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Tunisie : La confiscation des biens mal-acquis est-elle légale ?

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Quand la justice tunisienne se prononcera-t-elle sur la constitutionnalité du décret-loi portant confiscation des avoirs et biens abusivement qualifiés de mal-acquis ?

Par Walid Balti

Au lendemain de la chute précipitée du régime de Ben Ali, les chambres constitutionnelles (des députés et des conseillers) ont, conformément aux dispositions de l’article 58 de la constitution tunisienne, nommé le président de la chambre des députés à la présidence de la république par intérim, et, en vertu de la loi n° 5 de l’an 2011, promulgué par le parlement, ont accordé à ce dernier le droit d’éditer des décrets-lois dans des domaines précis pour assurer la continuité de la république tunisienne, à condition que ces textes réglementaires soient validés ultérieurement par le parlement, et ce, conformément à la constitution alors en vigueur.

L’organisation du non-droit

En vertu de ce mandat, le président de la république par intérim a édicté 13 décrets-lois, dont le n° 13 de l’an 2011 relatif à la confiscation des biens et avoirs de Ben Ali, sa famille et ses proches, et ce dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et la corruption. Ce texte de loi prévoit le déroulement de l’opération en 4 phases, à savoir le gel des biens et des avoirs, l’enquête judiciaire, le jugement et la confiscation.

Cependant, cette forme de confiscation, qui n’a pas de fondement juridique, n’a jamais été approuvée par le parlement tunisien. Vu la non-constitutionnalité du texte juridique, le président de la république par intérim a édité le décret-loi n°14 de l’an 2011 qui dissout les chambres constitutionnelles, suspend la constitution tunisienne et adopte un texte sans fondement juridique portant organisation provisoire des pouvoirs publics, et c’étaient là des décisions qui ne lui revenaient pas de droit.

Plus de 5 ans après l’adoption des décrets-lois 13, 14 et 68 de l’an 2011, les personnes dont les biens et les avoirs ont été confisqués, à l’exception de ceux qui ont quitté le pays, ou qui ne sont plus de ce monde, continuent de subir une injustice induite par les textes de lois mentionnés ci-dessus.

Ces personnes, considérées par les soi-disant révolutionnaires comme des citoyens de dernier rang, ont été condamnées pour des crimes non-commis sur la base de l’article 96 du code pénal. Ils ont pour la plupart effectué des séjours en prison marquées par la négligence médicale, l’harcèlement verbal et autres mauvais traitements. Cependant, la cour de la cassation a prononcé son verdict en leur faveur dans divers affaires que l’on peut qualifier de bidons, mais malgré cela, on ose encore, à ce jour, s’attaquer à l’intégrité des magistrats qui ont émis ces jugements et les quelques révolutionnaires bornés osent encore considérer ces personnes comme coupables jusqu’à preuve du contraire.

Et voilà que l’injustice continue : après la sortie de quelques uns des prisons, l’outil des redressements fiscaux vient s’ajouter à cette confiscation tirée par les cheveux, car chaque personne libérée se voit obligée de payer des pénalités fiscales énormes sans avoir la possibilité de s’opposer aux décisions de redressement car les délais se sont écoulés lorsqu’elles étaient incarcérées.

Démocratie et déni du droit

Si aujourd’hui, ces gens sont privés indirectement, par la confiscation et le redressement fiscal, des droits élémentaires : le droit au travail , le droit à l’expression libre, le droit de se déplacer, le droit d’être couvert par la sécurité sociale , le droit d’être propriétaire , le droit d’avoir un compte bancaire, le droit d’être protégé, etc., plusieurs questions peuvent se poser, à ce propos : la Tunisie méritait-elle le prix Nobel de la Paix ? Peut-elle vraiment être qualifiée de démocratique, puisque même le droit d’avoir recours à la justice pour se prononcer sur le volet constitutionnel du décret-loi de la confiscation n’est pas reconnu, et malgré le vote et l’adoption de la loi n°50 de l’an 2015 relative à la cour constitutionnelle, celle-ci n’est pas encore opérationnelle jusqu’à aujourd’hui.

On attendra, donc, le jour J, où cette cour constitutionnelle sera appelée à statuer sur les lois relatives à la confiscation, qui sont injustes, absurdes et aberrantes, pour voir l’ampleur du fiasco de notre justice transitionnelle qui aura, à n’en point douter, un retentissement international.

D’ici là, on continuera à militer par nos modestes moyens pour une cause que l’on croit juste et pour la suprématie des lois censées préserver la dignité de chaque citoyen.

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