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De quoi l’événement « Sfax capitale de la culture arabe » est-il le nom ?

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Pourquoi l’événement «Sfax capitale de la culture arabe» a-t-il été, en réalité, un non événement. Explications…  

Par Haytham Jarboui *

«‘‘La culture’’ est une affaire sérieuse pour un pays, elle est au bout du compte, son visage». Telle est la phrase que je souhaiterais brandir face à quiconque qui prétendait avoir un projet culturel et qui s’octroyait, à tort, le droit de s’exprimer – sans avoir ni les compétences nécessaires, ni une vision, ou au moins une certaine conception culturelle – au nom de la culture, parce qu’il était muni d’une petite fonction au sein d’une structure chargée de mener à bien un événement qui fut baptisé maladroitement «Sfax capitale de la culture arabe». À mon sens, on aurait dû peut-être prendre en considération la pluralité des cultures qui constituent véritablement l’identité de la ville de Sfax.

Un impact social et économique nul

Par-delà toute considération idéologique ou jugement non-fondé, j’ai essayé dans cet article de formuler une critique du factuel et de présenter les problèmes qui ont fait que cette manifestation n’a pas été couronné de réussite et n’a pas gagné son pari, puisque son objectif n’est pas seulement la promotion de la culture, mais également l’amélioration de la qualité de vie des habitants de la ville de Sfax. Ces derniers se plaignent, et ils ont tout à fait raison, de l’absence des espaces de culture et de loisir, ce qui est d’une importance capitale pour se sentir épanouis.

Comme on le sait, l’amélioration de la qualité de vie, à travers l’aménagement de l’espace pour qu’il soit convivial et hospitalier, la lutte contre la pollution, la mise en place de services de proximité et le respect de l’environnement, a un impact social et économique. A ces questions, l’événement n’a apporté aucune réponse, et aucun des membres du comité directeur n’a abordé ce sujet.

En réalité, j’ai tant de reproches à faire au comité directeur de l’événement «Sfax capitale de la culture arabe», puisque les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs. En effet, après l’échec d’accueillir les Jeux Méditerranéens 2021, cette manifestation a redonné espoir aux habitants de la ville de Sfax – et à tous les Tunisiens – de voir fleurir la culture dans un pays où le budget alloué au ministère des Affaires culturelles est beaucoup plus inférieur que celui du ministère des Affaires religieuses, mais encore plus de celui de l’Intérieur. Nous pouvons donc déduire que la culture ne fait pas partie des priorités des gouvernements qui se sont succédé.

Ainsi la culture est-elle réduite à un slogan et à des rendez-vous saisonniers par la promotion des festivals et de quelques journées musicales et cinématographiques.

La culture est, en réalité, centralisée à Tunis, et à quelques villes du littoral au nord (Nabeul, Hammamet, Sousse…); et plus on avance vers le sud, plus le rayonnement de la culture décroît jusqu’à disparaître. À Sfax, la lumière de la culture s’est affaiblie, s’est ternie et est devenue un faible signal de détresse envoyé par un ancien phare délabré où quelques matelots ont trouvé refuge pour partager entre eux un butin et un festin auquel étaient conviés des pseudo-intellectuels, des imposteurs, des écrivaillons, des faiseurs de vers, etc.

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Retard à l’allumage et projets abandonnés

L’événement a connu deux comités directeurs dont le premier a démissionné, sans rendre compte de quoi que ce soit, excepté des projets que le second comité a jugé irréalisables et non-étudiés (selon la déclaration de la coordinatrice Houda Kchaou, le 23 septembre 2016, lors d’une conférence de presse qui a suivi une réunion, le 15 septembre 2016, en présence du ministre des Affaires culturelles, Mohamed Zinelabidine).

La conférence de presse du 23 septembre était un aveu d’échec et un mea culpa, surtout que l’ouverture était un grand fiasco et un scandale sans appel, qui a coûté à l’événement une somme colossale, sans que le public venu assister en grand nombre n’ait satisfait ses attentes.

La coordinatrice a justifié son échec par le non-respect du contrat de la part du prestataire chargé des montgolfières qui n’ont jamais décollé, lequel fait l’objet d’une plainte auprès de la justice – selon, encore une fois, la déclaration de la coordinatrice –, et le changement du programme de la cérémonie d’ouverture avant 48 heures.

L’événement est en réalité un non-événement dont les dirigeants n’ont rien prévu en termes de projets. Même les soi-disant grands projets n’ont pas pu voir le jour alors que l’événement touche à sa fin.

Le démarrage de cette manifestation a été annoncé le 23 juillet 2016, c’est-à-dire après 6 mois de la date convenue. Ce retard a affecté le capital symbolique de l’événement, à savoir la crédibilité et le sérieux, ce qui a frustré beaucoup de beaux esprits et maints intellectuels sincères et honnêtes qui ont choisi finalement de garder leur distance.

Par ailleurs, la communication est le talon d’Achille de cet événement qui est mal parti, surtout que le premier logo conçu était funèbre, triste et annonçait déjà une mort imminente (cela fait penser au roman ‘‘Chronique d’une mort annoncée’’ de Gabriel Garcia Marquez, puisqu’il s’agit plutôt d’un crime commis par les esprits «malveillants» qui sont à la tête de l’événement). Finalement, ils se sont rattrapés : la conception du logo s’est nettement améliorée.

Également, je tiens à préciser que l’événement ne dispose ni de site internet, ni de chaîne Youtube, ni de compte Twitter. Son actualité est perçue uniquement sur une page Facebook, ce qui me semble insuffisant.

Je signale de surcroît une autre défaillance qui met en question le sérieux et le professionnalisme de l’équipe chargée de la communication. La conférence de presse, que j’ai évoquée plus haut et à laquelle j’étais invité, a été annoncée deux jours avant par e-mail, d’où la présence très modeste des intellectuels, des hommes de la culture et surtout des médias et des journalistes. Conséquence : elle est passée inaperçue, sachant que les interventions, excepté quelques unes, peuvent être classées dans la case du règlement de compte et de la logorrhée. Le débat, lors de la conférence, était axé sur le projet de la médiathèque (bibliothèque numérique) qui inclurait de plus un théâtre de poche. La réalisation de ce projet est estimée à 18 millions de dinars tunisiens (MDT) selon le bureau d’études engagé par l’ancien comité directeur. La somme, comme on peut le remarquer, est exorbitante. L’idée en soi est louable, mais l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Le comité a présenté les grandes lignes de ses dépenses sans donner des détails. De ce fait, le mea culpa du comité n’est pas sincère et ce ne sont que des larmes de crocodile.

Je me suis interrogé sur l’utilité de ce projet dans une ville dont l’infrastructure est catastrophique…, dans une ville qui abrite une seule bibliothèque municipale dont le fond livresque n’a pas été renouvelé depuis longtemps et n’a pas été numériquement répertorié, et dont le personnel est dans la précarité…, dans une ville qui n’a qu’une seule salle de cinéma opérationnelle où l’on projette des films égyptiens et américains de bas étage avec des affiches qui ressemblent aux couvertures du magazine ‘‘Playboy’’, dans une ville où il existe un seul bouquiniste et quatre librairies dont la vitrine est susceptible d’exposer les nouveautés littéraires et les nouvelles parutions…, dans une ville où l’on ne trouve qu’un seul café culturel animé par une jeunesse assoiffée de culture, et j’en passe.

Faible implication des «autorités» municipales

Les espaces culturels sont biens réduits et ne sont pas suffisamment équipés pour accueillir des événements de grande envergure. La municipalité de Sfax, dont les délégations spéciales sont hors-la-loi après la non-application de la décision du tribunal administratif portant sur sa dissolution, n’a fourni aucun effort (c’est absurde de s’attendre à des solutions d’une structure déjà illégale!). Le théâtre municipal est fermé pour une date inconnue en raison des travaux de restauration. Le complexe culturel n’est pas adapté à des événements à grand public.

Finalement seuls les vers de Jean de la Fontaine pourraient rendre compte de l’échec cuisant d’un événement qui nous a donné au départ à rêver avant de nous réveiller sur des illusions :

«Perrette là-dessus saute aussi, transportée.
Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée;
La dame de ces biens, quittant d’un œil marri
Sa fortune ainsi répandue,
Va s’excuser à son mari
En grand danger d’être battue.
Le récit en farce en fut fait;
On l’appela le Pot au lait.»

* Enseignant-chercheur, membre actif de la société civile à Sfax.

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