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Saga de la Stip : Bataille rangée autour d’un cadavre

Stip

L’auteur raconte, ici, la saga de la Stip, dont les ouvriers syndiqués à l’UGTT bloquent depuis deux mois la route Kairouan-Sousse. Et préconise des solutions.

Par Mohamed Rebai*

Par leur mouvement, ces chers syndicalistes engendrent des pertes économiques conséquentes pour les régions de l’intérieur : Kairouan, Sidi Bouzid, Silana, Kasserine, Sousse, Monastir et Mahdia.

La Société tunisienne des industries pneumatiques (Stip), dont l’objet est la fabrication et la commercialisation des pneumatiques de marque Amine, a été créée le 21 juillet 1980. La production n’a effectivement démarré qu’en 1985 grâce à une joint-venture avec l’Italien Pirelli pour le transfert du savoir faire «All-Steel».

La société qui a, par la suite, eu la certification ISO 9002 et bien d’autres certifications de management, qualité et environnement, produit l’équivalent de un million de pneus et exporte une partie de la production dans 9 pays, et particulièrement le Maroc.

Les déboires de la Stip post-révolution

Toutefois la Stip a connu avec l’arrivée de la troïka au pouvoir une perte monumentale de 21 millions de dinars tunisiens (MDT) pour un chiffre d’affaires oscillant entre 100 et 107 MDT (2013 et 2014), des dettes vertigineuses s’élevant à 142 MDT, des créances douteuses pour 16 MDT, des salaires astronomiques absorbant le quart du chiffre d’affaires (23 MDT).

Un fonds de roulement négatif, un ratio de rotation des capitaux nul, un ratio de profitabilité négatif accusant des pertes cumulées pour 152 MDT, des immobilisations en-deçà des normes. Bref, tous les ratios sont au rouge qu’il n’est pas possible de les énumérer tous ici. C’est vraiment le cas type d’une très mauvaise gestion.

Et depuis c’est la descente aux enfers et la traversée du désert principalement avec la contrebande qui pèse 70% du marché sans que les autorités ne bougent d’un iota.

Mais le grand problème demeure les pertes cumulées de la société s’élevant à 152 MDT et dépassant la moitié du capital social. Normalement, elle devrait être liquidée conformément aux dispositions de l’article 388 du code des sociétés commerciales qui stipule ce qui suit : «Si les comptes ont révélé que les fonds propres de la société sont devenus en-deçà de la moitié de son capital en raison des pertes, le conseil d’administration ou le directoire doit dans les quatre mois de l’approbation des comptes, provoquer la réunion de l’assemblée générale extraordinaire à l’effet de statuer sur la question de savoir s’il y a lieu de prononcer la dissolution de la société».

Une privatisation jugée ambiguë

Or, depuis déjà 2010, un plan de restructuration a été élaboré par les autorités compétentes visant principalement l’ouverture du capital de la société à un investisseur stratégique seul ou en consortium et le redressement par la renégociation des dettes accumulées (180 MDT) auprès de la douzaine de banques tunisiennes et de la Banque islamique de développement (BID).

En mai 2011, soit à peine quatre mois après la révolution, la privatisation de la Stip, jugée ambiguë, a été purement et simplement annulée. Faute de concrétisation de la restructuration financière envisagée, des doutes importants pèsent sur la continuité d’exploitation.

Une cession d’actions floue et inexpliquée

En 2016, le groupe Africa Holding, domicilié à Tunis (93, rue de Palestine – RC : B0162362016) a pris la place de la BID et acquiert 40% du capital tout en proposant une offre publique d’achat (OPA) à travers la bourse pour le reste du capital.

Oui mais avec la détérioration des activités de la Stip, la baisse de son chiffre d’affaires et de ses résultats, la valeur de l’action sur le marché boursier a chuté de moitié pour atteindre au dernier cours 1,660 D pour une valeur nominale de 3 DT.

Dans ce cas la Stip pourrait être prise pour une bouchée de pain et sûrement pour une valeur en-deçà de la valeur intrinsèque de l’action calculée après un examen objectif et rationnel des actifs de la société.

Des solutions à envisager

Comment sauver la société ? Il n’existe, à notre avis, que quatre solutions.

La première serait de privatiser la Stip dans le cadre d’un pacte socio-économique assurant la sauvegarde des intérêts des travailleurs en la cédant à un investisseur potentiel capable d’éponger ses 180 MDT de dettes ou à la limite négocier son rééchelonnement. Il procédera également à une augmentation de capital en numéraire se traduisant par un apport de liquidités couvrant les pertes cumulées (152 MDT).

Le groupe Africa Holding, qui détient 40% du capital de la Stip et un droit de blocage sur les décisions du conseil d’administration, est le premier sur la liste des preneurs. Mais les ouvriers ainsi que la centrale syndicale ne veulent pas de cette privatisation qualifiée de nébuleuse.

On ne sait pas non plus qui parmi les actionnaires de la Stip (Public : 26,81%; Pirelli : 15,83% ; Stusid Bank : 15,35% ; BID : 14,17% ; BTK : 11,59%; OCT : 8,94% et STB 7,31%) a cédé ses actions au groupe Africa Holding. On parle dans les médias de cession des actions de la BID mais cette dernière ne possède que 14,17% du capital de la Stip et non 40%. Comment est-on arrivé là, on n’en sait rien.

La deuxième solution serait de recapitaliser la Stip par des fonds publics en injectant au minimum 300 MDT, solution que les autorités écarte pour le moment pour manque d’argent dans les caisses de l’Etat. Quoique difficile à réaliser, les ouvriers optent pour cette solution chimérique, oubliant qu’ils vont perdre très bientôt leurs emplois.

La troisième solution serait de liquider la Stip en fonction de la législation en vigueur (Art 388 du code des sociétés commerciales) comme il est expliqué plus haut. Le «canard boiteux» Stip finira par s’ajouter aux 3.500 unités industrielles qui ont mis la clé sous le paillasson au lendemain de la révolution de 2011.

La quatrième solution serait d’endiguer totalement la contrebande des pneus non conformes aux normes internationales de stockage, de production et de commercialisation et d’alléger la pression fiscale sur les pneus à l’importation, jugée excessive (94%).

Il faut savoir que la contrebande se taille la part du lion sur le marché local des pneus estimée à 70% soit 261 MDT. Avec la production de la Stip, 107 MDT, les besoins de la Tunisie se situeraient alors aux alentours de 368 MDT. Dans ce cas, il y a de fortes chances que la STIP se relèvera de sa débâcle.

Le manque à gagner en heures perdues

Dans toute cette histoire manipulée par de gros bonnets, on n’a jamais pensé au manque à gagner résultant de la fermeture de la route Kairouan-Sousse qui serait encore plus grand que les pertes cumulées de la Stip. Tout le centre du pays est paralysé par la dictature du prolétariat encore balbutiante mais extrêmement dangereuse pour l’économie du pays.

Je pense qu’il est opportun de ne plus laisser la situation se dégrader en ouvrant des négociations responsables pour une solution finale qui arrangera toutes les parties concernées.

Le stand by ne peut générer que des heures (administrateurs, ingénieurs, techniciens et ouvriers) négatives et perdues au sein même de l’usine Stip.

C’est là l’un des dossiers pourris dont héritera incessamment le prochain gouvernement Youssef Chahed. Avant même son investiture, on lui tire dessus à boulets rouges.

* Economiste.

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