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N’en déplaise à Sarkozy, on peut être Français musulman d’origine arabe

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En France, comme ailleurs, chacun doit vivre pleinement sa culture et sa religion sans que cette culture ou cette religion ne deviennent l’alpha et l’oméga de son identité.

Par Dr Salem Sahli *

Nicolas Sarkozy, l’ex-président de la république française et candidat à la primaire de la droite pour les élections présidentielles de 2017 vient de nous gratifier d’une de ces déclarations dont il a le secret. Lors d’un meeting de campagne tenu le 19 septembre dernier à Franconville, il affirme: «Si l’on veut devenir français, on parle français, on vit comme un français». Et plus loin: «Dès que vous devenez français, vos ancêtres sont Gaulois».

Quand commence-t-on à devenir français?

En fait, M. Sarkozy n’en est pas à son coup d’essai. Déjà en 2007, alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle, il avait appelé de ses vœux la création d’un ministère de l’identité nationale et de l’immigration. Il s’y était même engagé en cas de victoire et il a tenu sa promesse malgré les protestations d’une bonne partie de l’opinion.

J’étais de ceux qui pensaient que l’association des deux termes «immigration» et «identité nationale» était choquante, car elle sous-entend que l’immigration constitue une menace pour la culture et les valeurs françaises. Et dans ces valeurs, M. Sarkozy s’en va disserter sur la monogamie, l’égalité homme-femme, la laïcité, la république, la démocratie, la langue française etc. Il lui est dès lors facile d’agiter, sans même avoir à la nommer, la menace que l’immigration représente pour la culture française. Et les amalgames populaires font le reste. Ce jeu très à la mode en France dénote d’une vision simpliste, voire simplette de la société et de l’histoire françaises.

Qu’est-ce que l’identité nationale? A partir de quel jour, quel mois, quelle année commence-t-on à devenir français?

Ce sont ceux qui crient au loup qui l’introduisent dans la bergerie. L’identité française n’est nullement menacée par les musulmans de France (pour faire court puisque c’est d’eux qu’il s’agit). Nous assistons par contre à une peur panique chez certains «Français de souche» de voir évoluer le contenu de la nationalité française. Il s’ensuit chez eux une crispation identitaire qui contribue à alimenter une autre crispation chez les autres «Français de fraîche date» et c’est l’escalade.

Stigmatisation, mise à l’écart et discrimination

Pourtant, il va falloir s’y faire car c’est ainsi: les «barbares» sont bien récalcitrants; ils s’obstinent à conserver des éléments de leur héritage culturel propre et à refuser de les gommer. Ils sont nombreux à se sentir français, musulmans, d’origine arabe. Ils ne se sentent pas Gaulois. En quoi est-ce une menace pour l’identité française?

D’ailleurs, les regards extérieurs, la stigmatisation, la mise à l’écart et la discrimination attisent chez les populations d’ascendance musulmane le sentiment communautariste qui les condamne à n’exister que sur un mode réactif.

Cette question d’identité menacée, tout comme celle du foulard islamique ou encore du burkini, il y a quelques jours, n’est qu’une manœuvre politicienne qui n’honore pas ses auteurs. Il s’agit ni plus ni moins que de subterfuges destinés à noyer le poisson en lâchant à la vindicte populaire une tête de turc, l’immigré, pour détourner les Français de leurs vrais préoccupations à savoir l’emploi, le logement, l’éducation, les retraites, la sécurité, la dignité, l’égalité…

L’identité d’une nation n’est pas quelque chose de figé ni d’immuable. Elle évolue, se construit au gré du temps, par strates successives, à la faveur des influences multiples, des grands événements, des grandes décisions… mais aussi au contact des migrants qui y apposent nécessairement leurs empreintes. Alors, au lieu de regarder par le petit bout de la lorgnette, de restreindre le champ de son identité, tout être humain devrait au contraire revendiquer ses appartenances multiples. En France, chacun peut et doit vivre pleinement sa culture et sa religion sans que cette culture ou cette religion ne deviennent l’alpha et l’oméga de son identité.

N’en déplaise aux nationalistes de tout poil, l’identité nationale française est en fait un pot pourri de multiples influences étrangères qui se sont agrégées au gré de l’histoire du monde. Les Grecs, les Latins, les juifs ont contribué à la construction de cette identité. Mais les Arabes aussi y ont laissé des traces, ne serait-ce que dans le domaine scientifique. En effet, la science sortie du ventre grec n’a t-elle pas longuement séjourné dans la couveuse arabe avant de venir grandir en Europe et particulièrement en France? Sans les hôpitaux du Caire et les minarets de Damas, l’esprit scientifique serait probablement mort au berceau.

Islamophobie opportuniste et fièvre nationaliste

Un très beau texte écrit par le sociologue libanais Joseph Maila résume merveilleusement bien ce que nous sommes en tant que méditerranéen. Il doit à mon avis être sans cesse lu, relu et enseigné (y compris à M. Sarkozy): «Nous sommes dépositaires d’un héritage où l’alphabet fut phénicien, le concept grec, le droit romain, l’ingéniosité carthaginoise, la science arabe, la puissance ottomane, la coexistence andalouse, la sensibilité italienne, la liberté française et l’éternité égyptienne». Nous sommes là à mille lieues de la déclaration pleine de malices que nous a pondue Nicolas Sarkozy lundi dernier.

Que ceux qui voudraient aujourd’hui redéfinir ce qu’est qu’être Français nous éclairent. De toute façon la société française n’arrêtera pas d’évoluer. Espérons seulement que cette effervescence islamophobe pleine d’opportunisme ne dégénérera pas en fièvre nationaliste. Ce qui se passe un peu partout dans le monde mérite d’être médité.

* Médecin et acteur de la société civile.

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