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Au centre d’accueil des utilisateurs des drogues injectables de Mellassine

Drogue-injectable
Pour les utilisateurs des drogues injectables, la désintoxication est un long parcours semé d’embuche et qui exige une forte détermination.

En moyenne, 30 à 60 toxicomanes fréquentent, chaque jour, le centre d’accueil des utilisateurs des drogues injectables (UDI). Ce centre, situé à Mellassine, quartier populaire à la lisière ouest Tunis, s’intègre discrètement dans les habitations avoisinantes. Son approche est axée sur la réduction des risques (RDR) liés à l’utilisation des seringues contaminées.

Bénéficiaires et non toxicomanes

Pour Moez Boulila, ergothérapeute et jeune responsable du centre, cet établissement est avant tout un lieu de convivialité qui vise à tisser des liens de confiance avec les bénéficiaires de ses services. Le choix du terme «bénéficiaires» pour les personnes qui fréquentent le centre et non «toxicomanes», s’intègre dans une approche psychosociale nécessaire au travail thérapeutique et favorise la reprise de confiance en soi, explique-t-il.

Pour aider les bénéficiaires à retrouver le goût de la vie, le centre de Mellassine leur offre plusieurs services. En y accédant, on peut surpris par le bruit d’une machine à laver installée à côté d’une salle de douche. «On offre aux patients une intimité et une hygiène souvent perdues puisque la plupart d’entre eux sont rejetés par leur famille», explique Moez Boulila, qui ouvre, au premier étage, la salle de stockage fermée à clé, et montre des maillots de foot et des jeux de société rangés à côté de seringues et de compresses stérilisées.

Le centre, on l’a compris, propose des activités sportives et socioculturelles à but thérapeutique nécessaires pour la reconstruction de l’estime de soi chez le bénéficiaire, première étape d’un long processus de désintoxication.

Usage détourné du Subutex

Les bénéficiaires dues soins sont, en majorité, des consommateurs de Subutex, traitement substitutif des pharmacodépendances majeures, très prisé par les toxicomanes qui en font, souvent, un usage détourné afin d’augmenter l’euphorie recherchée, explique le l’ergothérapeute.

A côté de la salle de stockage, un bureau où s’effectue la distribution, d’une manière anonyme, du dispositif nécessaire pour réduire les risques d’utilisation des seringues contaminées. A ce propos, M. Boulila précise : «La première fonction du centre est de distribuer le kit d’injection. Cette fonction est aussi effectuée par des éducateurs pairs (EP) qui se déplacent vers les impasses et rues fréquentées par les toxicomanes pour les sensibiliser et les informer de l’existence du centre».

Les EP sont des toxicomanes ou, plus rarement, d’anciens toxicomanes ayant reçu une formation relative à l’approche RDR e sont, ainsi, plus aptes à accéder aux sites d’injection et communiquer avec les toxicomanes, explique encore M. Boulila.

La révision de la loi 52

Walid (nom d’emprunt), éducateur pair, 36 ans, témoigne : «Je suis toxicomane depuis l’âge de 17 ans. J’ai maintes fois essayé d’arrêter mais en vain. J’ai été incarcéré au centre de détention de Bouchoucha pendant deux semaines pour détention de drogue.»

Il se rappelle les conditions de sa détention : «Les agents ne nous frappent plus pour nous tirer des aveux comme ce fut le cas avant la révolution, mais les conditions d’incarcération sont, aujourd’hui, difficiles étant donné que la prison est surpeuplée, la nourriture infecte et les conditions d’hygiène déplorables», déplore-t-il.

Evoquant la révision de la loi 52 prévoyant de lourdes sanctions pour les consommateurs de drogue, Walid espère que les procédures d’arrêt ne seraient plus arbitraires et que le dépistage de drogue se ferait dans le cadre d’une procédure pénale.

«Les habitants des quartiers populaires sont souvent harcelés en raison des descentes policières fréquentes dans les cafés», poursuit-il.

Ancien toxicomane, Salim (nom d’emprunt), la trentaine, raconte qu’il était un consommateur de Subutex durant plus de 10 ans et qu’il a arrêté depuis une année seulement, ajoutant qu’aujourd’hui il vend des vêtements dans le souk de Mellassine.

Salim espère la réouverture du centre d’écoute et de prévention de la toxicomanie de Jebel Ouest et la création d’autres centres similaires. «C’est difficile de soigner seul l’addiction. J’y suis arrivé grâce à l’aide de Dieu», avoue-t-il.

Evoquant son expérience, Salim raconte : «Le déclic s’est produit avec le déclenchement de la révolution quand le Subutex se faisait rare et se vendait à un prix faramineux. J’ai alors décidé de le faire sortir de ma tête et j’y suis, heureusement, parvenu.»

Le difficile parcours de la désintoxication

Salim se souvient toujours de son parcours d’ancien consommateur: «Dans mon quartier populaire, la drogue fait partie de notre quotidien. Devant la maison de mes parents, par exemple, se trouvait un site d’injection, situé dans une impasse, près d’un jardin d’enfant. Â l’âge de 16 ans, j’ai commencé à prendre du cannabis puis le Subutex jusqu’au jour où je suis devenu totalement dépendant. Quand j’ai arrêté, je me sentais ailleurs. Actuellement, je suis suivi par un psychiatre à l’hôpital Razi». Il sort une ordonnance de sa poche et déclare avec fierté : «Au début, je prenais 4 comprimés. Le médecin m’a prescrit deux seulement par jour et je ne prends qu’un seul». Et d’ajouter avec insistance : «Un jour, j’arrêterai totalement le traitement, je suis décidé et j’y arriverai.»

Pour la psychologue du centre, Raja Dridi, le régime carcéral n’a jamais été une solution efficace pour encourager le sevrage du toxicomane, soulignant à ce propos, que la création de centres de désintoxication (à l’instar de celui, fermé, de Jebel Ouest) reste la solution la plus efficiente pour accompagner le toxicomane dans le parcours difficile de la désintoxication et de la réinsertion sociale.

Tout en soulignant que l’acte de désintoxication doit émaner d’une volonté personnelle, Raja Dridi explique que les premiers jours du sevrage sont décisives d’où l’importance de l’internement du toxicomane dans un centre spécialisé.

Désinvestir la drogue, pour réinvestir la réalité

«L’addiction vient souvent d’une envie de fuir une réalité difficile pour investir un monde imaginaire beau et agréable», souligne la psychologue.

Au centre de désintoxication, en plus du traitement de substitution, un personnel qualifié travaillera avec les toxicomanes sur les moyens de désinvestir la drogue pour réinvestir la réalité en l’acceptant avec ses moments de frustration et de bonheur, dit-elle.
Mettant l’accent sur la fragilité de la personnalité du toxicomane et sur une possibilité de rechute, Raja Dridi attire l’attention sur la nécessité d’assister le toxicomane après son sevrage. «Après la fermeture du centre public de Jebel Ouest, le centre privé de désintoxication situé à Sfax est devenu payant, à raison de 500 dinars par mois», fait-elle savoir.

Cette somme n’est pas donnée pour une population rongée par la précarité et le chômage, déplore la psychologue, soulignant que «le centre de Sfax propose un traitement médical uniquement pendant le séjour du toxicomane qui, une fois à l’extérieur, se trouve livré à lui-même».

D’après l’agence Tap.

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