépendante.

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