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Affaire Attessia : Menace sur la liberté ou grossière opération de pub?

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Attessia a les moyens de faire convenablement son travail en évitant de provoquer, de temps à autre, des polémiques dont les téléspectateurs se passeraient volontiers.

Par Salah El-Gharbi

La présidence de la république et le gouvernement sont accusés d’avoir fait des pressions sur la chaîne privée Attessia TV pour la dissuader de diffuser l’entretien qu’elle a réalisé avec l’ancien président de la république, Moncef Marzouki.

Cette affaire alimente les commentaires des médias, enflamme les réseaux sociaux et crée un clivage au sein de la population, entre ceux qui doutent de la crédibilité des responsables de la chaîne en question, et ceux qui, tout en criant contre les supposés «ennemis de la liberté de la presse», offrent l’image d’un Marzouki victime d’une cabale ourdie par Carthage.

Les médias et l’impuissance publique

D’abord, il suffit de bien observer bien l’évolution du paysage médiatique tunisien pour se rendre compte que ni la présidence, ni le gouvernement, même s’ils le voulaient, ne sont, aujourd’hui, capables d’intervenir dans les choix éditoriaux des différents médias audio-visuels du service public. Adossés à un syndicat des journalistes assez puissant – parfois jusqu’à l’excès –, les comités de rédaction de ces médias jouissent d’une quasi-totale indépendance, souvent d’ailleurs mal exploitée.

Par conséquent, si le pouvoir est incapable d’orienter les informations au sein des organismes qui sont sous son autorité, que dire alors des médias privés ou qui dépendent de la puissance de l’argent?

Aujourd’hui, la concurrence entre les chaînes de télévision est très rude dans un marché aussi étroit que le nôtre. Et la course à l’audience est, assurément, impitoyable. Pour s’imposer, on doit jouer des coudes et on est même, parfois, obligé, par opportunisme, de recourir au crochet, et plus si nécessaire.

La guerre des chaînes ne faisant que commencer, pour augmenter leur audience, certains médias misent plutôt sur les feuilletons populaires et le divertissement, d’autres cherchent à brasser large et misent sur la qualité de l’information.

Cette dernière approche serait celle de la chaîne Attessia, qui s’est octroyé les services d’un ancien journaliste de la BBC arabic (Makki Helal) et d’un journaliste qui a fait ses preuves à Nessma (Borhene Bsaies) pour renforcer son équipe du service information. Et pour que la mayonnaise prenne, la chaîne a adopté une ligne éditoriale assez flou. Ainsi, il y a quelques jours, évoquant la plainte portée par le ministère public contre le parti Ettahrir, elle s’est longuement attardée sur la présentation dudit parti, d’une manière surprenante voire même suspecte. Le service de presse du parti salafiste n’aurait pas mieux fait.

Présenter un portrait assez aseptisé, voire complaisant, pour ne pas dire plus, de ce parti qui prône l’instauration de la charia et du califat et qui rejette tapageusment la constitution, la démocratie et l’autorité de l’Etat, est un choix éditorial qui se défend et qui consiste à donner la parole à toutes les parties, équitablement, afin que tout le monde puisse se reconnaître dans le «télé-journal», y compris les salafistes.

Pour quelques points d’audience de plus

Cependant, il ne serait pas surprenant que, derrière la tempête provoquée par la supposée censure infligée à Marzouki, il y ait une volonté de la part de la chaîne de faire de l’autopromotion qui lui permettrait de grignoter quelques points d’audience et, par conséquent, d’agrandir sa part dans le marché de la publicité télévisuelle. Car, il est difficile de croire que la présidence de la république puisse être aussi maladroite pour s’abaisser à de telles manœuvres gratuites et risquées.

Quel danger pourrait présenter Marzouki, qui a toujours aimé jouer les trouble-fêtes, même quand il était au Palais de Carthage et que sa fonction exigeait de la réserve et de la pondération? Pourquoi la chaîne a-t-elle attendu près de 24 heures pour se prononcer officiellement sur cette affaire? Si elle était si déterminée à diffuser l’entretien, comme elle le proclame tapageusement aujourd’hui, pourquoi ne l’a-t-elle pas fait à la date prévue, c’est-à-dire mercredi soir, en faisant fi de toutes velléités d’intervention de la part des autorités? Tant de questions qui ne plaident pas forcément pour la bonne foi d’Attessia et de son patron, Moez Ben Gharbia, qui a souvent été au coeur de polémiques médiatiques.

Cela dit, il serait triste qu’une chaîne aussi prometteuse puisse tenter de manipuler l’opinion, à l’image de ces pages de «news» qui polluent les raisons sociaux avec leurs intox, cherchant obstinément le buzz au détriment de la vraie information.

Attessia a les moyens de faire plus convenablement son travail en évitant de provoquer, de temps à autre, des polémiques dont ses inconditionnels (car il y en a beaucoup) se passeraient bien volontiers.

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