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Panama Papers : Le paradis fiscal est à Tunis

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Pourquoi chercher les paradis fiscaux au Panama, aux Îles Vierges ou aux Îles Caïmans, quand la Tunisie est le pays le plus fiscalement privilégié?

Par Yassine Essid

Vingt-deux représentants de la nation se pressent au portail pour participer à la Commission d’enquête sur la liste des noms tunisiens cités dans les Panama Papers. Une affaire qui a réussi à bousculer la galaxie parlementaire de sa torpeur désormais légendaire ainsi que sa choquante paresse et le frauduleux absentéisme de ses représentants.

Les 22 individus se portant volontaires pour enquêter sur les 11,5 millions de fichiers provenant des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca espèrent débusquer derrière les clients anonymes celles et ceux qui font office de prête-noms pour dissimuler les véritables fraudeurs, les évadés fiscaux et les bénéficiaires de comptes ou sociétés établis offshore afin, éventuellement, de les traduire en justice.

On ne prête qu’aux riches

J’ignorais sincèrement qu’on disposait à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) d’autant d’experts en fraude fiscale et en montages financiers dans les paradis fiscaux qui, rien que de nom, suggèrent les paysages somptueux du Panama, l’exotisme enchanteur des îles Vierges, les eaux calmes et turquoise des Îles Caïmans.

La seule explication est que la majorité des députés doivent volontiers associer ces contrées à des lieux de jouissance paisible des biens, de plaisir, d’agrément, de vie facile et oisive où dominent la joie, l’abondance, la prospérité, la magnificence dont profitent illégalement une poignée de traîtres à la nation. Tout le contraire de leur misérable vie de salariés de l’Etat, d’humbles serviteurs du peuple dont certains avaient sciemment délaissé leurs profitables carrières pour se consacrer pleinement à leur mandat.

Ces îles exotiques, caressées par le soleil, où se côtoient milliardaires, mafiosis et dictateurs corrompus, seraient donc suffisamment attrayantes pour tenter certains Tunisiens à expatrier leurs avoirs, en faire des transfuges, des scélérats en diable prêts à tout pour échapper aux obligations réglementaires de leurs pays, réaliser ailleurs de juteuses transactions commerciales, ou simplement cacher leurs fortunes alors même que l’état du pays est on ne peut plus pitoyable. Le peuple est aux abois et la misère est si grande que pour éviter de payer l’impôt ils se sont retirés dans les paradis fiscaux pour cacher leur fortune !

Certains députés, par conscience du devoir ou partisans de l’application de la loi dans toute sa rigueur, sont allés jusqu’à proposer qu’au besoin ils pourraient se déplacer sur le terrain. Un tel voyage ne pourrait pas être autre chose qu’une joyeuse croisière car, une fois sur place, ils ne verront qu’un bâtiment d’une extrême banalité qui abrite des milliers de boîtes postales !

Le paradis des islamistes 

Parce qu’on ne prête qu’aux riches, la responsabilité et le courage politique consistent pour certains de désigner du doigt un premier responsable. Jalousies, vengeance, intrigues et cabales de toute espèce s’étaient organisées pour faire, à tort ou à raison, du fondateur du parti Machrou Tounes (Projet Tunisie), Mohsen Marzouk, l’un des heureux bénéficiaires de ces sociétés offshore basées au Panama et donc coupable de fraude. Accusations calomnieuses et démentis outrés s’ensuivirent de part et d’autre. Les secrets révélés dans ces cas-là sont comme une marchandise dont la cote monte ou baisse selon les fluctuations de l’offre et de la demande.

Comme de coutume, les islamistes, qui sont tous greffés sur un même tronc et prétendent que la foi protège de tout soupçon de malversation, avaient immédiatement senti l’aubaine. Ils saluèrent le travail magistral des «lanceurs d’alerte», complimentèrent les médias pour le professionnalisme dont ils avaient fait preuve, dénoncèrent les mœurs délétères de leurs adversaires, leur malhonnêteté et leur détentions de comptes secrets qui dissimulent les actifs destinés à alimenter leurs partis politiques, comme c’est supposé être le cas de l’intransigeant adversaire, M. Marzouk, aussitôt placé dans leur collimateur.

Les choses ont changé une fois révélée l’implication dans le même scandale de plusieurs dirigeants d’Ennahdha. Les voilà à leur tour les mains dans ce cambouis offshore. Outrés, ils poussèrent des cris d’orfraie, dénoncèrent et démentirent l’information comme étant de sordides et malveillantes accusations. Mais point d’aveu public ni explication. On laisse aller, on laisse dire et on évite toute escalade car ils savent pertinemment que ce peuple n’a pas de mémoire. Dans les pays dits en développement, une longue histoire de dictature et de corruption avait terni la sensibilité du public au scandale, et les gouvernements répressifs avaient laissé peu de place pour le mea culpa.

L’exil doré des islamistes

Sous les régimes dictatoriaux, les islamistes vivaient en clandestinité. En vérité bien lucrative. Ils disposaient de structures de résistance, de moyens financiers importants, de donations fabuleuses, s’engageant dans des opérations spéculatives bien au-delà du militantisme combatif et que n’accompagnaient aucune interrogation sociale encore moins théologique. Cela entraîne évidemment une certaine familiarité entre la nébuleuse des Frères musulmans en exil et les paradis fiscaux grâce à leur total anonymat. Partout, les islamistes tenaient, pour ainsi dire, d’une main le Coran tout en menant de l’autre d’inoffensifs commerces censés les faire vivre.

D’ailleurs ce penchant viscéral au profit a survécu et trouva un juteux exutoire pendant les trois années de pouvoir islamiste en Tunisie où tous se sont superbement enrichis.

Le monde occulte des sociétés offshore a été utilisé non pas uniquement pour éviter l’impôt sur les fortunes mais permettait à certaines organisations, y compris celles qui financent l’islamisme, de prospérer. Les fuites prochaines mettront peut-être en évidence le grand abîme entre l’intégrité et la justice des dirigeants musulmans.

Un grand nombre de Frère musulmans ont été eux-mêmes des contrevenants notoires en matière de spéculation et de thésaurisation d’énormes sommes d’argent dans les paradis fiscaux. Pour exemple, le cas du célèbre théologien Qaradhaoui. Un ancien conseiller et actionnaire de certaines banques islamiques telle Al-Taqwâ Bank, domiciliée aux Bahamas, fondée par des membres prééminents des Frères musulmans et dont la retentissante faillite – ou escroquerie – a été qualifiée par Youssef Qaradhâouî dans une fatwa célèbre, comme n’étant ni plus ni moins que l’échec d’une opération de murâbaha sujette aux aléas des pertes et des profits («innahâ kânat murâbaha qâbila lil ribhi wa l-khasâra»). Pourtant, un attribut bien spécifié des préceptes coraniques, devenu chez les intégristes un stérile aphorisme, condamne à la fois la spéculation et la thésaurisation de la richesse et sa circulation entre quelques mains.

Rappelons aux vénérables islamistes, toujours prompts à se référer au Livre pour justifier leurs turpitudes, les versets suivant :

* «Le butin provenant [des biens] des habitants des cités, qu’Allah a accordé sans combat à Son Messager, appartient à Allah, au Messager, aux proches parents, aux orphelins, aux pauvres et au voyageur en détresse, afin que cela ne circule pas parmi les seuls riches d’entre vous. Prenez ce que le Messager vous donne; et ce qu’il vous interdit, abstenez-vous en; et craignez Allah car Allah est dur en punition». (Coran : 59.7).

* «A ceux qui thésaurisent l’or et l’argent et ne les dépensent pas dans le sentier d’Allah, annonce un châtiment douloureux. Le jour où (ces trésors) seront portés à l’incandescence dans le feu de l’Enfer et qu’ils en seront cautérisés, front, flancs et dos : voici ce que vous avez thésaurisé pour vous-mêmes. Goûtez de ce que vous thésaurisiez». (Coran: 9. 34-35).

Cela étant dit, et pour revenir aux membres de la Commission d’enquête de l’ARP à l’imagination intrépide et qui possèdent le talent de s’offusquer rapidement et bruyamment au nom de la moralité publique, qu’ils feraient mieux d’oublier le monde de l’offshore et se mettre en peine pour trouver une solution à la fraude et à l’évasion devenue aujourd’hui organisée: les contrebandiers sont de plus en plus audacieux, les autorités dépassées, les douaniers soudoyés, les nombreux dispositifs d’exonération d’impôts sur les bénéfices des entreprises s’amplifient, les stands de ventes des fruits et légumes poussent comme des champignons en bord de route, la vente de contrefaçon en toute impunité et de milliers d’autres entorses au principe de la législation en matière d’impôt sont devenus notre quotidien. Tout cela ne fait-il pas de la Tunisie sinon un paradis fiscal du moins le plus fiscalement privilégié?

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