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La Tunisie doit se préparer au retour de ses jihadistes

Jihadistes-tunisiens

Quelques 6000 jihadistes tunisiens combattant en Irak, en Syrie et en Libye risquent de rentrer clandestinement au pays. Que faire pour désamorcer cette bombe ?

Par Mohamed Nafti *

La situation de l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daech) n’est pas au beau fixe. En Irak, ses combattants viennent d’avoir de fâcheux revers à Fallouja. En Syrie, aucune lueur de raison ne se profile à l’horizon et leurs jours sont comptés après que l’Armée arabe syrienne ait envahi Raqqa. En Libye, ses groupes perdent de leur mordant et se replient sur Syrte en attendant des jours meilleurs.

Sale temps pour les jihadistes

Le moral des jihadistes est donc au plus bas. Pressés de toutes parts et acculés à la défensive, posture à laquelle ils sont peu habitués, les jihadistes, notamment les moins résolus d’entre eux et ils sont nombreux, commencent à réaliser qu’il ne leur reste que peu d’échappatoires. L’instinct de survie les poussera à fuir vers des lieux moins dangereux, mais lorsque l’étau se resserrera, ils n’auront d’autres choix que de rendre les armes et se constituer prisonniers ou bien fuir et essayer de se réfugier dans des pays d’accueil susceptibles de les accepter comme des exilés. Mais une chose est certaine, la majorité des jihadistes seront refoulés et contraints de regagner leurs pays d’origine.

La Tunisie, qui compte environ 6000 jihadistes en dehors de son territoire, est aujourd’hui confrontée à ce problème. Il est urgent d’examiner cette question, de la discuter et d’anticiper une solution qui épargnera le pays des conséquences néfastes pouvant résulter d’une absence d’action ou d’une action improvisée.

La Tunisie pourrait mettre en œuvre une opération d’accueil visant un tri sélectif des «revenants» en vue d’identifier les criminels de guerre et les juger pour leurs exactions, de mener une opération de dé-radicalisation de ceux qui ne sont pas impliqués dans des crimes, de faciliter leur réinsertion sociale et enfin concevoir des mesures palliatives pour prévenir la récidive d’actes semblables au futur.

Notre pays pourra mener cette action en coordination avec les services sécuritaires des pays qui combattent Daech, en comptant sur l’aide logistique et technique des instances onusiennes et en mettant à profit l’expérience de certains pays occidentaux en matière de gestion du retour des jihadistes.

Cette approche ne peut être assimilée à un laxisme ou à une complaisance à l’égard des terroristes. Elle a le mérite de poser un problème d’une grande gravité et de contribuer à sa solution, qui plus est, en cette phase délicate traversée par la Tunisie sur les plans politique, sécuritaire et socio-économique.

Que faire des 6000 terroristes tunisiens aguerris ?

Le retour des jihadistes est un sujet qui préoccupe les responsables politiques et sécuritaires et suscite parmi la population un sentiment d’inquiétude, de crainte et de malaise, eu égard aux risques et aux dangers pouvant être générés par ce retour pour l’Etat et la population.

Ce qui inquiète, d’abord, c’est le nombre important de ces jihadistes tunisiens qui combattent au sein des groupes terroristes en Irak, Syrie et en Libye. L’Onu estime leur nombre à 6000. Un rapport provenant d’un institut spécialisé dans le renseignement et confirmé par l’Onu classe notre pays comme le premier exportateur de jihadistes au monde par rapport au nombre d’habitants, et donne même des précisions sur leurs domiciles. Ainsi 15% seraient originaires de Ben Guerdane, 11% de Bizerte et 11% du Grand-Tunis.

Ces chiffres sont alarmants pour la population qui craint beaucoup le retour clandestin de ces terroristes connus par leur violence excessive envers la population civile désarmée. Et malgré les avertissements de l’Onu, nos autorités ne semblent pas s’inquiéter outre mesure de ce problème. Doit-on souligner que 6000 terroristes aguerris représentent une grande menace pour l’Etat et la population?

Des voix se sont élevées depuis longtemps pour mettre en garde le gouvernement contre cette menace. Des experts sécuritaires et des membres de la société civile se sont prononcés sur ce sujet, mais en réponse, un mutisme bizarre semble imprégner l’attitude des autorités. Doit- on attendre l’afflux de ces revenants pour réagir et laisser ainsi la psychose du terrorisme s’emparer de la population? Peut-on se permettre de laisser filer des gens qui ont commis des crimes, de ne pas les juger et de les encourager ainsi à récidiver?

Il importe dans un Etat de droit comme le nôtre de faire respecter la loi et de protéger la population avant tout. On comprend la crainte, l’inquiétude et la colère de la population, surtout après les actes terroristes qui se soldent par des pertes humaines. Elle crie haut et fort pour réclamer une vengeance sans pitié vis-à-vis des terroristes.

Tout en comprenant la douleur des parents et des proches des jihadistes revenant des camps d’entraînement en Irak, en Syrie et en Libye, nous devons aussi nous comporter en bons citoyens d’un pays démocratique et laisser les professionnels de la justice faire leur travail.

Cependant, la tâche des autorités politiques et la responsabilité de la société civile reste énorme dans cette entreprise. A la limite, celles-ci peuvent mettre à profit les expériences des pays démocratiques dans ce domaine pour mettre en œuvre une opération de «tri sélectif» des revenants pour identifier les criminels des membres radicalisés et pour entamer un processus de dé-radicalisation pouvant aider à réinsérer une partie de ces hommes dans la société.

Démobilisation, désarmement et réhabilitation

Un programme de prévention de dé-radicalisation des jihadistes, initié depuis une décennie au Danemark, a donné de très bons résultats. Ce travail de prévention est effectué dans un centre situé dans la ville d’Aarhus. En Allemagne, l’Ong Hayat, fondée en 2011, œuvre pour arrêter et inverser le processus de radicalisation en retissant le lien familial des éléments radicalisés puis en leur fournissant un soutien médical et psychologique… Il serait utile de suivre l’exemple de ces deux pays et fonder un centre de dé-radicalisation pour accueillir nos «apprentis terroristes» et, pour ainsi dire, les «réparer».

Les agences onusiennes compétentes dans ce domaine n’épargneront aucun effort pour soutenir le gouvernement tunisien dans cette entreprise. Les pays qui combattent le terrorisme, et plus précisément ceux qui traquent les terroristes de Daech, offriront volontiers toutes les informations sur les revenants pour aider nos agents de sécurité et nos magistrats à identifier les criminels et les juger.

Dans tous les cas, la Tunisie sera confrontée au problème du retour des jihadistes parce que ces derniers seront refoulés vers leur pays d’origine après la fin des conflits en cours. La majorité des 6000 combattants déferleront sur nos frontières poreuses et s’ils ne sont pas recueillis, ils feront tout pour revenir clandestinement et constitueront alors une grande menace pour le pays. Qu’ils soient considérés comme des combattants ou des mercenaires, on devrait prévoir, de toute façon, une action de démobilisation, de désarmement et de réhabilitation ou réinsertion (DDR).

C’est un processus connu à l’Onu et qui est appliqué aux rebelles en Afrique et en Asie. Et si l’on considère ces combattants comme des terroristes, on pourrait envisager un processus de dé-radicalisation pour ceux d’entre eux dont on pourra démontrer qu’ils n’ont pas commis des crimes.

Il est donc urgent d’examiner ce problème épineux et de préparer une solution convenable dans les plus brefs délais.

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