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Les deux visages de l’administration tunisienne

Palais-du-Gouvernement-Kasbah

Palais du gouvernement à la Kasbah.

L’administration tunisienne n’est pas un nid de fainéants, ou pas seulement; elle est aussi portée par de valeureux agents de l’Etat, soucieux de la continuité du service public.

Par Fethi Frini*

Chacun sait que le travail est non seulement une nécessité vitale mais aussi une source d’épanouissement. Ce serait encore un producteur de richesses et un créateur de liens. Il suffit d’entendre la souffrance de ceux qui n’en ont pas, ou qui n’en ont plus, ou bien qu’ils soient encore à la recherche d’un premier emploi pour le comprendre.

Entendons-nous déjà, ça et là, qu’il nous faudrait, sans plus tarder, réhabiliter, valoriser, promouvoir davantage le travail parce que nous en avons besoin pour faire face aux défis actuels et à venir auxquels la société est confrontée. Avec nos forces, avec nos moyens, somme toute limités, n’avons-nous pas, tout un chacun, la responsabilité de ne pas ménager les efforts pour relever de tels défis majeurs ?

Le fer de lance de l’économie

S’agissant de valoriser davantage le travail, beaucoup y verraient plus qu’un souhait, ce serait même une nécessité, c’est-à-dire, de mettre en place des stratégies, de préférence innovantes, qui fournissent les incitations nécessaires pour travailler. Autrement, de s’engager résolument à valoriser davantage le travail, à créer plus d’emplois de qualité assortis de droits, à ne pas précariser et dévaloriser nos masses laborieuses…

En vérité, et c’est tant mieux, la valeur travail n’est pas tout à fait morte. On en vit toujours et on en meurt des fois… De belle mort ! Elle aurait même de beaux jours devant elle parce que, tout autant sinon plus que le capital, le travail a toujours été le fer de lance de notre économie.

Nous ne voulions pas être politiquement incorrects, mais nous nous demandons, des fois, si nous travaillons vraiment pour l’avenir? S’il ne nous faudrait-il pas, à cet égard, prendre alors le taureau par les cornes et ne plus y aller de main morte?

Pour ce qui est de la valeur du travail, en effet, il faut dire que la culture de l’entreprise demeure faible en Tunisie au même titre, d’ailleurs, que l’esprit d’appartenance ou d’adhésion chez nos travailleurs tant dans le secteur public que dans le privé.

La faute n’est pas seulement imputable aux travailleurs, loin s’en faut. Ceux-ci, ne l’oublions pas, peuvent être assujettis à l’injustice exercée par leur patron, lésés de l’iniquité de certaines mesures, endurant la surcharge de travail, le manque de moyens, les tâches répétitives monotones, le stress intense, sinon les mutations, les changements de poste, la précarité et l’insécurité… en somme , les mauvaises conditions de travail et à bien d’autres facteurs susceptibles de remettre en cause la relation de travail , de détériorer le climat social, de décourager enfin les plus motivés d’entre eux. L’univers du travail évolue continuellement, et la vitesse de ce changement s’accentue constamment.

Un remède de cheval

Notre pays regorge certes de richesses qui ne sont pas suffisamment exploitées, de compétences avérées à mobiliser davantage, de grandes consciences à maintenir constamment éveillées mais qu’il est impératif d’initier une nouvelle approche de la valeur «travail», de procéder à un changement de comportement de la part des intervenants sur le marché du travail : en ce sens, l’ambitieux projet, largement engagé, relatif au «Dialogue national sur l’emploi» en Tunisie ne pouvant être qu’une belle opportunité ainsi offerte, à qui de droit, pour réguler, pour ajuster, pour affiner… En un mot, pour remettre les pendules à l’heure. Seulement voilà, ce que nous observons actuellement pouvait paraître inadmissible, intolérable, intenable même. Il ne nous faut plus se cacher encore la face et qu’au lieu de continuer à parer au plus pressé, prévoir plutôt un véritable remède de cheval à administrer d’urgence.

Tout effort en matière de réforme, en effet, doit tenir compte du fait que le contexte et l’univers du travail ont considérablement changé, et ce, à plusieurs égards. Rien de moins que le temps de travail des fonctionnaires tunisiens, là il apparaît selon le recoupement de nombreuses études, du reste farcies de contre-vérités, que le temps de travail d’un fonctionnaire tunisien oscillerait entre 8 et 43 minutes pour une journée de travail supposée de 8 heures et ce, pour les 105 jours de travail sur une année de 365 jours. Pour les 800.000 fonctionnaires de l’administration, parait-il, le taux d’absentéisme atteindrait les 60% contre 10% seulement dans le privé, sachant que les femmes s’absenteraient plus dans la fonction publique que les hommes, sans parler de ceux et celles, estimés à quelques 18%, qui seraient juste là pour marquer leur présence, pour le cas où ils (elles) daigneraient venir travailler, sans compter que 80% des fonctionnaires, toujours au conditionnel, seraient présents légalement, mais absents physiquement…

Face à de telles données, pour le moins anecdotiques, nous ne pouvons que paraphraser l’écrivain et journaliste français, Henri Jeanson, disons, tout comme en France, sinon pire, en Tunisie, le ridicule ne tue pas, on en vit. Et que, parait-il, une grande carrière se mesure de nos jours plus au nombre des absences qu’à celui des échecs…

On aurait dit que l’administration tunisienne n’est autre que le nid de bras cassés, un ramassis d’incompétents, une équipée de rond-de-cuir… Ce serait tout le contraire, la vie de bureau, c’est plutôt la vie de château, là où tout le monde est beau, tout le monde est gentil. Et qu’il y aurait même de l’animation, de la joie de vivre, rien que du bonheur… Que tout ou presque baigne dans une ambiance de tonnerre. Or, n’est-ce pas le rôle de l’administration, entre autre, de stimuler ses protégés et de les rendre heureux ?

On peut tout dire sur et contre la fonction publique tunisienne, à juste titre parfois, mais celle-ci n’est pas réductible à ses brebis galeuses, ses bras cassés et ses fainéants.

Le laxisme ambiant

Quoi qu’il en soit et, au-delà de la nécessité impérieuse de nouvelles mesures concourant à mettre fin à l’état de laxisme ambiant au sein des administrations, après la Révolution, l’administration tunisienne a un impératif celui d’appuyer le pays dans cette crise économique qu’il traverse, et qu’a cet effet, elle a certainement plaidé pour faire prévaloir le sens du patriotisme, de l’intérêt général et du dévouement à la cause commune, très souvent , au-delà des revendications salariales habituelles.

Pourquoi se focaliser que sur la partie pourrie de l’administration, sa face hideuse, son image haïssable, au mépris de l’autre partie, saine, compétente, professionnelle, dont on reconnait le sens de l’Etat, du sacrifice, ou de l’abnégation demeurant représentative en effet des plus hautes valeurs morales. Si le ver est dans le fruit, nous en convenons, le bon sens nous commande alors d’éradiquer le ver et non de jeter le fruit.

N’en déplaise à ses nombreux détracteurs, c’est cette même administration, systématiquement décriée et encore vouée aux gémonies, qui a continué de préserver l’Etat et d’assurer les services publics pendant et après la révolution, alors que le pays était enlisé dans le chaos. L’administration était restée debout quand tout s’écroulait. Parce que se voulant Indépendante, apolitique, capable, ce serait même ancré dans ses traditions de diffuser dans le pays les valeurs authentiques, les meilleures pratiques parce que précisément elle demeure représentative des plus hautes valeurs morales.

Une chasse gardée

Nous avons l’obligation de reconnaître les sacrifices auxquels consentent nos valeureux agents de l’Etat, en véritables militants des droits des citoyens, dans l’exercice de leurs fonctions et nous ne pouvons ici que leur rendre un vibrant hommage. Et ce n’est pas peu faire ! De bien meilleures conditions de travail et un environnement plus sain ne peuvent se concrétiser également sans le soutien de militants syndicaux, que nous voudrions de vrais et loyaux serviteurs de la grande masse laborieuse.

Ah, ces syndicalistes ! Nous avons failli les oublier, ceux-là. Ce serait impardonnable ! Ils nous en voudront toute leur vie. D’aucuns diront justement qu’ils ne voudront pas nous écouter, qu’ils ne voudront même pas travailler avec nous, lorsque nous voudrons les aider et qu’ils ne voudront pas non plus que l’on y pense ou qu’on y participe. Parce que l’univers du travail, voyez-vous, cela devrait rester leur chasse gardée. Mais là, c’est une autre paire de manche.

* Juriste.

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