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États-Unis : Quel candidat pour quelle politique étrangère ?

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Clinton et Trump sont les principaux candidats pour la présidence des Etats-Unis. Il serait intéressant d’avoir une idée de leurs approches respectives de la politique étrangère.

Par Marwen Bouassida*

Le 8 novembre 2016 sera une date marquante dans l’histoire des États-Unis et du monde entier. C’est le jour de l’élection du 45e président américain. Un président dont les prérogatives dépassent le cadre de la gestion des intérêts nationaux pour lui permettre, en tant que chef d’une hyperpuissance, d’imposer une réalité internationale à laquelle les acteurs ne peuvent souvent que souscrire.

Une nation exceptionnelle

À la course à l’investiture, on trouve quatre candidats : Hillary Rodham Clinton, Donald Trump, Jill Stein et Gary Johnson. Ceux-ci bien qu’ayant passé aisément les primaires ne semblent pas avoir des chances égales aux finales. Des éléments matériels comme la base populaire, le support financier et médiatique font que les deux premiers sont plus avantagés que les deux autres. C’est donc entre Hillary Clinton et Donald Trump que la concurrence est la plus rude. Et il serait intéressant d’avoir une idée, fût-elle générale, de leurs approches respectives de la politique étrangère.

Parler de la politique étrangère des États-Unis n’est pas chose aisée, surtout lorsqu’il s’agit d’anticiper. Mêmes les campagnes électorales des deux candidats n’ont envisagé la question qu’à titre marginal et sans contenu sérieux. Les Américains ne s’y intéressent pas. Cela s’explique : les États-Unis d’Amérique seraient une nation exceptionnelle, selon leur mythe fondateur.

Cet exceptionnalisme américain constitue le fond commun de la politique étrangère de Clinton et de Trump. Mais c’est son usage qui diffère. Si Clinton cherche à l’exporter même militairement aux autres peuples; Trump cherche, en revanche, à le présenter comme un privilège réservé au seul peuple américain. Autrement dit, si Clinton est internationaliste, Trump, lui, est nationaliste. En cela réside la distinction fondamentale et la clé de voûte pour comprendre la politique étrangère des deux candidats.

L’internationalisme d’Hillary Clinton

Hillary Clinton est une libérale internationaliste et humanitariste. Son parcours politique coïncide avec les interventions humanitaires dont l’objectif est de sauver les peuples des tyrans. Elle prône ainsi un discours de droits humains qu’on peut situer dans la même lignée politique que celle du président Jimmy Carter pour qui «les droits de l’Homme sont l’âme de la politique étrangère américaine».

Le mode opératoire de cette politique est de supporter les mouvements sociaux, les droits de l’Homme, de la femme et des minorités afin de provoquer les régimes considérés par les Etats-Unis comme dictatoriaux, et toute réaction répressive de leur part sera mise à l’index politiquement et médiatiquement afin de faire pression, d’obtenir des concessions, mais aussi afin d’encourager la population à se révolter contre eux. Cela peut aller jusqu’à l’intervention militaire.

Mais contrairement à Carter, qui a exercé sa fonction présidentielle à une époque difficile dans un monde bipolaire en plein guerre froide, et avec un droit international rigide et souverainiste, Clinton se trouve aujourd’hui dans un monde unipolaire où les Etats-Unis sont la seule hyperpuissance mondiale, et avec un droit international plus souple où intervenir en matière de violations des droits humains est une obligation, et parfois même l’intervention militaire se trouve être un devoir. C’est cette alliance des droits de l’Homme et de l’hyperpuissance militaire qui caractérise la politique étrangère de Clinton.

Ce discours humanitaire est adoptée par Hillary Clinton dès sa jeunesse, depuis son engagement contre la guerre de Vietnam, et s’est davantage développé dans les années 1990 connues comme étant «l’ère de l’humanitaire» et dans le début des années 2000 marquant avec les attaques du 11-Septembre le «Nouvel Ordre Mondial». Cela coïncide avec deux décennies durant lesquelles le droit international a connu des mutations permettant de légitimer l’intervention militaire dans et/ou contre des États souverains pour des motifs de légitime défense, même préventive et contre des organisations non-étatiques, ou encore de protection de personnes en danger, fussent-elles un peuple menacé par ses gouvernants.

Hillary Clinton a toujours milité pour cette cause, au pouvoir comme dans l’opposition, en Yougoslavie, en Irak, en Libye ou encore en Syrie, contre des gouvernements dont la politique est souvent hostile aux intérêts américains et israéliens, et proche de ceux de la Russie. En conséquence, ces interventions humanitaires ont permis à la fois d’affaiblir la Russie et de renforcer les intérêts des États-Unis et d’Israël.

Tous ces éléments parmi d’autres ont conduit Diana Johnstone, universitaire américaine et journaliste politique, à constater dans son livre critique ‘‘La Reine du Chaos’’ (2015) que la politique étrangère d’Hillary Clinton se situe à la croisée des chemins de deux doctrines : celle de Zbigniew Brzezinski et celle des néo-conservateurs.

Zbigniew Brzezenski était le conseiller de Carter dont Hillary Clinton descend en droite ligne politique. Dans son livre majeur : ‘‘Le Grand échiquier : L’Amérique et le reste du monde’’ (1997), il prône l’idée selon laquelle : Pour la paix mondiale, une seule superpuissance devrait dominer. Pour ce faire, il faudrait alors affaiblir toutes les forces concurrentes, faute de pouvoir les soumettre.
Hillary Clinton semble adopter cette même doctrine. On peut le remarquer à partir de ses positions à l’égard de Poutine qu’elle a déjà qualifié de «Nouvel Hitler» et à qui elle a déjà joué la carte des droits humains en dénonçant sa politique liberticide et homophobe, essentiellement avec les deux cas respectifs des Pussy Riots et des athlètes des Jeux Olympiques de Sotchi 2014.

On peut aussi percevoir cela par son soutien aux nationalistes ukrainiens contre l’annexion de la Crimée et par la pression qu’elle a faite sur ses alliés pour qu’ils s’opposent au projet de l’Eurasie, qui cherche à édifier une confédération politique et économique entre la Russie et ses Etats voisins. Et le cas de la Syrie serait peut-être le plus actuel et démontrant plus nettement le croisement de cette politique avec celle des néo-conservateurs.

Les néo-conservateurs sont un réseau d’intellectuels, de hauts fonctionnaires, d’hommes d’affaires et de médias organisés dans des laboratoires d’idées, dits «Thinks Tanks» parmi lesquels RAND Corporation, proche des cercles du pouvoir. Ce réseau est né durant les années 1960 autour d’universitaires dont Albert Wholstetter, Irving Kristol, Milton Friedman et Leo Strauss qui s’opposaient au réalisme de Henry Kissinger adepte de la politique des compromis politiques immédiats, et soutenaient plutôt l’idéalisme de Wilson prônant une politique étrangère fondée sur des choix stratégiques de longs termes, l’édification de la nation (nation-building) et l’exportation des valeurs américaines.

Ce réseau s’est développé durant les années 1990 grâce à son rapprochement des groupes de pression israéliens dont la famille Saban qui finance l’actuelle campagne électorale de Clinton. Il a connu son apogée avec l’administration George W. Bush dont plusieurs membres en faisaient partie. On trouve parmi ses actuels idéologues : Paul Wolfowitz, William Kristol et Robert Kagan, l’époux de Victoria Nuland, porte-parole du cabinet de Clinton auprès du secrétariat d’État. Gilles Kepel dans son livre ‘‘Fitna : Guerre au cœur de l’Islam’’ (2004) rapporte que ces idéologues néo-conservateurs défendent l’idée que la meilleure façon de combattre le terrorisme et de protéger Israël est de changer la carte du Moyen-Orient, balkaniser les Etats arabes et leur imposer le libre marché, la démocratie et le respect des droits de l’Homme.

On remarque alors la similitude de la politique humanitariste et de la doctrine néo-conservatrice. Cela explique pourquoi plusieurs républicains soutiennent Hillary Clinton plutôt que le candidat de leur parti : Donald Trump.

Le nationalisme de Trump

Donald Trump est un conservateur nationaliste. Son parcours politique n’est pas remarquable en raison de sa position minoritaire au sein du Parti Républicain. À part son rapprochement de courte durée avec les présidents Reagan et George Bush 1er, il s’est trouvé toujours dans l’opposition.

Avant sa présentation aux élections, il était plus connu auprès du public américain comme étant un homme d’affaire et une célébrité médiatique. Sa réussite aux élections primaires n’est pas alors le résultat d’un parcours politique exceptionnel. Il semblerait que d’autres considérations aient eu des influences déterminantes. À part sa célébrité, on trouve qu’il a bien tiré profit des désaccords de différentes affinités au sein de son parti, et qu’il a réussi à attirer et mobiliser autour de sa personne les républicains non-internationalistes. Ceux-ci sont généralement les citoyens américains communs, de niveaux éducatifs moyens et anti-élitistes. Ils composent essentiellement les factions : conservatrice traditionnelle, évangéliste et nationaliste.

C’est sur la base de cette coalition peu conventionnelle et idéologiquement transversale que Colin Dueck, universitaire américain et politologue, constate dans un article intitulé «Republican Party Foreign Policy : 2016 and Beyond», publié le 22 juillet 2016 dans la revue ‘‘Foreign Policy Research Institute’’, que la politique étrangère de Donald Trump est une politique nationaliste non-interventionniste.

Cette politique étrangère était dominante au sein du Parti Républicain durant les années 1930, mais elle avait régressé depuis la Seconde Guerre Mondiale au profit du conservatisme internationaliste et anti-communiste. Celui-ci était adopté par tous les présidents américains républicains depuis Dwight Eisenhower.

Il faudrait noter à ce point que les non-interventionnistes ne sont pas nécessairement des isolationnistes; ils sont pour une présence militaire en outre-mer, mais font prévaloir l’économie sur la politique. Ils reprochent alors le niveau élevé des dépenses en matière militaire, refusent de s’engager dans des guerres qui ne concernent pas directement les États-Unis comme les interventions humanitaires, rejettent les engagements militaires multilatéraux et l’Otan, dédaignent l’édification de la nation (nation-building) et la gouvernance mondiale. Pour eux, seule la menace contre la sécurité nationale des États-Unis nécessite l’intervention. Ils sont alors aux antipodes des internationalistes conservateurs, libéraux, humanitaristes et des néoconservateurs.

Tous ces éléments peuvent expliquer le discours de Donald Trump pour qui tout le mal des États-Unis vient de l’étranger. Il appelle alors à expulser les musulmans, à réduire l’immigration, à limiter l’importation, à quitter l’Otan, à être payé pour la protection de l’Arabie Saoudite, à faire diminuer les taxes finançant des guerres inutiles, à une coopération avec la Russie de Poutine, à forcer le Mexique à bâtir un mur de séparation, etc.

Ces promesses, quoique paraissant peu réalistes, trouvent un écho aux oreilles de plusieurs américains qui voient en Trump leur sauveur d’une élite corrompue et vendue aux étrangers. Sa politique anti-establishment semble lui faire attirer des larges couches sociales et des sympathisants qui se sentent économiquement, socialement et culturellement menacés par la politique d’ouverture et d’intervention suivie par les précédentes administrations. Cependant, ils ne semblent pas pouvoir lui assurer la majorité suffisante pour accéder à la magistrature suprême. Les sondages d’intentions de vote notent à l’heure actuelle une certaine avance d’Hillary Clinton. Mais la course n’est pas encore terminée et toute surprise est possible.

* Etudiant chercheur en droit international et relations Maghreb-Europe.

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