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Lettre ouverte à un imam sur le déclin de notre société

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Les véritables responsables de notre déclin ne sont pas nos adversaires, mais nous-mêmes. Nous sommes nos propres ennemis.

Par Ezzeddine Kaboudi *

Je vous invite à saisir tout le sens et la portée de la problématique soulevée par un imam en manque, peut-être, de sujets pour son serment du vendredi, qui s’est demandé : Quelles sont les causses du déclin et de la décadence d’une nation?

Cet imam téméraire a commencé par faire le constat de la situation de notre pays, qui apparemment essuie ces derniers temps des revers sur tous les fronts et qui s’engouffre de plus en plus dans le chaos. Il s’est demandé pourquoi nos prières ne sont pas exaucées. Dieu reste-t-il sourd à nos prières? Dieu nous a-t-il abandonnés?

Monsieur l’imam,

À force de répandre des arguments fallacieux accompagnés par d’effroyables inepties, on a fini par croire à nos propres mensonges et par recevoir en pleine figure le fruit de notre nuisance. Malheureusement, si nous prenons le temps de revoir les événements qui ont rythmé notre vie, nous décèlerons, aussitôt, que les véritables responsables de notre déclin ne sont pas nos adversaires. En fait, le véritable ennemi, c’est nous-mêmes. Nous sommes nos propres ennemis. Nous tous, nous nous haïssons; et nous sommes engagés dans des hostilités et des conspirations réciproques. On s’inflige plus de mal que ne l’aurait fait notre pire ennemi.

Manifestement, c’est notre comportement pervers et nos méfaits qui sont à l’origine de notre faiblesse, de notre disgrâce et de toutes les humiliations subies au quotidien. D’ailleurs, le Saint Coran nous le rappelle à maintes fois :

«Tout malheur qui vous atteint est dû à ce que vos mains ont acquis…», (S42, V30).

«Quoi ! Quand un malheur vous atteint – mais vous en avez jadis infligé le double – vous dites : ‘‘D’où vient cela?’’ Réponds-leur : ‘‘Il vient de vous-mêmes’’…», (S3, V165).

Notre conduite outrancière et nos agissements démesurés sont à l’origine de notre défaillance. Cela transparaît clairement à travers le comportement choquant, provocateur et indigne d’une fraction de la population et à travers sa personnalité belliqueuse, suspicieuse, possessive et avide de pouvoir et d’argent.

On est, certes, en droit de se demander qu’est-ce qui se passe dans notre pays? Qu’est-ce qui a rendu les hommes si pervers, égoïstes, opportunistes, malveillants, irrespectueux et indisciplinés ? Pourquoi sommes-nous dans l’incapacité de comprendre ce qui nous arrive?

Pourtant :

• Dieu nous a qualifiés de la meilleure communauté : «Vous êtes la meilleure communauté, que l’on ait fait surgir pour les hommes. Vous ordonnez le convenable, interdisez le blâmable et croyez à Allah…», (S3, V110).

• Dieu a mandaté son prophète Mohammed pour nous apprendre la bienveillance et l’éthique : «C’est Lui qui a envoyé aux Arabes (non instruits) un Prophète issu d’eux-mêmes pour leur réciter Ses versets, les purifier et leur enseigner le Coran et la sagesse, alors qu’hier encore ils étaient plongés dans l’égarement manifeste», (S62, V2). Et, c’est en s’adressant à nous que le prophète Mohammed avait dit : «J’ai été envoyé pour parfaire les vertus morales (la noblesse du comportement)» Hadîth : rapporté par Al-Bukhârî dans ‘‘Al-Adab Al-Mufrad’’ (273) et Ahmad Ibn Hanbal dans le ‘‘Musnad’’ (2/381).

• Le grand poète égyptien Ahmed Chawki a gravé dans la mémoire de tous les enfants de notre pays un poème qui est enseigné dans toutes nos écoles : «Les valeurs morales font les nations, si celles-ci disparaissent, celles-là disparaîtront aussi». Certes, c’est un très beau poème, mais qui s’adresse à l’émotivité plutôt qu’à la raison.

Savez-vous, de quoi rêvent nos ennemis ? Ils rêvent de nous faire perdre nos repères et nos valeurs et nous effrayer si fort pour que nous baissions nos armes. Je ne sais au juste quel moyen ils ont mis en œuvre pour abuser de nos faiblesses et de notre crédulité, pourtant, ils sont arrivés à leurs fins. Ils nous ont fait tomber, à pieds joints, dans le piège qu’ils nous ont tendu.

Ils se sont appuyés sur un plan en trois points pour mener à bien leur stratagème, qui consiste à :

• s’attaquer, tout d’abord, à la classe dirigeante de notre pays, en l’initiant à la pratique de l’injustice, du despotisme, de la débauche et de la corruption: «… Que de puits désertés ! Que de palais édifiés !», (S22, V45).
Voici, le pourquoi du comment, nous en sommes venus à nous dire que nos prières ne sont pas exaucées. Pourtant, la réponse est toute simple : les dirigeants arabes sont injustes envers leurs propres concitoyens. Ibn Khaldoun, dont la vie fut tumultueuse à l’image de la vie qu’il a menée, est arrivé à la conclusion suivante : «L’injustice ruine la civilisation». Et il ajouta que «le pouvoir se maintient par la justice, même si le souverain est Ethiopien et il disparaît par l’iniquité, même si celui qui le détient est Abbasside». Ibn Taymiyya est plus affirmatif. Il a écrit dans son traité de la ‘‘Hisba’’ : «Allah donne la victoire à la nation juste même si elle est impie et la retire de la nation injuste même si elle est croyante»;

• s’attaquer, ensuite, à la structure famille, en la fragmentant et en l’éclatant. La crise de la famille dans notre pays la Tunisie est un fait dont nous commençons à ressentir les conséquences sociales et politiques.

L’éclatement de la cellule familiale est, sans conteste, le plus grave des défis auxquels nous sommes confrontés. Certes, les causes sont multiples, mais la principale raison est, sûrement, la perte des valeurs morales et surtout l’abandon total de l’homme de son rôle du bon père de famille qui lui est dévolu. De l’ancien adage qui dit que l’homme est fait pour la rue et la femme pour le foyer, on est passé à la femme pour «la rue et le foyer» et l’homme rien que pour «le café». Alors, face à cette crise, qu’en penser et qu’en dire ?;

• s’attaquer, enfin, à nos enfants en leur ôtant tout espoir. C’est un abattement total, un accablement tragique devant un avenir fermé à nos enfants. Quelqu’un a bien dit que : «Les gens peuvent vivre des semaines sans nourriture, des jours sans eau, des minutes sans oxygène, mais pas un instant sans espoir». «L’espoir est un rêve éveillé», disait Aristote, le désespoir, par contre, est dangereux et parfois même mortel. Du coup, nous ne pouvons que faire l’écho de l’avertissement de l’auteur-compositeur-interprète Daniel Balavoine adressé au président français François Mitterrand : «Ce que je peux vous dire, c’est que le désespoir est mobilisateur et que, lorsqu’il devient mobilisateur, il devient dangereux… Les jeunes vont finir par virer du mauvais côté, parce qu’ils n’auront plus d’autres solutions».

Mais, comment ne pas tomber dans une vision excessivement pessimiste devant la situation actuelle de notre pays ? Il y a tant de sources de désespoir.

Certes, les solutions sont nombreuses et les Tunisiens ne manqueront, sûrement, pas d’idées. Toutefois, nous restons convaincus que seul l’avenir peut être porteur d’un espoir ultime. Cet avenir semble, néanmoins, tenir des orientations politiques et stratégiques, comme également de la détermination des hommes politiques qui peuvent être réticents à prendre en charge de nouvelles orientations, à modifier leurs comportements et à instaurer entre eux de nouveaux types de rapports. C’est en ce sens que nous appelons de tous nos vœux pour une organisation sociale susceptible de préserver ce beau pays et de le faire évoluer de sorte à assurer l’épanouissement et l’accomplissement du citoyen tunisien.

Il existe, certes, une face noble dans notre pays où la grandeur de l’âme du tunisien peut enfin s’épanouir. Reste que la vie n’est pas si simple et entre-temps que faut-t-il faire ?

De toutes les façons, je tiens, monsieur l’imam, à vous remercier et vous féliciter pour avoir osé soulever un sujet qui nous tient à cœur et qui nous touche de si prêt.

Respectueusement vôtre…

*Universitaire, docteur en management.

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