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Un Caid Essebsi en cache d’autres : Un président sous influence

Beji-Caid-Essebsi-Armee

Il faut savoir gré à Béji Caïd Essebsi d’avoir réussi à redonner à la famille toute sa noblesse et à l’avoir installée de nouveau au cœur même de l’Etat.

Par Yassine Essid

Autrefois, à chaque investiture d’un nouveau chef de gouvernement, à chaque remaniement ministériel, à l’annonce de la mise en œuvre d’un nouveau programme politique ou économique et, plus généralement, chaque fois qu’on substituait une personnalité politique à une autre pour telle ou telle raison, survenait aussitôt chez ma mère un doute amer à l’endroit des sentiments qu’on devait témoigner aux heureux élus. Plus désabusée que sceptique, elle nous rappelait qu’il faudrait se méfier des changements, que la loi de la vie ce n’est pas le changement mais, au contraire, la continuité, et que certaines transformations tant souhaitées pourraient bien constituer un prélude à une situation bien pire. Ciseleuse de mots, elle usait pour illustrer ses propos d’une formule lapidaire dont elle ignorait évidemment l’arrière-plan historique et biblique. Elle nous disait : «Vient Moïse et d’aucuns bénissent le temps du Pharaon».

Un nouveau système de gouvernement personnel

La brièveté de l’énoncé de cette sentence met en relief la portée réelle d’une toute récente investiture passée par le filtre erroné d’une soi-disant crise de gouvernance mais qui n’est en fait qu’un remède contre la lassitude d’un chef d’Etat vis-à-vis de son Premier ministre qui contraignit sa raison à admettre ce qu’elle n’avait jamais accepté jusque-là mais qui n’est en vérité que la lâche capitulation d’un patriarche l’amenant à renoncer à certains principes et céder aux exigences de son entourage.

Une confrontation entre Béji Caïd Essebsi et Habib Essid s’était alors brusquement inscrite dans un débat médiatique polémique, passionné et surtout mensonger sur la situation défaillante et insuffisamment maîtrisée de la gestion des affaires publiques. Il fallait, parait-il, un nouveau contrat plus ambitieux, plus engagé dans la lutte contre la crise, qui fera de la lutte contre le terrorisme, la corruption, le chômage et pour la préservation de l’environnement ses principales priorités.

Voilà Habib Essid attrapé en flagrant délit d’incompétence, traité sans ménagement ni prudence, sommé de vider le lieu sans motif convaincant.

Alors, contrairement à ce que veut faire avaler Béji Caïd Essebsi à l’opinion commune, les mots bien pesés que concentrait l’aphorisme de ma mère, favorisant la mémorisation et frappant l’esprit, rejaillissent pour démasquer les idées reçues et fausses car fabriquées pour couvrir une stratégie habile ou, pire, l’amorce d’un nouveau système de gouvernement personnel qui a eu son temps utile mais qu’il cherche à imposer au pays par des pratiques débilitantes contre lesquelles pourtant le peuple s’est révolté. Calcul primaire autant qu’imprudent qui est loin de pouvoir donner une impulsion plus efficace et plus heureuse à l’administration des affaires de l’Etat.

Une monumentale arnaque de Béji Caïd Essebsi

La nomination d’un illustre inconnu, cumulant le manque d’expérience politique et un faible potentiel intellectuel, seraient sous d’autres cieux à même de l’empêcher de briguer une telle charge. Son seul fait d’armes, celui de partager un lointain lien de parenté par alliance avec «la famille», ne surprend plus dès lors qu’une opinion publique avait appris à penser le monde comme incertain, dangereux et corrompu.

La vérité est que la nomination d’un nouveau Premier ministre n’est en réalité qu’une monumentale arnaque montée de toute pièce par Béji Caïd Essebsi, grand arpenteur de linéaires, psychologiquement incontrôlé, qui se retrouve dans la posture pathétique d’un vieillard devenu otage de son propre ménage qui décide à sa place et lui fait faire ce qu’un chef d’Etat qui se respecte n’aurait jamais osé faire : assurer contre toute attente la promotion précipitée d’un ministre qui jusque-là servait si peu en un tout puissant Premier ministre.

Imposer en même temps un choix sans appel à l’équipage formé de chefs de partis indifférents, impatients ou pusillanimes d’un navire en déroute. Dès lors, toute une clique se retrouve au service de celui qui laisse faire et qui fait faire.

Après la dictature d’opérette, le vaudeville démocratique

Le fils, Hafedh, président de Nidaa Tounes, le directeur de son propre cabinet, Slim Aazzabi, et maintenant le chef du gouvernement en personne, Youssef Chahed, devenus tous ensembles les personnages centraux d’un vaudeville démocratique, qui seront complices des mêmes secrets et se serviront à outrance des pouvoirs qui arrangeront le mieux leurs tristes pensées.

Chaque futur ministre, chef d’entreprise publique, ambassadeur, ou tout autre haut responsable, devra d’abord être parfaitement identifié par la famille, répertorié, catalogué, testé, soigneusement évalué dans ses comportements et son allégeance.

Le dérèglement redoutable dans lequel nous nous débattons aujourd’hui est venu de ce que l’opinion publique, qui ne représente en outre aucun danger imminent, a fini par croire en ces mensonges ! Et de s’arrimer pour son malheur à des marchands d’illusions suite à une surchauffe de communication savamment organisée.

Où est donc passé cet introuvable phénix, cette personnalité politique alliant l’instruction acquise par l’usage du pouvoir et l’autorité nécessaire chargée de veiller à l’intérêt général, devant en plus faire l’unanimité des signataires de «l’accord de Carthage»? Les alternances tantôt rapides et tantôt précipitées, les annonces sous la pression du temps, brouillent la vision de l’opinion publique car elles sont sans ancrage pour les individus dans un contexte de bouleversement et de perte de repères.

La famille dans l’Etat, le parti avant la patrie

Il faut cependant savoir gré à Béji Caïd Essebsi d’avoir réussi, en dépit des discours idéologiques qui annoncent sa mort ou, tout au moins, son agonie, à redonner à la famille toute sa noblesse, à ressusciter les grandes groupes domestiques d’autrefois et de lui accorder une attention aussi grande afin que ses valeurs soient transmises aux générations suivantes.

Même si d’apparence il a cessé de considérer la famille comme partie intégrante et inséparable du grand tout politique, Béji Caïd Essebsi s’obstine contre tous à la mettre au cœur des bouleversements économiques, sociaux, culturels et à repenser sa place et son rôle pour gérer ou redéployer son capital politique, économique et social ou, à un moindre degré, survivre un temps à l’absence du patrimoine économique.

Le terme famille est polysémique et désigne à la fois individus et relations. Ainsi, bien qu’inlassablement justifiée, l’absence d’une filiation ou d’une parenté directe entre Béji Caïd Essebsi et Youssef Chahed ne prouve pas l’inexistence d’une alliance entre familles de conjoints, de proximité ou des pactes d’intérêts communs, de liens puissants, persistants et multiformes, qui vont de pair avec des flux de biens et de services et qui font que le possesseur du titre de Premier ministre devienne un respectable et éminent membre du clan et de ses réseaux pour se souvenir, le moment venu, qu’il est surtout l’obligé de la famille Caïd Essebsi.

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