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L’UGTT, un bateau ivre ?

UGTT

L’UGTT s’est-elle transformée en un nouveau centre du pouvoir et vient-elle, désormais, concurrencer ceux de Carthage, La Kasbah et Le Bardo?

Par Mohamed Ridha Bouguerra *

Tous ceux et celles de ma génération qui ont toujours eu, selon la formule consacrée, le cœur à gauche, et dont les convictions politiques les ont constamment rangés du côté de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et de ses combats depuis le jeudi noir du 26 janvier 1978, se débattent, ces jours-ci, dans un grand malaise et subissent embarras et déchirement suite aux récentes déclarations des principaux dirigeants de la centrale syndicale allant toutes dans le sens d’une condamnation sans nuance de toute critique des propos indignes et scandaleux proférés à l’encontre du ministre de la Santé, Saïd Aïdi.

Car comment concilier entre l’indéfectible fidélité à l’organisation de feu Farhat Hached et la nécessaire défense et préservation de certaines valeurs morales intangibles?

La fuite en avant

Mais sommes-nous condamnés, par fidélité à l’organisation de feu Farhat Hached, à nous taire quand, dans un débat public, l’on arrive à l’insulte gratuite visant la mère de l’autre partie, comme l’a fait M. Jellouli, du syndicat de la santé?
Condamnés à nous taire quand Lassaâd Yacoubi, du syndicat de l’enseignement secondaire, ose mettre en cause le patriotisme du ministre, le traiter de «résident général», en référence à l’époque coloniale, et lui ordonner de «retourner en France»?

Condamnés à nous taire quand des cadres syndicaux défient et insultent un ministre du gouvernement, barrent l’accès d’une institution étatique à une commission d’enquête et empêchent, pendant des mois, un directeur nommé par l’autorité de tutelle de rejoindre son bureau?

Condamnés à nous taire quand, dans l’entourage de Houcine Abassi, le secrétaire général de l’UGTT, aucune voix autorisée ne s’est élevée pour dénoncer et condamner sans ambiguïté les propos blessants, offensants et insultants qui ont touché M. Aïdi dans son honneur ?

Condamnés à nous taire quand un secrétaire-général adjoint de l’UGTT, au lieu de rappeler ses camarades à la raison, proclame, au contraire, que la centrale syndicale n’a de leçon à recevoir de personne et qu’elle est au-dessus des critiques émanant de ceux qu’il ne craint pas de considérer comme des traîtres à la cause ouvrière au service d’obscurs agendas?

Egoïsmes corporatistes et intérêt général

L’UGTT est-elle devenue un bateau ivre dont le capitaine et tous les officiers de bord sont enivrés par le Nobel de la Paix au point de les porter à conjuguer syndicalisme avec anarchie rampante?

Les égoïsmes corporatistes sont-ils en train de l’emporter sur l’intérêt général?

A qui profite cette tendance déclarée de certains syndicalistes à se substituer aux autorités en place?

Vers quelle situation catastrophique va nous conduire cet affaiblissement progressif et continu de l’État?

Les syndiqués croient-ils vraiment qu’ils seront seuls capables de tirer leur épingle du jeu le jour où l’État se retrouvera complètement à terre?

La place Mohamed Ali s’est-elle transformée en un nouveau centre du pouvoir et vient-elle, désormais, concurrencer ceux de Carthage, La Kasbah et Le Bardo?

Avoir milité pour l’instauration de la dictature du prolétariat ne signifie pas forcément que l’on prône la gabegie et l’anarchie auxquelles ne manque pas de nous conduire la surenchère de certains au sein de la centrale ouvrière. Ces dérapages, nombreux et de plus en plus fréquents, ne s’expliquent, sans les justifier évidemment, que par la course aux postes de direction à l’approche du futur renouvellement des cadres syndicaux!

Rappeler les amis à l’ordre

Prendre le risque, avec et après bien d’autres, de se poser aujourd’hui ces questions embarrassantes, est-ce dire que l’on soit devenu un renégat qui a trahi les idéaux de sa jeunesse? Est-ce dire que l’on cherche délibérément à porter atteinte à la centrale syndicale et aux intérêts de la classe ouvrière?

N’est-ce pas faire, plutôt, preuve de sincérité envers ses amis que de les rappeler à l’ordre quand ils sont dans l’erreur ? Bossuet dit dans ce sens : «Parlez à votre ami en ami, jetez lui quelquefois au front des vérités toutes sèches qui le fassent rentrer en lui-même; ne craignez pas de lui faire honte, afin qu’il se sente pressé de se corriger et que, confondu par vos reproches, il se rende enfin digne de louanges.»

Est-ce, enfin, trahir la classe ouvrière que d’avoir la faiblesse de proclamer que l’on se soucie ici davantage de l’intérêt supérieur de la Tunisie que du plan de carrière de certains cadres de l’UGTT ?

* Universitaire.

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