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Machiavélique Erdogan ?

Erdogan-Machiavel
Erdogan a-t-il été machiavélique? Le coup d’État n’était-il qu’une pièce de théâtre pour justifier le tour de vis antidémocratique dont on soupçonne le président islamiste?

Par Farhat Othman

Les velléités dictatoriales de l’homme fort turc ne sont plus à démontrer. Aussi, ne serait-il pas saugrenu de le penser avoir osé organiser un désordre simulé pour mieux asseoir son pouvoir voulu absolu, comme de nombreuses voix le disent désormais.

C’est en droite ligne de l’enseignement du ‘‘Prince’’ et de la sagesse populaire. Celle-ci dit bien que celui qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. Et celui-là, qui a théorisé l’art de gouverner conseille la simulation, y compris du complot, pour se débarrasser de ses ennemis.

Le secret du visible

Bien mieux, dans son effort novateur pour son époque de dire la vérité effective des choses politiques — et qui n’est pas donc une vérité des principes —, Machiavel conseille d’user si nécessaire de la répression, mais d’un seul coup pour n’avoir pas à recommencer.

En effet, pour lui, rien ne serait plus néfaste qu’une répression hésitante, faisant alors preuve de faiblesse, finissant par susciter de plus grandes violences.

Erdogan a-t-il voulu se débarrasser de ses ennemis dans l’armée? On sait que c’est une institution puissante et qu’elle ne lui a jamais été totalement acquise. On connaît aussi son attachement à la démocratie et à la laïcité et son atlantisme.

De là à faire un lien justifié entre trois éléments en apparence contradictoires : l’autoritarisme du nouveau sultan turc, l’esprit légaliste de l’armée et le soutien américain indéfectible pour la stabilité de la Turquie.

Il tombe sous le sens que, même avec un régime pas ou peu démocratique, une Turquie stable est essentielle pour la sauvegarde de l’ordre actuel qui est certes injuste, mais ne sauvegarde pas moins l’essentiel de l’hégémonie occidentale en un monde déboussolé.

C’est ce qu’on peut relever au creux des apparences d’aujourd’hui, le secret du visible qui s’offre à nos yeux et qui est souvent trompeur comme toutes les apparences. C’est que la politique en son appréhension classique est l’art de simuler et de dissimuler, le gérant au mieux avec le secret.

Gestion du secret

Notons ici que les mots «secret» et «secrétaire» relèvent de la même étymologie latine voulant dire «placé à part». Il y a donc bien une gestion du secret dans ses aspects visibles et invisibles. C’est même l’art de gouverner et d’user de la fiction en politique en trait structurel du fonctionnement de tout pouvoir.

Rappelons aussi l’éminent travail du Florentin sur l’expérience diplomatique et historique, car il a montré l’importance du secret et de sa gestion à la préparation et à l’exécution des complots pour avoir le pouvoir ou pour le conserver. Ruse et force, simulation et dissimulations sont nécessaires et équivalentes dans l’art de gouverner. Car en politique, mais aussi dans la vie, «chacun voit ce que tu parais, peu perçoivent ce que tu es», comme dit Machiavel.

Aussi, en notre monde, si tout n’est pas politique, plus que jamais, la politique s’intéresse à tout. Cela impose une attitude aux plus justes des politiciens obéissant à la raison et à la logique pour que leur politique soit objectivement jugée respectueuse de la démocratie dont tout un chacun se réclame.

Car on doit s’accorder avec Machiavel pour dire que la vertu politique est un équilibre à maintenir entre les qualités morales et la nécessité de conserver le pouvoir et que le gouvernant voulant maintenir son autorité — pour bien ou mal faire — étant «souvent forcé de ne pas être bon». Quelle serait par conséquent la meilleure gestion du secret d’un point de vue rationnel et/ou éthique?

Assurément, cela doit consister à inscrire dans le marbre de la loi les principes basiques de la démocratie que sont des lois, sans coloration dogmatique, encourageant et respectant le droit à la vie de tout un chacun et ses libertés publiques et surtout privées pour faire relever le pays du vivre-ensemble pour tous au-delà de toutes les différences des uns et des autres.

En Turquie qui se dit laïque, cela impose non pas le rétablissement de la peine de mort à laquelle on appelle déjà, mais bien plutôt le renforcement des libertés par l’abolition de toutes les restrictions d’origine religieuse aux libertés. Aucune référence supposée relever d’un particularisme culturel ne doit être avancée comme prétexte pour une limitation quelconque au droit imprescriptible du citoyen, aussi minoritaire soit-il, de jouir librement de ses droits civiques sans la moindre restriction.

On en est bien loin dans la Turquie d’Erdogan ! Alors, machiavélique Erdogan?

Chacun jugera. Notons juste que Machiavel, contrairement à sa réputation, a réussi à dévoiler les secrets du pouvoir en étant le premier à déchiffrer les actions des princes et à mettre à nu ce qu’ils s’efforcent toujours de voiler. Cela lui valut l’éloge de l’humaniste Rousseau qui l’a jugé méritant de montrer ainsi aux peuples les moyens dont se servaient les monarques absolus pour l’opprimer.

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