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Tunisie : Un Etat schizophrène «lutte» contre le terrorisme

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Abdeljalil Ben Salem et Youssef Chahed. 

Que le gouvernement tunisien en soit arrivé à confondre la défense du wahhabisme saoudien avec l’intérêt supérieur de l’Etat est une grave et honteuse régression.

Par Assâad Jomâa *

Annoncée à corps et à cris par l’Etat depuis plusieurs mois, la lutte contre le terrorisme fut solennellement déclarée priorité nationale par le «Document de Carthage». Dans sa déclaration d’intentions à l’adresse des représentants du peuple, le chef du gouvernement s’est engagé à en faire l’un des principaux axes de l’action gouvernementale.

Toutes pétitions de principes de nature à rassurer les Tunisiens. Seulement les faits contredisent ces engagements publiquement pris par les plus hautes instances de l’État.

Le salafisme djihadiste est-il bienvenu en Tunisie ?

À ce déplorable état de fait deux principales raisons. La première : une compromission politique avec un co-gouvernant, pseudo allié politique (Ennahdha, en l’occurrence), dont le projet, observé au plan de son ultime finalité, s’apparente davantage à celui du salafisme djihadiste qu’il ne s’accommoderait d’un Etat républicain moderne. La seconde : une totale démission de l’État s’agissant de ses principales missions: celles d’assurer la sécurité des citoyens et de sauvegarder l’intégrité du territoire.

En lieu et place, notre État postrévolutionnaire n’a de cesse de s’engoncer dans ses petits calculs de boutiquier à nous en faire perdre haleine. Quant à son essentielle vocation, c’est aux puissances étrangères, les États-Unis notamment, qu’il en impute la responsabilité.

D’aucuns soutiendrons mordicus que le pauvre Etat tunisien n’est pas de taille à mener, à lui seul, pareille guerre. Soit!

Toutefois, pour indigent qu’il puisse être tenu, il est, ce faisant, comptable de ses actes à l’égard des générations futures. Ce qu’il conviendrait de bien considérer ce qu’il n’est pas, de par le monde, une nation naturellement disposée à être salafiste djihadiste. Ceci est affaire de «culture», si j’ose dire. De structure mentale sournoisement façonnée et imperceptiblement acquise.

Dieu seul saura ce que les medersas afghanes ont pu dépenser comme trésors d’«ingéniosité» pour transformer tel adolescent afghan, assoiffé de vivre comme tout jeune de son âge, en moujahid défiant à mains nues les chars soviétiques. Métamorphosant son cadet en taliban, véritable bombe à retardement ambulante. Ce processus d’endoctrinement pour long et progressif qu’il puisse être n’en est pas moins inéluctable. Autre trait commun à cette descente aux enfers: à la manière d’une nébuleuse envahissante, elle entame subrepticement son œuvre par des faits anodins.

Telle cette sordide confusion perpétrée par l’Etat tunisien entre critique du wahhabisme, support théologique, académiquement établi, du salafisme djihadiste et mise en péril des intérêts supérieurs de la nation.

Caid-Essebsi-et-Rached-Ghannouchi

Avec Ghannouchi et Ennahdha, le salafisme est au coeur de l’Etat tunisien. 

Abdeljalil Ben Salem et les «impératifs du travail gouvernemental»

Le chef du gouvernement, Youssef Chahed, a, en effet, décidé vendredi 4 novembre 2016 de limoger le ministre des Affaires religieuses, Abdeljalil Ben Salem et ce pour non-respect des impératifs du travail gouvernemental, ses déclarations, indique un communiqué officiel de la Kasbah, ayant porté atteinte aux principes de la diplomatie tunisienne.

Pour mémoire, lors de la séance d’écoute au sein de la commission des droits et des libertés sur le projet de loi de finances de 2017, le ministre des Affaires religieuses, a déclaré qu’«il a eu l’audace de dire à l’ambassadeur d’Arabie Saoudite à Tunis et au secrétaire général des ministres des Affaires étrangères arabes de réformer leurs écoles, car le terrorisme provient de l’idéologie wahhabite saoudienne».

Le ministre a beau se rétracter, son ministère le déjuger publiquement, son sacrifice était exigé par qui de droit. Dans un tragi-comique jeu de rôle ce fut au président de la république, ès qualité, qu’échut l’insigne honneur de convaincre son «allié» politique et parrain du ministre du fait que wahhabisme et survie de l’Etat tunisien ne faisant désormais plus qu’un, porter atteinte au premier revenait à mettre en péril le second.

C’est dire à quel degré de misère humaine nous a réduit le radieux «printemps arabe» !

Non messieurs, la Tunisie n’est pas née avec votre révolution, vos partis, votre gouvernement d’union nationale, votre loi des finances, vos drones…! L’Etat tunisien a plus de trois millénaires d’existence et, n’en doutons point, il vous survivra. Votre échec à diriger convenablement les affaires du pays, vos errements, votre cafouillage, ne sauraient être imputés aux Tunisiens.

Vous prétendez livrer bataille au terrorisme tout en normalisant avec son intendance: la tentaculaire contrebande, la rackettant au passage. Vous vous targuez d’avoir circonscris la force de frappe des terroristes alors que vous êtes bien incapables de définir à quelques milliards de dinars près la masse monétaire circulant dans le pays, en devises bien-sûr, mais même en dinars tunisiens. Vous êtes à chaque fois pris de court par la fortuite découverte d’arsenaux militaires, de réseaux terroristes, de services secrets officiant sur le territoire tunisien…

Mais en arriver à confondre wahhabisme avec intérêt supérieur de l’Etat, pareille régression fera de vous la maladie honteuse de ceux qui, à certain jour, vous ont élus!

En pleine détresse, la Tunisie, via ses savants zitouniens, qui n’étaient pas encore appâtés par les pétrodollars, forts de leur asharo-malikisme, avaient récusé le grégaire hanbalo-salafisme wahhabite. Aujourd’hui, alors que cette primitive, et non moins vindicative, interprétation de certains textes putatifs d’auteurs musulmans tardifs, s’est entachée, via son pendant djihadiste, du sang d’innocentes victimes, vous oseriez lui accorder droit de cité dans notre raffinée Tunisie?!

Bien loin d’encourir le discrédit d’avoir dénoncé cette monstruosité de l’intolérance religieuse, votre nom, monsieur le ministre, sera associé, dans son rejet de l’abject wahhabisme, à celui des illustres savants zitouniens : Ahmad Ibn Abî Al-Dhiyâf, Ibrâhîm Al-Riyâhî, Sâlah Al-Kawwâch, Manâchû et le Qâdhî Ismaïl Al-Tamîmî qui a consacré un livre entier à la réfutation du wahhabisme.

A charge pour ceux qui ont fait de cet obscurantisme hors d’époque et de lieu la doctrine officielle de leur Etat et pour leurs courtisans d’entre les tunisiens d’assumer le jugement implacable de l’Histoire.

* Universitaire.

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