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La Tunisie a besoin de plus que «quinze minutes de célébrité»

Quartet-Nobel-Oslo

Le Quartet du Dialogue national reçoit le Prix Nobel de la Paix 2015 à Oslo.

L’Occident fait des promesses à la Tunisie qu’il ne tient qu’à petite moitié ou bien moins que ça. Très souvent aussi, il ne fait que les ranger dans les tiroirs de l’oubli.

Par Chris Doyle *

L’attention de la communauté internationale pour les affaires moyen-orientales est suscitée par trois facteurs principaux: A quel point le désastre qui s’abat sur cette région est-il terrible, importe-t-il de lui trouver une solution et peut-il être résolu? S’il n’y a pas de guerre à Gaza, la région disparaît des radars des chancelleries occidentales, en attendant une nouvelle reprise des violences. La situation syrienne est cataclysmique mais les politiciens du monde occidental haussent les épaules et font montre d’un manque de volonté et de vision de résoudre cette crise.

Les responsables que j’ai rencontrés dans les territoires de cette région minée par les crises s’interrogent: «Que devrions-nous faire pour faire entendre notre voix et mériter l’attention dont nous avons besoin? Faut-il que la guerre empire ou qu’il y ait plus de pertes humaines?»

L’euphorie suscitée par le Printemps arabe n’a pas duré

Dans le cas de la Tunisie, cette priorité accordée à la gestion de conflit, au détriment de la prévention de conflit, reste d’une évidence à vous couper le souffle. Cet Etat nord-africain a été, dans l’ensemble, ignoré depuis son indépendance en 1956. A partir de 2010, il a eu droit à l’expression de quelque admiration et de sympathie d’une courte durée. L’euphorie post-Révolution de jasmin n’aura duré que quelques semaines, noyée qu’elle était par les bruits plus assourdissants des crises des voisins de la petite Tunisie.

Trois attentats terroristes importants, en 2015, au musée du Bardo, dans un hôtel à Sousse et contre un convoi de la Garde présidentielle à Tunis ont suscité les proclamations de solidarité d’usage.

Le président Obama se déclarait «entièrement attaché» à la réussite de la Tunisie. Aujourd’hui, le fait est là: il semble que cet engagement de l’actuel locataire de la Maison Blanche n’a été qu’à temps partiel.

Pour la plupart des Tunisiens, leur pays quitte le radar de l’attention internationale, puis refait surface pour une courte quinzaine de minutes de célébrité et de promesses de soutien.

La Tunisie a besoin d’un appui solide, d’investissement, d’assistance technique et de tourisme pour pouvoir relancer sa machine économique.

Plus que toutes autres choses, le pays a besoin de créer des emplois. Lors d’un récent séjour, toutes les personnes que j’ai rencontrées – acteurs de la société civile et responsables – m’ont dit et répété ce mantra. Les troubles sociaux de cette année sont la preuve incontestable de cette vérité première. Le chômage des diplômés s’élève à près de 35%. Et l’Etat islamique (EI, Daêch), trouve facilement, sur ce terrain, des candidats pour son recrutement.
L’optimisme est désormais une denrée rare en Tunisie. L’état d’urgence, décrété en novembre dernier à la suite de l’attaque contre un bus de la Garde présidentielle qui a coûté la vie à 12 de ses membres, a été prolongé jusqu’au 22 juin 2016. (…) Certes, il n’y a pas en Tunisie de tribunaux militaires ou de jugements expéditifs, mais, une chose est sûre, il y a un climat de peur dans le pays et les autorités craignent toujours le pire.

Que fait l’Occident?

Voici où nous en sommes, aujourd’hui: la Tunisie courageuse, modérée et pragmatique, l’étincelle et la locomotive des soulèvements arabes de 2011 et le dernier espoir de ce Printemps arabe, se débat toute seule pour se maintenir à flot.

Qu’est-ce l’Occident, du moins l’Europe, est-il en train de faire, dans le même temps? Pour rappel, la Tunisie se trouve à quelque 130 kilomètres de la Sicile.

La réponse à cette question est: pas grand chose. Il est vrai que la Tunisie a bénéficié de prêts à conditions favorables et à un soutien technique, mais cette assistance n’a toujours pas produit les résultats souhaités. La France, par exemple, s’est récemment engagée à mettre à la disposition de la Tunisie plus d’1 milliard de dollars, sur une période de cinq ans, ciblant la création d’emplois dans les régions les plus pauvres, là où précisément Daêch ne trouve aucune difficulté à recruter de nouveaux membres.

Les autres (pays occidentaux, Ndlr) ont-ils fait assez pour la Tunisie? Les Etats-Unis accordent annuellement plus de 3 milliards de dollars à une puissance économique mondiale comme Israël et seulement une maigre enveloppe d’aide de 66 millions de dollars à la Tunisie, qui en a grandement besoin.

La Tunisie a également besoin que la situation évolue positivement en Libye, qu’un gouvernement efficace y soit formé et qu’il ait le mandat et la capacité de faire face à l’EI, car les 500 km de frontières communes avec la Libye sont sources d’une menace sérieuse pour la sécurité de la Tunisie et les garder sont nettement au-delà des moyens de ce petit pays.

Le 7 mars dernier, les forces tunisiennes ont dû repousser une tentative d’invasion de la ville frontalière de Ben Guerdane…

C’est au sujet des dégâts subis par son secteur du tourisme que la Tunisie semble se plaindre le plus. Le pays désespère de reconquérir la confiance des visiteurs et des tour-opérateurs étrangers.

Des touristes russes ont opté pour la Tunisie en remplacement de la destination Egypte, mais cela est loin de compenser les pertes enregistrées par les désertions des visiteurs européens. A titre d’exemple, à Sousse où l’attaque du 26 juin 2015 a été perpétrée, nombre d’hôtels ont fermé leurs portes. La Grande Bretagne, par le passé un marché émetteur d’une moyenne de 400.000 touristes, interdit à ses ressortissants tout déplacement en Tunisie; alors que le gouvernement des Etats-Unis recommande auprès des visiteurs américains la plus grande prudence et d’éviter de se rendre dans certaines régions de la Tunisie et certains endroits.

Le deux-poids-deux-mesures britannique

«Pourquoi la Grande Bretagne déconseille-t-elle à ses ressortissants de venir en Tunisie, alors qu’elle pense qu’il n’y a aucun risque pour eux de se rendre à Bruxelles, par exemple?», s’est plaint un hôtelier tunisien. Reconnaissons, là, que cet homme a tout à fait raison. Est-ce que la Grande Bretagne aura un jour le courage d’interdire aux citoyens britanniques de se rendre aux Etats-Unis, un pays où, en 2015, il y a eu 372 fusillades de masse où 475 personnes ont trouvé la mort.

Cette différence de traitement est dure à supporter par les Tunisiens, car le risque sécuritaire auquel leur pays est confronté est loin d’être de leur faute. Selon le Conseil mondial du voyage et du tourisme (WTTC, en anglais), une reprise d’activité d’une destination touristique qui a subi une attaque terroriste nécessite près de 13 mois. Ainsi, si d’autres atrocités de ce genre ne sont pas commises en Tunisie, le pays pourrait espérer voir son industrie touristique redémarrer et récupérer le terrain perdu.

Visitant l’hôtel Imperial Marhaba, qui a mis les clés sous la porte, je me suis posé la question pourquoi les images de la tuerie perpétrée par Seifeddine Rezgui (le militant de Daêch qui a exécuté l’attentat du 26 juin 2015, à Sousse, Ndlr) mettront-elles plus de temps à s’effacer de la mémoire collective que les carnages de Bruxelles ou de Paris.

Des gardes armés, des barrages de contrôle et des scanners, tout cela peut épargner des vies humaines. Cependant, à un certain point, les autorités européennes doivent prendre des mesures politiques fermes. Si elles maintiennent leur interdiction de voyage en Tunisie, les tour-opérateurs ne s’aventureront à défier cette décision.

Selon toute logique, la crise économique et le chômage, terreau fertile pour Daêch, continueront de s’aggraver. Par contre, une Tunisie prospère et qui a réussi son pari démocratique sera la défaite la plus cuisante de l’organisation terroriste de Daêch et de ses semblables.

Texte traduit de l’anglais par Marwan Chahla

Source: ‘‘Al-Arabiya’’.

*Chris Doyle est directeur du Council for Advancing Arab-British Understanding (CAABU, Conseil pour la compréhension arabo-britannique), basé à Londres.

**Le titre est de l’auteur et les intertitres sont de la rédaction.

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