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Cimetière juif du Borgel de Tunis : Trésors patrimoniaux jetés au rebut

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Visite au cimetière juif du Borgel, à Montplaisir, un quartier dynamique et huppé, au cœur de Tunis.  Un véritable «champ de ruines».

Par Habib Trabelsi

La cantatrice charismatique et «bien-aimée» Habiba Msika, le chanteur cheikh El-Afrit, le boxeur Young Perez, qui détient toujours le titre de plus jeune champion du monde dans sa catégorie, ou encore le militant nationaliste Georges Adda, et bien d’autres personnalités moins populaires mais non moins illustres, doivent se retourner dans leur tombe.

Ce lieu de repos éternel, de recueillement et de mémoire collective, abrite plus de 25.000 tombes, dont les restes mortels de célébrités de la communauté juive qui a offert à la Tunisie d’éminents hommes politiques, de médecins, d’avocats émérites, de champions sportifs de réputation mondiale, d’artistes (musiciens, chanteurs, peintres…), d’hommes de lettres, de journalistes et d’industriels illustres.

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Tombe de  cheikh El-Afrit.

Roger Bismuth : «Préserver la mémoire de nos ancêtres»

Ce patrimoine funéraire, un musée à ciel ouvert, est en voie de délabrement et menace ruine par manque d’entretien, faute de descendants vivant sur place, et pour avoir subi des actes de vol et de vandalisme, surtout après la chute du régime de Ben Ali, le 14 janvier 2011.

L’Association internationale du cimetière juif de Tunis (AICJT), avait fait état, en janvier et février 2013, de profanations par des salafistes fanatiques de cimetières juifs, surtout au Kef et à Sousse.

Les rares visiteurs doivent faire mille et une acrobaties à travers des amoncellements de pierres tombales, de dalles, de stèles de grands rabbins, au milieu d’une végétation touffue d’arbustes, de troncs de palmiers et de ronces sur une terre argileuse, bref un véritable «champ de ruines».

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Tombe de Habiba Msika.

Pour atteindre les sépultures de la «diva» Msika, du «génie» d’El-Afrit (comme le surnommaient affectueusement ses compagnons), ou encore du Grand rabbin Mordekhaï Smadja, du bâtonnier Albert Bessis, du médecin David Scialom, réputé par son dévouement pour les pauvres, ou celles du père et du grand-père de Georges Wolinski, le dessinateur tué dans l’attentat du 7 janvier 2015 contre ‘‘Charlie Hebdo’’, les visiteurs doivent «marcher sur des œufs».

Le spectacle est désolant en ce dimanche de Toussaint au Borgel, le plus grand cimetière juif du Maghreb: tombes lézardées ou effondrées, marbre ébréché et noirci, guenizas (jarres en terre cuite dans lesquelles sont entreposés des objets sacrés) éparpillées et éventrées), épitaphes salies et effacées…

Inauguré en 1894 par le Grand-rabbin de Tunisie, Élie Borgel, décédé en 1898 et inhumé dans ce même cimetière, le Borgel se divise en deux parties séparées par un mur mais communiquant l’une avec l’autre, l’une regroupe les juifs d’origine tunisienne (Touensa), l’autre les juifs d’origine européenne (Granas).

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Tombe de Habiba Msika.

Le Borgel abrite notamment un monument aux morts et un monument en mémoire des juifs morts sous l’occupation de la Tunisie par les troupes de l’Axe.

«Nous faisons ce que nous pouvons pour l’entretien et le nettoyage du cimetière et la réhabilitation des tombes pour préserver la mémoire de nos ancêtres et faire connaître à nos jeunes l’histoire de la Tunisie», déclare à Kapitalis, Roger Bismuth, président de la Communauté juive de Tunisie.

«Mais pour entretenir le cimetière, où pour visiter les tombes de nos ancêtres il faut toute une gymnastique sur un terrain argileux, il faudrait des fonds, beaucoup d’argent. Il faudrait tout cimenter pour empêcher l’herbe de repousser et les voleurs d’entrer pour voler du marbre», ajoute M. Bismuth, également président d’honneur de l’AICJT, une association créée en mars 2007 pour établir un inventaire précis des tombes et participer à la restauration et à l’entretien des lieux.

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Guenizas.

Un tourisme religieux en manque de souffle

Le gardiennage et l’entretien du cimetière sont assurés par la famille Saad qui y habite depuis 1956. Elle est rémunérée par la communauté et vit également des dons des visiteurs qui se font très rares depuis la révolution.

«Avant, les visiteurs affluaient par centaines, surtout avant ou après le pèlerinage de la Ghriba, dans l’île de Djerba. Cela créait une dynamique à l’intérieur et à l’extérieur du cimetière», confie à Kapitalis » Henda, la fille, nostalgique, en regrettant l’ambiance frétillante de vie dans ce lieu de repos éternel qu’elle connaît «comme le fond de sa poche».

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C’est pourquoi elle guide les visiteurs à la recherche de leurs proches, surtout les plus illustres, ceux qui ont marqué de leur empreinte et de leur génie l’histoire de la Tunisie plurielle.

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