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«Mesures douloureuses» – Acte 1 : «Pacification» du bassin minier de Gafsa

Youssef-Chahed-Gafsa

Le nouveau chef du gouvernement Youssef Chahed usera-t-il de coercition pour faire redémarrer la machine de production de phosphate à Gafsa ?

Par Assâad Jomâa *

J’avais dans un précédent billet reproché à nos politiciens leur manque de créativité. Leurs manœuvres politiciennes étant, à ce point, prévisibles que l’on pourrait presque les identifier aux automatismes caractérisant ce bon vieux «réflexe de Pavlov».
C’est en partant de ce constat que je vais planter le décor de ce qu’ils tiennent pour faîte de maestria politique et qui n’est en réalité qu’une pâle copie des scénarios vécus déjà sous le règne de Ben Ali.

Scènes du tumulte ordinaire

Scène I : Tout le monde en est, aujourd’hui, conscient: le parti Nidaa n’a finalement été qu’une formidable machine électorale. Jouant sur les hantises des femmes, craignant l’avènement d’un régime théocratique, promettant monts et merveilles à tous les citoyens, il est parvenu, faisant illusion, à se hisser aux commandes du pays. Régnant, certes, mais incapable de gouverner, il s’est assuré des bons et loyaux services d’un parti bien implanté dans le pays, rigoureusement structuré telle une colonne en marche et, par-dessus tout, aussi discipliné qu’une armée spartiate, j’ai nommé Ennahdha.

Le parti islamiste tunisien, dans un besoin pressant de se refaire une virginité, ne s’est pas fait prier pour officier en Saint Bernard à chaque fois que le besoin s’en est fait sentir. Dernière servitude, la «visite» de son émir à Gafsa, Rached Ghannouchi, le weekend dernier. Le lendemain d’une interminable séance plénière à l’Assemblée? Au moment où cinq de ses membres devenus ministres et secrétaires d’Etat, membres du gouvernement Youssef Chahhed, devaient prêter serment à Carthage? Un jour de fin de semaine? Par cette canicule?

La version donnée par les médias – qui sacrifiait, une fois de plus, à la sempiternelle langue de bois – évoquant une simple prise de contact avec les cadres et militants du parti islamiste, ne serions-nous pas en droit de fouiner un peu plus avant? C’est, en fait, l’aspect urgentissime revêtu par cette «visite de travail» qui nous a semblé plutôt singulier.

Scène 2 : La chaîne télévisée nationale, la fameuse Canal 7 devenue Wataniya 1, a parachuté dans le vingt heures du 27 août 2016 un VTR de 4 minutes sur la baisse de la production du phosphate dans le bassin minier, en insistant sur l’impact négatif de cette baisse en termes de pertes pour la «collectivité nationale» (sic). Une suite de données brutes assénées comme autant d’arguments d’autorité, sans aucune analyse des tenants et aboutissants sociopolitiques de la crise minière, ni débat contradictoire. En un mot, la Tap d’antan, revenant en grande pompe propagandiste.

Scène 3 : Lors du débat précédant le vote de confiance au gouvernement Chahed, un «représentant du peuple», principal acteur dans la crise minière, Adnane Hajji en l’occurrence, a maugréé une mise en garde, trop véhémente pour être purement spéculative, à l’adresse du chef du gouvernement si celui-ci en venait à des velléités musclées en réponse à l’aporie du bassin minier. Là aussi, le propos révélait plus de non-dits qu’il n’exprimait une prise de position politique.

Scène 4 : Après avoir fait allusion, dans son préambule, à la crise du phosphate, le chef du gouvernement, bottant en touche, a soigneusement évité de revenir sur ce dossier, dans sa maladroite tentative d’apaiser les craintes de certains députés se rapportant aux «mesures douloureuses» que son gouvernement aurait à prendre. Son prédécesseur – faut-il le rappeler? – avait clairement affirmé, sous la même coupole, que n’ayant pas donné une suite favorable à «certaines pressions» lui enjoignant d’user de coercition dans la résolution du dossier minier, son fauteuil ministériel en devenait d’autant plus éjectable.

Scène 5 : L’empressement de l’UGTT à publier un communiqué tout en demi-teintes, évasif à souhait, où elle retirait visiblement son épingle du jeu au cas où… «» quoi précisément? Les «mesures douloureuses» préconisées par le FMI ne pouvant être mises en place qu’après plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Or, là encore, il semblerait qu’il y ait urgence.

Master scene : Toutes ces données conjuguées nous amènent à une inéluctable conclusion. Le gouvernorat de Gafsa, connaîtra, dans les prochains jours, et en rapport avec l’épineux dossier du bassin minier, de fâcheux événements. Tel sera, à mon sens, la première des «mesures douloureuses» annoncées par le chef du gouvernement.

Les vieilles recettes «novembristes»

A cet effet, certaines âmes charitables de la région de Gafsa ont été rappelées à leur devoir religieux. En bons musulmans, ils ont été «conseillés», et c’est en bons musulmans qu’ils prêcheront «la bonne parole» auprès des brebis égarées. Les médias, pour leur part, ne seront pas en reste. La participation active de certaines plumes, voix et figures réputées pour leur probité, ne manqueront pas au devoir national de sensibiliser «le bon peuple tunisien» à la nécessité de trouver une issue, même au moyen d’un traitement musclé de ce dossier, tant il est vrai qu’il y va de la survie de l’Etat tunisien.

La direction de l’UGTT, elle, navigant, comme à l’accoutumée, à vue. Nullement opportuniste, elle fera passer le témoin de vert qu’il est à l’oranger, évitant soigneusement le rouge, selon l’évolution des événements. C’est, du moins, de la sorte que nous avons interprété son soutien critique au gouvernement Chahed.

Le facteur temps étant, en l’occurrence, d’importance: tant qu’à faire, autant que le sale boulot soit assumé par l’actuelle équipe aux commandes de la centrale syndicale. La nouvelle, quant à elle, se contentera de «regretter», à demi-mots, pareilles «mauvaises évaluations de la situation».

Tout ce beau monde semble oublier que ces contrées «lointaines» étant éreintées à force de brimades, les «autochtones» sont, de ce fait, légitimement fondés à revendiquer de véritables alternatives à leur mal-vie. Les expériences accumulées au fil des années ont prouvé que les vieilles recettes «novembristes» (allusion au 7 novembre 1987, date d’accession de Ben Ali au pouvoir, Ndlr), concoctées à coup de colmatage de brèches, n’ont eu, en la matière, qu’un dévastateur effet dominos pour notre pays.

* Universitaire.

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