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L’Etat tunisien otage des corporatismes honteux

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Avec quels moyens l’État pourra-t-il s’acquitter des tâches qui lui incombent, si chacun renâcle devant son devoir fiscal et refuse de payer sa dette à la communauté?

Par Mohamed Ridha Bouguerra *

«Cette liberté que nous prétendons représenter et défendre, n’est le plus souvent que le droit d’en faire à notre tête, à notre guise, et serait mieux nommée insubordination», écrivait André Gide dans son ‘‘Journal’’, en date du 2 juin 1918.
La Tunisie est, en ce moment, en état pré-insurrectionnel et le gouvernement doit faire face à la meute féroce des divers organismes corporatistes à l’égoïsme monstrueux ainsi qu’aux syndicalistes bornés et à courte vue. Port d’un brassard rouge par certains, appels à la désobéissance fiscale, voire à la désobéissance civile, par d’autres. Ce sont là des actions et décisions auxquelles, par esprit de corps, se joignent, malheureusement, des voix autorisées et qui jouissent, dans la société, d’un crédit moral certain et que beaucoup leur envieraient.

Qui aurait peur de plus de transparence ?

Avocats, médecins, pharmaciens, cafetiers, et j’en passe, montent chaque jour au créneau pour dénoncer le projet de loi de finances de 2017 en la qualifiant, comble du ridicule, d’anticonstitutionnelle et d’antipatriotique. Rien que ça ! Loi, pourtant, qui, soit dit en passant, n’impose, à ces catégories sociales, ni de nouvelles taxes, ni ne les sollicite pour de nouvelles contributions en vue de renflouer les caisses vides de l’État. Seuls sont prévus, dans les textes relatifs au prochain exercice du budget, des mécanismes comptables inédits destinés à apporter aux services du contrôle financier des données fiables et sûres quant aux bénéfices réels des intéressés et à leur chiffre d’affaires annuel. Ainsi, l’administration n’aura plus à se contenter, comme jusqu’ici, de leurs seules déclarations sans plus de vérification possible.
Qui aurait peur de plus de transparence en vue de plus d’équité devant l’impôt?

Ne dit-on pas, dans la langue de Molière, qui se sent morveux se mouche? C’est dire que seul celui qui a quelque chose à se reprocher se sent visé par une critique donnée!

Des dirigeants syndicalistes n’excluent pas, quant à eux, des grèves générales dans la fonction publique au cas où le gel des augmentations de salaires en 2017 serait effectif.

Quant à l’Utica, elle avance en reculant et en posant des conditions quand il s’agit d’accepter la taxe exceptionnelle prévue dans la nouvelle loi de finances et qui sera imposée seulement aux sociétés qui réaliseront des bénéfices afin de ne pas pénaliser davantage les entreprises qui auront connu des difficultés de trésorerie au cours de l’exercice 2017.

À Jemna, on s’achemine, carrément, vers l’insubordination, suite au blocage du compte bancaire de l’association qui gère, sans autorisation, depuis 2011, la palmeraie Stil, propriété de l’État. La même mesure frappe le compte bancaire de l’acquéreur de la récolte de dattes de cette année. Grève générale dans la région et marche sur la capitale, entre autres actions, viennent d’être annoncées par les dirigeants de l’association.

Les chauffeurs de taxis, eux, ont décidé une grève dans tout le pays pour le 31 du mois. Ils refusent de régler les amendes qui les frappent, tantôt, disent-ils, pour le port d’une barbe de trois jours, tantôt pour le port d’un jean ou de baskets. Les mesures d’hygiène, de propreté et d’une tenue correcte, auxquelles ils ont toujours été astreints, se trouvent, aujourd’hui, remises en question.

Les contribuables sont-ils égaux devant le fisc?

Ainsi, des pans entiers de la société n’hésitent plus à déclarer clairement leur insubordination et décident donc de se mettre au-dessus des lois.

Les uns proclament qu’eux et eux seuls sont en mesure de dire s’ils doivent payer ou non l’impôt sur le revenu; eux et eux seuls sont encore en mesure de décider du taux qui leur sera appliqué.

Les autres excipent de la dimension quasi altruiste de leurs activités professionnelles. Générosité et abnégation sont les mots qui leur viennent à la bouche pour caractériser leur travail au quotidien et pour justifier, dans la foulée, leur refus d’être traités, au niveau de l’impôt, comme «des épiciers» ou n’importe quelle activité commerciale. Vous pouvez toujours évoquer ici le devoir fiscal et le souci de l’égalité de tous les contribuables face au fisc ainsi que le minimum de sacrifice à consentir en raison de la mauvaise conjoncture économique que connaît le pays.

Il y a aussi ceux, comme les pharmaciens, qui crient à la ruine et à la faillite et ne font plus confiance à l’État: ils refusent de faire, momentanément, crédit aux caisses d’assurance maladie qui attendent le nouveau budget pour qu’elles leur versent leur dû. Ainsi, ce sont les plus démunis qui se trouvent pénalisés car obligés de payer entièrement leurs médicaments et non plus seulement le tiers-payant.

D’autres, enfin, à les entendre, ne font que reprendre par la force les biens dont, jadis, leurs ancêtres ont été spoliés.
Autant dire que la «somalisation» du pays et l’anarchie frappent à notre porte ! Qui les entend vraiment?

Tous réclament, cependant, et à juste titre, des hôpitaux, dispensaires, routes et des institutions éducatives mieux entretenues, la création davantage de postes de travail et moins de chômage, une sécurité plus grande dans les quartiers et sur la voie publique, une vigilance de tous les instants afin d’éradiquer l’hydre du terrorisme.

Mais, avec quels moyens l’État pourra-t-il s’acquitter de ces tâches qui lui incombent, en effet, si tout un chacun renâcle devant son devoir fiscal et refuse de payer sa dette vis-à-vis de la communauté nationale?

Il nous reste, bien sûr, l’étranger auprès de qui on pourra toujours aller quémander afin qu’il nous règle nos salaires et autres pensions de retraite ou rééchelonne nos remboursements. Sans oublier les emprunts que nous sollicitons de plus en plus comme ce milliard d’euros à trouver et dont le gouverneur de la banque centrale vient de nous réjouir avec un commentaire insultant pour l’intelligence des Tunisiens puisque, selon les propos de notre grand argentier, c’est là le signe de l’ouverture de la Tunisie sur le monde ! Cet énième emprunt servira, sans doute, comme d’autres prêts depuis 2011, à payer des dettes déjà contractées ainsi que le service de la dette. Nous sommes donc bien entrés dans un cycle infernal mais tout le monde fait semblant de ne s’en être pas encore aperçu !

Savez-vous qu’en allemand le même terme désigne, à la fois, dette et faute?

Honte aux corporatistes monstrueusement égoïstes soucieux uniquement de leurs intérêts et qui pensent que, lors du naufrage général qui nous attend, ils pourront, seuls, tirer leur épingle du jeu !

Honte à tous ceux qui préfèrent s’aveugler plutôt qu’ouvrir les yeux sur la banqueroute qui nous menace par trop d’avidité et d’égoïsme !

Honte à un peuple qui, dans la plus crasse insouciance, mange son blé en herbe !

L’Histoire ne nous pardonnera sans doute pas d’avoir légué un lourd héritage à nos enfants et d’avoir si légèrement hypothéqué l’avenir des générations futures !

* Universitaire.

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