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Cheikh Salah Abdullah Kamel: Le bâtisseur de l’avenir… du jihadisme

Caid-Essebsi-Salah-Kamel

Cheikh Salah Abdullah Kamel, souvent reçu en grande pompe en Tunisie, n’est pas un «banal» investisseur. Il est l’un des bailleurs de fonds du salafisme jihadisme. Cherchez l’erreur… 

Par Yassine Essid

La réapparition dans le paysage financier de l’insatiable Salah Abdullah Kamel, qui traîne derrière lui une réputation sulfureuse concernant les rapports qu’il n’avait cessé d’entretenir avec le salafisme jihadiste, n’est pas une bonne nouvelle pour la Tunisie quel qu’en soit l’appétit vif et très pressent ressenti par une nation en mal de bailleurs de fonds et d’investissements étrangers.

Des cadavres dans le placard

Toujours ravi de l’accueil chaleureux et au plus haut niveau qui lui est réservé sous tous les régimes, toujours à l’aise avec les dirigeants du pays, il a appris à évoluer en terrain de connaissance; se considérant même en pays conquis.

La visite de ce banquier doublé d’un entrepreneur en activité de bâtiment et travaux publics à l’international, est à l’image même de ce que prône un gouvernement qui ne cesse d’implorer l’aide internationale: que «les affaires sont les affaires», que «les affaires ne s’intéressent pas aux hommes d’affaires» qui, de leur côté, s’adaptent admirablement aux situations nouvelles au gré des changements des régimes politiques et des nouveaux maîtres de l’État.

Tout cela est banal, excepté que dans le cas de Saleh Abdullah Kamel il n’y a pas que l’argent. Il y a bien d’autres cadavres dans le placard.

Le multimilliardaire saoudien n’est pas que le protégé du richissime Etat saoudien. Il est fondateur d’Al Baraka Group (DBG), grand actionnaire de Bank Al-Chamal au Soudan (dont le co-fondateur n’était autre que Ousama Ben Laden), président du Conseil général des banques islamiques, surnommé le «Père de la finance islamique contemporaine» et récipiendaire en 2010 du prix royal de la Malaisie pour la finance islamique. Il est aussi propriétaire de Durrat Al-Arûs, un complexe hôtelier en Arabie Saoudite, de chaînes de télévision cryptées et de l’ancien bouquet ART cédé à Al-Jazira en 2009. En outre, il s’occupe, en Arabie Saoudite, en plus des entreprises de voirie, d’auto-écoles, d’usines de désalinisation de l’eau, de constructions routières, de l’entretien des lieux saints pour le pèlerinage à la Mecque.

Pour finir, le même Salah Abdullah Kamel fut le premier à lancer en 1998 la tristement célèbre chaîne satellitaire islamique : Iqra’ qui avait largement contribué à l’endoctrinement massif d’un docile et naïf public et le transformer en fervent adepte du projet salafiste.

Ce fut une emprise inédite sur les esprits de pauvres gens à qui on inculquait sans répit que l’islam est une religion mondiale et universelle révélée pour l’humanité dans son ensemble. La conviction de l’accès au paradis passera alors inexorablement par la mort donnée aux impies. Mais l’un de ses meilleurs scores d’audience, la chaîne Iqra’ le doit aux violences et aux affrontements survenus à Ghardaïa dans le M’zab algérien auxquels elle avait largement contribués suite à la diffusion d’une fatwa du mufti salafiste algérien, Mohamed Hamen, appelant au meurtre des Ibadites, une minorité algérienne qui habite la vallée du M’zab, à 600 Km au sud de la capitale Alger.

Malgré sa nébuleuse d’entreprises, ses réseaux d’affaires et ses liens politico-religieux plus que douteux, Saleh Abdullah Kamel n’oublie jamais d’emporter dans ses bagages la stratégie idéologique pragmatique déjà bien érodée et enrobée, comme de coutume, dans les «projets communs», les «actions caritatives» aux fins de l’implantation du credo salafiste dans les pays jugés par l’Etat saoudien insuffisamment islamisés et dont la foi gagnerait à être valorisée.

Aussi, on ne peut pas juger sa fortune, plus particulièrement ses opérations d’investissements, sans soulever une complexité de questions. Si ses intérêts en Tunisie sont dérisoires et ne reposent pas uniquement sur la recherche du profit du capital, de création d’emplois, de constructions de cités, de réaménagement de terrains, c’est qu’elles devraient aller bien au-delà et servir d’autres objectifs.

Les riches investisseurs des monarchies pétrolières du Golfe, dans leur stratégie commerciale internationale, se sont toujours montrés méfiants par rapport aux marchés sous-développés. Ils préfèrent investir en Occident, y acquérir des parts dans des entreprises prospères, y compris par l’achat de grandes équipes de football européennes. Plutôt que traiter avec des pays musulmans, ils préfèrent de loin faire des affaires en Europe et aux Etats-Unis en raison de leur appréciation de l’organisation et de la régulation de l’éthique de travail des hommes d’affaires occidentaux dont ils apprécient fortement la professionnalisation, la spécialisation, la discipline et les mécanismes de contrôle performants.

La perception des rendements sur investissement des riches musulmans n’est donc point d’ordre confessionnel et la piété musulmane ne leur apparaît pas comme un indicateur suffisant du bon entrepreneur. Certains estiment même que les non-musulmans contribuent mieux à la réussite professionnelle et économique. On ne s’étonnera pas par conséquent de relever que leur intérêt économique et commercial soit construit comme un type de rapport social en dehors de l’appartenance religieuse.

Aussi, plus leur intégration dans le marché mondial est poussée, plus les principes religieux sont restreints.

Alors pourquoi ce souci persistant pour de si petits pays, à la limite insignifiants par rapport aux nombreux potentiels financiers de ces richissimes arabes?

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Le cheikh Salah Kamel reçu le 12 avril 2016 par le chef du gouvernement Habib Essid.

Le bailleur de fonds du jihadisme planétaire

Cette interrogation serait largement dissipée une fois mentionnée l’autre personnalité du bienfaiteur saoudien. On découvre ainsi qu’il est beaucoup moins imbu de sentiments altruistes qu’on l’imagine et bien moins préoccupée de l’intérêt d’autrui. Il ne faut pas effet perdre de vue que le féroce philanthrope est l’un des plus fortunés représentants de la monarchie saoudienne, grande alliée des États-Unis au Moyen-Orient et immense bailleuse de fonds du jihadisme planétaire.

Le nom de Saleh Abdullah Kamel a même figuré dans la trop fameuse liste de la chaîne d’or ou «Golden Chain List» dans laquelle étaient mentionnés les 17 comptes suspects établie au lendemain de l’attentat du 11 septembre 2001. Jamal Al Fadl, un déserteur d’Al-Qaïda en avait authentifié les sponsors de son organisation en pointant du doigt deux holdings financiers saoudiens, via Saleh Al-Rajihi, à l’époque directeur adjoint du holding Al-Rajihi, et d’une firme, la SAAR, fondée cette fois par son frère, le banquier Suleimane Abdel Aziz Al-Rajihi. Le FBI a confirmé la véracité de la liste «Golden Chain» ainsi que l’implication de Saleh Abdullah Kamel et son groupe.

L’homme d’affaires saoudien avait à l’époque fortement nié avoir contribué au financement des attentats, arguant que son nom ne fut mentionné que parce qu’il avait soutenu les rebelles afghans. De même qu’il reprocha aux autorités américaines d’avoir mis un frein à l’activité des associations caritatives saoudiennes, comparant de tels procédés à une «chasse aux sorcières». Il avait en enfin rejeté tout lien entre les banques islamiques et le financement des groupes jihadistes estimant l’accusation sans fondement car ses banques, dit-il, opèrent toujours en conformité aux lois en vigueur des banques centrales. Mais, suite aux pressions exercées par le gouvernement américain, le procès destiné à mettre au jour les liens de la famille royale saoudienne avec les attentats du 11-Septembre, notamment la succursale de Djeddah de Dallah Al-Baraka, fut annulé.

Plus récemment, et selon les conclusions d’un rapport d’enquête du Parlement européen publié en 2013, l’Arabie saoudite a investi plus de 10 milliards de dollars pour contribuer à la propagation de la virulente souche salafo-wahhabite du fondamentalisme islamique via des organisations caritatives. Entre 15 et 20% de cet argent a été détourné au profit d’Al-Qaïda et d’autres groupes du même acabit.

Le lien idéologique entre les groupes financiers islamiques, notamment saoudiens, et la diffusion du salafisme relève, plus que jamais du secret de polichinelle. On mesure les effets de la doctrine  salafiste combinés au capital dans le comportement régalien de Salah Abdullah Kamel, fondateur de la banque et de la société al Baraka immobilière qui avait fait du bannissement de la consommation de produits alcoolisés l’exigence fondamentale pour financer la construction d’un quartier moderne sur les Berges du Lac, passant outre les « compétences » régaliennes des autorités de l’Etat. Espérons, toutefois, que pour ses futures projets immobiliers en Tunisie, Salah Abdullah Kamel n’imposera pas des clauses supplémentaires encore plus rigoristes afin d’asseoir davantage le modèle salafiste. Outre la construction de mosquées, il pourrait interdire de serrer la main des femmes, leur imposer l’obligation porter le voile jusqu’au-dessous du menton et rendre passible de châtiment tout manquement à l’obligation de la  prière. En somme reproduire une mini-Djeddah aux faubourgs de Tunis.

En accueillant à bras ouvert et dans l’indifférence générale ce fils prodige de l’Etat Islamique, le gouvernement tunisien et tous les laquais qui sont à son service avaient fait leur choix. Plutôt que lutter contre «l’ennemi invisible» en le coupant de ses sources de financement, gardons  la porte grande ouverte à tous les donateurs et investisseurs désireux de réaliser des projets juteux peu importe leur origine, leur passé et leurs doctrines. Les misères du moment nous emportent dans leur permanente surenchère, mais la misère de l’esprit n’est-elle pas la pire des misères ?

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