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Ennahdha et son 10e congrès : Vraie mutation ou faux tournant?

Ennahdha-Ghannouchi-Ben-Arous

Le 10e congrès du parti Ennahdha pourrait marquer la rupture idéologique des islamistes tunisiens avec le mouvement mondial des Frères musulmans. Mais le doute demeure permis.

Par Salah El-Gharbi

Après le congrès du «triomphe», celui de 2012, Ennahdha s’apprête à vivre, dans quelques jours, un moment important de son histoire, en tant que mouvement politique, avec l’ouverture de son 10e congrès, prévu les 20, 21 et 22 mai courant.

Déjà, depuis plus d’un mois, ses cadres sont dépêchés auprès des médias pour prêcher la bonne parole en insistant essentiellement sur les grands enjeux d’un tel rendez-vous. Ainsi, sur les ondes des radios, les plateaux de télé et les colonnes des journaux, il n’est question que de la motion qui sera proposée aux congressistes portant sur une improbable «séparation entre l’action apostolique et la pratique politique» (entre le «daâoui» et le «siassi») et qui constituerait un grand virage idéologique en rupture avec l’esprit des Frères musulmans, inspirateurs du mouvement islamiste tunisien à ses débuts dans les années 1970.

Un parti structuré et solide

Dans le cadre des préparatifs de ce congrès, on sent le fondateur et chef du mouvement, revigoré, tenant un discours de plus en plus tolérant, ouvert, responsable… On est loin du Rached Ghannouchi qui, le soir de l’attaque de l’ambassade des Etats Unis à Tunis, le 14 septembre 2012, justifiait sur les ondes de la radio l’action de la meute déchaînée. On a même le sentiment que l’homme a pris conscience de la gravité du moment historique qu’il est en train de vivre et qu’il est prêt de sacrifier ses ambitions à l’échelle «pan-islamique» pour mieux s’inscrire dans l’histoire de son pays. La proximité et l’émulation avec le président de la république Béji Caid Essebsi (BCE) semble avoir donné ses fruits et donné au chef d’Ennahdha une véritable stature politique et une dimension nationale. Toutefois, et contrairement à BCE, qui a laissé dépérir Nidaa Tounes, le parti qui l’a porté au pouvoir, Rached Ghannouchi aura réussi, le pari de laisser derrière lui, quand il aura quitté la scène politique, un parti structuré et solide avec un bel avenir devant lui.

Cependant, face aux déclarations et aux professions de foi des Nahdhaouis, beaucoup d’observateurs restent prudents voire sceptiques. «C’est de la manipulation!», disent certains. Selon eux, la supposée reconversion du parti islamique ne serait qu’une manœuvre politicienne visant à annihiler la méfiance d’une frange de l’électorat encore hésitante, voire méfiante à l’égard de ce mouvement connu pour ses thèses un peu radicales. «Les frères restent des Frères», conclue-t-ils.
Quoi que disent les adversaires du mouvement islamiste, il est incontestable que, depuis la démission de l’ancien chef du gouvernement, Ali Larayedh, en décembre 2013, et après la défaite – toute relative – aux législatives de 2014, Ennahdha a connu une importante mutation et a acquis une certaine maturité politique. Et même si cette évolution reste insuffisante, aux yeux de beaucoup de ses détracteurs, elle reste significative d’une volonté de s’adapter à la réalité du pays et de l’époque. Même si, au fond, le cœur des dirigeants nahdhaouis devait pencher du côté des «Frères» d’antan et de toujours, la raison les pousse aujourd’hui à être plus pragmatiques, plus consensuels, quitte à sacrifier – au moins en apparence – certains de leurs idéaux. Malgré une base, réticente, pressé d’en découdre avec «les laïcs», la direction du mouvement, qui a goûté aux délices du pouvoir, sait désormais freiner ses ardeurs et n’est pas prête à refaire les mêmes erreurs des deux années passées aux manettes du pays, entre janvier 2012 et janvier 2014.

Les Nahdhaouis pourront-ils se «tunisifier»?

Le pari d’Ennahdha, version 2016, serait de s’afficher comme un parti de pouvoir, moderne et responsable, sans pour autant baisser l’étendard de l’«islam politique», qui reste son label, sa marque de fabrique sur le marché l’offre politique. Une action d’équilibriste ! Ce serait l’enjeu majeur pour les années à venir, celui de se «tunisifier» effectivement, en tenant compte des spécificités d’un pays ouvert, tourné vers la modernité. En somme, si ce mouvement ambitionne de jouer encore un rôle dans ce pays, il est condamné à évoluer. C’est une fatalité historique.

Certes, à l’égard d’Ennahdha, celle des Abdellatif Mekki, Ali Larayedh et autres Abdelkarim Harouni, la méfiance reste légitime. Notre pays n’est pas encore à l’abri de la menace de l’hégémonie d’un mouvement sectaire. Pour nous en préserver, il serait primordial de renforcer les institutions démocratiques et de consolider l’apport de la société civile… Car, c’est la démocratie, une fois institutionnalisée, ancrée dans le quotidien des Tunisiens, qui est le seul garant contre les velléités totalitaires des extrémistes de tous bords.

Les «Frères» sont nés et ont prospéré dans une société inculte, opprimée, qui a faim et à la merci des «derviches». Si l’islam n’a pas su s’accommoder de l’évolution du monde, c’est parce que l’environnement était marqué par l’immobilisme, lequel était entretenu sciemment par le pouvoir totalitaire en place.

Par conséquent, seule la démocratisation de la vie publique saura engendrer une nouvelle dynamique culturelle dont bénéficiera l’islam. C’est la liberté de penser et de s’exprimer… qui devrait nous immuniser contre toutes sortes d’orthodoxies et permettre à l’islam de se réinventer un avenir.

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