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Le solaire et la mer, le salut de la Tunisie

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Ferme solaire de Saida, en Algérie, pour alimenter une usine de désalinisation de l’eau de mer.

La Tunisie regorge d’ingénieurs en énergies renouvelables et en dessalement solaire d’eau salée, qui pourraient assurer ses besoins croissants en eau et en énergie.

Par Mohamed Chawki Abid *

Le développement durable est devenu le référentiel de la croissance économique, en vue de garantir le progrès social et préserver l’environnement. Conformément aux résolutions de la COP21, le développement durable s’inscrit comme priorité pour le devenir de l’Homme et la protection de la nature.

Depuis longtemps, l’eau douce et l’électricité constituaient les deux ingrédients indispensables pour le développement socioéconomique intégral d’un pays (agriculture, industrie, tourisme, urbanisation, transport, santé, enseignement & recherche…).

Le besoin en énergie ne cessera pas d’augmenter, et les énergies renouvelables sont appelées à se substituer aux énergies fossiles, de plus en plus nocives pour l’environnement : effet de serre, pollution atmosphérique, pluie acide, marée noire, etc.

A l’instar de l’énergie, l’eau deviendra prochainement un enjeu géopolitique majeur. En 2020, la moitié de la planète pourrait manquer d’eau potable. Fournir de l’eau en quantité et en qualité suffisante pour chaque habitant de la planète est l’un des enjeux du XXIe siècle, alors que de nombreux pays sont menacés de pénurie d’eau potable.

1) Stress hydrique :

La Tunisie totalise une superficie de 270.000 km², dont 19% de terres arables (≈5,1 M² ha) et 22% de parcours et de forêts (≈6 M² ha). Elle ne mobilise annuellement que 4,8 milliards m3 d’eau (ruissellement et souterraine), soit une moyenne de 410 m3/habitant/an, niveau très en-deçà du seuil critique défini par le FAO (1.000 m3/hab/an). De ce fait, elle se situe à la 9e place du classement mondial des pays menacés de pénurie d’eau. A ce titre, elle a vécu cette année (20015/2016) une sécheresse préoccupante, qui a impacté négativement les grandes cultures et l’arboriculture ainsi que les réserves des barrages.

Il est utile de rappeler que la sécurité hydrique se définit par le FAO par la segmentation suivante :
– 2.500 m3/hab/an : seuil de vulnérabilité face à la sécheresse ;
– 1.700 m3/hab/an : seuil de pénurie ;
– 1.000 m3/hab/an : seuil de pénurie chronique ;
– 500m3/hab/an : seuil de pénurie structurelle.

Sachant qu’il faut environ 3000 m3/an pour irriguer un hectare de céréales, l’irrigation de 5 M² ha de terres arables nécessite environ 15 milliards m3 d’eau douce par an. Seule une action d’envergure en matière de renflouement de nos ressources, notamment par un apport de sources non conventionnelles (dessalement de l’eau de mer), peut mettre un terme au stress hydrique récurrent sévissant dans notre pays.

La Tunisie dispose de 1.300 km de côte maritime rendant possible le dessalement d’eau de mer pour soigner son stress hydrique préoccupant (410 m3/hab/an) et, par suite, contribuer au développement des cultures irriguées ainsi qu’à la maîtrise les importations alimentaires de base (céréales, sucre, huile végétale, aliments de bétail…), dont la valeur frôle 4 milliards de dinars par an, voire à la promotion des exportations de produits agricoles (huile d’olive, agrumes, primeurs, etc.).

2) Déficit énergétique :

Par ailleurs, la Tunisie est arrosée par du rayonnement solaire, nous procurant un potentiel d’électricité solaire de l’ordre de 2.000 kWh/an/m² contre une moyenne terrestre d’environ 1.300 kWh/an/m². Malgré cette surabondance d’énergie solaire, et en dépit de la baisse favorable du coût de revient (2 à 3 cent d’€ le kWh), le pays investit encore dans le fossile et tourne le dos à ce gisement à ciel ouvert très convoité par les puissances européennes.

A ce titre, le dossier d’exploration du gaz de schiste est ré-ouvert par le ministère de tutelle pour en assurer la promotion, tandis que un projet de centrale électrique à charbon importé est pris au sérieux par les autorités compétentes. En outre, le déficit de la balance énergétique avoisine 5 millions de tonnes équivalent pétroles (tep), et contribue à l’aggravation de notre déficit commercial d’au moins 3 milliards de dinars par an.

Toutefois, l’intermittence de l’énergie solaire l’empêche de déloger rapidement les énergies fossiles, dans la mesure où les opportunités de stockage sont limitées et onéreuses. Plusieurs techniques de stockage sont en cours de développement et de perfectionnement : batterie chimique, ascenseur hydraulique, réservoir cinétique, etc.

Pour la Tunisie, l’ascension électro-solaire de l’eau dessalée, vers les barrages existants, pourrait constituer une alternative satisfaisante: transport solaire, stockage d’eau, électricité hydraulique et distribution gravitaire. La nuit, le barrage fonctionne en alternateur pour produire de l’électricité utile. Ainsi, l’association d’un barrage à des panneaux PV conduirait à une électricité verte, disponible nuit et jour à un coût économique (4 à 6 cent d’€ le KWh).

3) Enjeux économiques :

L’analyse SWOT de l’économie nationale révèle l’existence de moult faiblesses sectorielles aisément réparables pour aboutir à une configuration structurellement pérenne et génératrices de projets d’investissement productif. Si nous parvenions à assurer notre double autonomie alimentaire et énergétique à moyen terme, nous pourrions tourner la page de la dépendance économique.

Face à la montée en flèche du déficit alimentaire et du déficit énergétique, et devant la pression exercée par Bruxelles pour nous imposer l’Accord de libre échange complet et approfondi (Aleca) avec toutes ses menaces sur l’économie nationale notamment sur l’agriculture, il n’est plus permis de tergiverser quant à l’exploitation optimale de nos deux richesses naturelles inépuisables (rayonnement solaire + eau de mer). Ceci nous permettra de réparer notre stress hydrique pour donner du tonus à notre agriculture et, de réduire nos importations en énergies fossiles nécessaires pour les centrales électriques, et ce, à la faveur de l’installation de stations solaires (hybrides avec cogénération) de dessalement d’eau de mer (pour l’agriculture) et de production d’électricité verte (pour l’industrie).

Plusieurs études révèlent que la substitution de l’électricité solaire à l’électricité fossile, et la fourniture de l’eau solaire en quantité suffisante pour l’irrigation agricole (≈15 milliards m3/an), consolideront la croissance économique, favoriseront la création d’un million de postes d’emplois permanents, et pourront à terme inverser la physionomie de la balance commerciale.

4) Vertus du solaire :

Depuis plus de cinq ans, plusieurs Experts tunisiens avaient vivement recommandé aux gouvernements successifs d’édifier un «modèle économique» axé sur la valorisation industrielle des richesses naturelles, disponibles en abondance dans l’arrière-pays (minerais, saumures, produits de carrières, substances végétales, etc.). A ce titre, ils ont particulièrement insisté sur l’urgence de l’exploitation adéquate de nos deux richesses inépuisables, à savoir:
1) rayonnement solaire;
2) eau de mer.

La mise en œuvre d’un processus modulaire de dessalement solaire d’eau de mer et de production solaire d’électricité (avec cogénération) devait procurer au pays une bonne couverture :
1) de ses besoins hydriques : eau douce pour l’alimentation humaine et le développement agricole (irrigation, élevage) et;
2) de ses besoins énergétiques : électricité pour l’industrie le tourisme l’habitation, et, plus tard, en hydrogène au titre de néo-carburant pour les moteurs thermiques.

Si nous privilégions l’investissement national dans la production de l’électricité solaire, nous serions en mesure de résorber notre déficit énergétique et de garantir la sécurité d’approvisionnement pour notre industrie. En outre, l’excédent de production électrique serait aisément exportable, de par l’écart de compétitivité avec les pays européens et la souplesse de la logistique de transport, ainsi que les exigences en matière de protection de l’environnement (COP21). Aussi, la production d’hydrogène solaire réduirait notre déficit en carburants pour les moteurs à combustion (véhicules, engins…).

Au-delà des technologies classiques de production d’électricité solaire (PV ou CSP, ne livrant que 30% de leur capacité), il y a de nouvelles technologies en cours de développement qui permettront de monter plus haut jusqu’à dépasser 60%.
Si nous venions à décider d’un plan national de dessalement solaire de l’eau maritime (ou saumâtre en terre), nous serions capables de dépasser progressivement le seuil de pénurie hydrique (1700m3/hab/an, contre actuellement 410 m3/hab/an) et notre balance alimentaire serait structurellement excédentaire. Plusieurs études révèlent que nous pourrions tripler notre production agricole. L’installation de stations solaires maritimes sur le littoral, nous permettra de produire de l’eau potable (ou à salinité modérée) pour l’arrosage des grandes cultures (blé, orge, maïs, betteraves à sucre, fourrages…) et l’irrigation de nos champs d’arboriculture souffrant de stress climatique (oliviers, orangers, amandiers, pommiers…). C’est dire l’importance du potentiel hydro-agricole qui gagnerait à être exploité dans un proche avenir, moyennant une planification judicieuse.

Parmi les stations solaires mixtes (électricité verte, eau dessalée), on peut citer celle qui fonctionne selon la technologie de «miroirs de Fresnel». Orientés de façon à suivre la course du soleil, les miroirs mobiles concentrent les rayons du soleil sur un tube récepteur fixe placé à une dizaine de mètres au-dessus du sol. A l’intérieur du tube récepteur, circule de l’eau, qui est alors chauffée puis transformée en vapeur, celle-ci est valorisée pour la production :
– d’électricité, via un groupe turbo-alternateur;
– d’eau douce, par condensation de la vapeur.

A titre indicatif, on trouve dans les littératures que 1 km² de miroirs dans une station solaire modulaire de production d’électricité et d’eau dessalée (selon le procédé de cogénération) pourrait engendrer annuellement :
– 250 GWh d’électricité;
– 60 M² m3 d’eau douce;
– 1,8 M² tonnes de sel, et
– 0,25 M² tonnes de CO2 évité.

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5) Perspectives de résorption du déficit commercial :

Notre consommation annuelle en électricité s’établit à 17.000 GWh, avec une croissance de 6% l’an, dont la production est essentiellement assurée par les centrales thermiques à gaz. Actuellement presque la moitié des besoins en gaz sont importés. Dans la perspective d’une optimisation de la balance énergétique, l’électricité solaire produite devrait au moins couvrir la croissance en consommation (afin de réduire nos importations en hydrocarbures), jusqu’à dégager un excédent exportable sur les pays de l’Union européenne (UE). A titre indicatif, l’exportation de 5.000 GWh génère des recettes ≈ 500 M²€ majorées d’une prime d’évitement de CO2 de l’ordre de 180 M² €. Une planification pragmatique des nouvelles stations solaires pourrait procurer à terme un gain de flux financier ≈ 3 à 5 M3 TND par an.

Quant à l’optimisation de la balance alimentaire, l’eau dessalée (ou à salinité modérée) sera employée dans le développement du secteur agricole, pour booster la production végétale et animale en vue de réduire le recours à l’importation (céréales, sucre, viande rouge…) et de consolider notre potentiel d’exportation (huile d’olive, agrumes, dattes, autres fruits et légumes). Schématiquement, le plan stratégique peut être décliné comme suit :

– irrigation d’appoint des cultures céréalières pour redresser les rendements (de 15Q/ha à 50Q/ha), en vue de produire 2 M² Tonnes de céréales en substitution aux importations structurelles (gain de flux : ∆ ≈ 1,2 M3 TND) ;

– extension des périmètres irrigués pour la culture intensive de la betterave à sucre, en vue de produire 0,4 M² Tonnes de sucre en substitution aux importations annuelles (∆ ≈ 0,6 M3 TND) ;

– transformation de la culture en sec des oliviers en culture en irrigué, en vue de quintupler la production en huile d’olive et développer nos exportations dans un marché international en constante croissance (∆ ≈ 3 M3 TND);

– amélioration de l’irrigation de l’arboriculture (notamment les fruits exportables : orangers, grenadiers, etc.) et des cultures maraîchères (notamment les produits importés ou exportables : melon, pomme de terre…), de nature à améliorer le flux de devises (∆ ≈ 0,3 M3 TND);

– développement des cultures fourragères et des industries de traitement des sous-produits alimentaires en vue d’accroître la production d’aliments de bétail et de réduire la facture d’importation des ingrédients (soja, maïs, etc.), des huiles végétales, et des viandes rouges (∆ pouvant aller de ≈ 0,5 M3 à 2 M3 TND);

– éclosion de projets d’investissement dans le secteur des Industries Alimentaires: jus & confitures de fruits, fromages, huiles végétales, conditionnement d’huile, etc.

Ainsi, et en régime de croisière, la balance commerciale alimentaire observera une évolution favorable de l’écart de ses flux financiers, qu’on pourrait estimer à environ 7 M3 TND.

Par conséquent, et en réunissant le gain énergétique avec le gain alimentaire, le déficit de notre balance commerciale pourrait être résorbée d’au moins 10 M3 TND sur le moyen terme, jusqu’à son extinction à long terme.

6) Démarche de mise en œuvre :

Dans le cadre d’une souscription à cette stratégie salutaire, qu’avons-nous fait pour que nos compétences locales puissent être émancipées en vue de se mettre au service du pays?

Malheureusement, nos chercheurs continuent à être placardés dans les ghettos de Ben Ali, alors que des bizuts du FMI et de l’UE viennent nous vendre leurs prestations démagogiques sans opportunité économique ni justification pragmatique : centrales électriques au charbon importé, dessalement électrique par osmose inverse, gaz de schiste pour centrales thermiques, etc.

Pourtant la Tunisie regorge d’ingénieurs et de chercheurs en «énergies renouvelables» et en «dessalement solaire d’eau salée», mais qui sont encore marginalisés, payés pour rester inactifs dans des centres de recherche fantômes.

Paradoxalement, notre plan 2016-2020 n’a réservé aucun chapitre pour l’exploitation optimale de nos richesses naturelles, dont notamment le rayonnement solaire et l’eau de mer. En fait, les deux assistants étrangers à l’élaboration du plan quinquennal, GIZ et Pnud, considèrent que la réalisation de tels projets doit être confiée aux IDE sous prétexte que les bailleurs de fonds traditionnels sont sceptiques à leur financement (s’agissant de projets de mise valeur des richesses naturelles).

7) Conclusion :

Le Patriotisme fut autrefois la Valeur d’Union de nos grands pères, ceux qui se sont battus pour l’indépendance. Malgré leurs différences, ils n’avaient qu’un but : leur patrie indépendante et souveraine. Ils ont alors monté un pays de toutes pièces. En dépit de la modicité de ses ressources naturelles, ils ont construit des routes, des écoles, des hôpitaux, des barrages, des ateliers de montage, des usines manufacturières, des stations de mise en valeur, des complexes de transformation, etc. Ce faisant, ils ont réussi à former des compétences humaines, et à développer une économie plurisectorielle confirmée par un PIB bien ventilé.

Aujourd’hui, l’opportunisme s’est substitué au patriotisme, la paraisse a pris la place de la combativité, et le laxisme a délogé la responsabilité. Les princes successifs continuent à croire qu’il n’est pas inquiétant de financer l’importation des «biens de consommation» par de la dette extérieure moyennant la «cession d’actifs productifs» et la «concession de richesses naturelles», même si cette démarche nous conduit à terme vers un nouveau modèle de colonisation.

Pourtant, plusieurs mégaprojets ont aujourd’hui une opportunité économique incontestable pour créer des emplois, couvrir des besoins incontournables, contribuer à la maîtrise des grands équilibres, et stimuler la réalisation de petits et moyens projets d’investissement.

Parmi les mégaprojets économiquement viables et financièrement rentables, on peut citer:
a) centrale thermique solaire, de production d’électricité pour l’industrie;
b) station de dessalement solaire d’eau de mer pour les besoins d’irrigation;
c) complexe industriel de mise en valeur de richesses minières, fossiles et de carrières;
d) réseau autoroutier et ferroviaire pour relier l’arrière-pays aux zones littorales;
e) capitale administrative par l’extension rationnelle et l’urbanisation moderne de Kairouan…

Si nos politiciens décidaient de travailler plus, de causer moins, de réfléchir mieux et de mettre à contribution nos compétences nationales, le patriotisme serait recouvré, l’opportunisme serait maîtrisé, le dévouement serait retrouvé, le syndicalisme serait raisonné, la frustration serait atténuée, le comportemental serait amélioré, et le pays s’inscrirait en croissance pérenne et fructueuse.

* Ingénieur économiste.

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