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La machine Tunisie est grippée, le pire est à venir…

Manif-Gaz-lacrymogene

Sans sursaut patriotique salvateur de toutes les forces vives de la nation, la Tunisie ne sortira pas de l’état de langueur qui la ronge et la dévore.

Par Mohamed Rebai *

A peine Ben Ali déboulonné de gré ou de force, personne ne le sait jusqu’à présent, d’autres tyrans aux casquettes de marbre se sont levés mais cette fois d’entre nous-mêmes. Résultat: le terrorisme, la corruption, la fraude fiscale et la contrebande prolifèrent, sans compter l’érosion rapide du pouvoir d’achat des Tunisiens. Bref, tous les indicateurs sont au rouge. Pourquoi? Parce que les «outsiders» qui nous gouvernent sont venus au pouvoir au terme d’une série de compromis et de compromissions. Ils ont été silencieux sur tant de sujets déterminants.

C’était un beau pays et une oasis de tranquillité

Sous Bourguiba et même sous Ben Ali, on croyait que la Tunisie était sortie définitivement de l’ornière du sous-développement. On était fier de notre pays partout où on allait. On a même été classé, un moment, parmi les pays émergents de la planète au même titre que la Corée du Sud, le Brésil et l’Argentine. Bourguiba traitait d’égal-à-égal, ou presque, avec les grands de ce monde. On jouissait d’une réputation de bons élèves dans le concert des nations. C’était un beau pays et une oasis de tranquillité.

Et puis un mauvais jour, on découvre qu’on a baigné durant de longues années dans l’illusion la plus totale. Dès les premières escarmouches sociales, qui trouvent leur origine dans le chômage et la misère, on voit venir des prédateurs de tout acabit qui s’agglutinent autour d’une galaxie de partis politiques sans assise populaire. Des vrai-faux blessés de la révolution aux décideurs mous voire apathiques et incapables de changer quoi que ce soit, en passant par les syndicalistes de gauche – très gauches – qui forment désormais une caste intouchable et font peur à la fois au gouvernement et aux investisseurs, le pays est à vau l’eau.

Cinq ans n’ont pas suffit pour finir le hold-up du siècle sur les institutions de l’Etat. On s’est tout partagé, du simple poste de gardien (hajeb) à celui de ministre. Au lieu de se concentrer sur le possible et le souhaitable, certains dirigeants politiques déboussolés, à peine sortis de l’ombre, continuent à s’entre-déchirer sous nos yeux pour un strapontin au gouvernement.

D’autres, qui n’ont jamais travaillé ou écrit un rapport gigogne, visent plus haut : la présidence de la république. Ils n’ont jamais compris que l’optimisme des Tunisiens décline après chacune de leurs apparitions télévisées. Je m’excuse de parler de moi-même, mais, à l’image de la majorité de mes compatriotes, je suis sonné et fatigué. Je vis présentement dans mon propre pays un choc entre deux civilisations : celle d’avant et d’après le regretté «printemps arabe».

Montée de la brutalité verbale et physique

La Tunisie est le seul pays au monde où on peut assister, à tout moment et dans toutes les régions, à des scènes grandeur nature de protestation musclée demandant l’accès au développement alors que le chemin le plus court pour y parvenir est celui du travail et rien d’autre. Ce n’est pas sorcier, ce qui nous sépare des autres c’est le travail bien fait, et c’est tout.

La Tunisie est le seul pays au monde où les règles les plus élémentaires de gestion et de bonne gouvernance sont bafouées à travers le recrutement massif d’une pléthore de personnel qui ne fait rien et qui grève lourdement les budgets des pouvoirs publics et des entreprises. Une véritable armée mexicaine. Avec une pression syndicale sans précédent, le pays risque de se vider, sans regret et sans remord, et plus vite qu’on le croit, de ses entreprises locales et étrangères pourvoyeuses en main d’œuvre, qualifiée ou non.

Dès qu’un conflit est attisé, après maintes échauffourées, un autre se déclenche ou est ravivé quelque part. On en vient aux mains, on frappe d’abord et on discute après. Ainsi, nous assistons à une montée en puissance de la culture de la brutalité verbale et physique. On nous cache toujours les fauteurs de troubles, les véritables caïds qui les forment, les soutiennent et les financent. On joue au chat et à la souris. Tout le monde a des suspicions mais la vérité est toujours tue. On nous impose une sorte de terrorisme du silence assortie d’une désinformation savamment entretenues par des médias complices cherchant l’audimat à tout prix. La peur et le stress arrangent bien les pouvoirs publics.

Finalement, on la désagréable impression de dégringoler chaque jour un peu plus, sans possibilité de revenir à la case zéro. On devient phobique des politiques et des syndicalistes, qui s’arrogent le droit de parler tout seuls et de faire taire tout le monde. On pense avec un pincement au cœur à toutes ces années perdues pour le développement. On ne voit pas d’issue ni avec la droite islamiste ni avec la gauche de tous bords ni avec les centristes, qui laissent des plumes dans la tourmente actuelle.

Demain avec l’éparpillement des «Nidaistes» et l’indifférence des «Destouriens», des affrontements inévitables opposeront les islamistes à la gauche radicale. Tous les deux travaillent, actuellement, à l’insu de leur propre gré, pour la même cause et il semble qu’ils ont bien réussi leur coup. Bientôt, le gouvernement en place jettera l’éponge. Espérons que ces prédictions seront démenties.

Le couteau sous la gorge

Des fois, on regrette d’être né arabe mais on n’a jamais regretté d’être Tunisien et musulman. C’est le coup de gueule du jour.

On est tellement exaspéré et révolté par ce qui se passe en Tunisie et ailleurs. On réagit comme tout le monde avec un sentiment de douleur morale. On vit une réalité hasardeuse et changeante, tout comme les opinions que nous en avons. Pour beaucoup de Tunisiens, tout était toujours mieux avant. Ils vont nous prendre pour des vieux cons mais nous avons un peu de bouteille.

Sachez, toutefois, qu’on ne va pas nous laisser tranquille pour un bon moment ni de l’intérieur ni de l’extérieur. Nous sommes vraiment dans l’impasse. Nous avons le couteau sous la gorge. Nous avons besoin d’un véritable chef de guerre et non de quelqu’un qui continue de soigner son image et de se surveiller comme le lait sur le feu. Pas un mot de trop, pas une parole qui fâche au point de passer pour un faible.

Sans sursaut patriotique salvateur de toutes les forces vives de la nation pour chasser les vautours qui se bousculent autour du zèbre blessé, on ne sortira pas de cet état de langueur qui nous ronge et nous dévore. La machine est grippée, le pire est à venir.

* Economiste.

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