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La Tunisie sous le joug de la sinistre Arabie saoudite

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Dans la pénible affaire de son limogeage, Abdeljalil Ben Salem apparaît comme quelqu’un de profondément vertueux et soucieux du coût humain du wahhabisme, envahit le monde.

Par Yassine Essid

De l’affaire de l’éloignement du ministre des Affaires religieuses Abdeljalil Ben Salem du gouvernement, les gens ne retiendront finalement pas grand-chose de l’intransigeance absolue du pouvoir qui s’est appuyé, pour limoger l’un des siens, sur l’argument fallacieux d’un manque évident aux principes qui régissent les relations entre Etats.

En revanche, l’opinion publique appréciera plus facilement le bien-fondé des propos exprimés par un responsable injustement traité comme un faux-monnayeur maniant des billets de banque sans répondant.

En attendant que les médias tunisiens repassent à leur tour sous les fourches caudines du pouvoir, entre les diktats d’Ennahdha placés sous le couvert du partenariat et les courbettes d’un Béji Caïd Essebsi qui s’incline chaque jour un peu plus bas, profitons de ce moment de répit pour développer en bonne et due forme des opinions au sujet des relations diplomatiques en général et de l’exigence irrépressible de vérité chez l’homme en particulier.

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Abdeljalil Ben Salem lâché par ses mentors d’Ennahdha pour avoir froissé leurs maîtres saoudiens. 

Sous le joug d’une monarchie obscurantiste

Reprenons les choses du début. En amont, un ministre confronté plus que tous à la prolifération de l’enseignement salafiste. Les effets sanglants de cet endoctrinement s’éparpillaient en aval entre ses collègues de l’Intérieur et de la Défense. Il s’est donc efforcé de ramener l’évidence à une expérience vécue qui éclairerait toux ceux qui ont des yeux pour voir et des cerveaux pour penser : l’Arabie saoudite n’a jamais cessé en effet de nourrir la discorde, d’alimenter les divisions, et de financer, de par ses richesses et son idéologie officielle : le wahhabisme, un terrorisme islamique sans fin.

De telles relations posent aux deux parties une question complexe. Aucun chemin ne mène à un avenir commun tant qu’une réponse adéquate fait défaut. Actuellement, la réponse recherchée s’appelle adhésion sans limite de part et d’autre aux valeurs de la liberté et surtout la non-ingérence dans le destin d’un peuple à travers le zèle déployé à grands renforts d’argent, ou par des opérations de déstabilisation, afin de le convertir à ses croyances et à sa doctrine religieuse.

Dans ce cas, comment le joug éminemment répréhensible d’une monarchie obscurantiste pourrait-il s’accommoder de notre dénonciation des tyrannies, des dictatures et des régimes autoritaires de toutes sortes? En quoi ce poids de la servitude serait-il admissible alors que nous n’arrêtons pas de proclamer à tout bout de champ notre adhésion aux valeurs-principes de la démocratie: la liberté, l’égalité et la justice?

Pourtant, la sinistre Arabie saoudite, qui a décapité une cinquantaine d’opposants dont un éminent religieux chiite sans soulever de la part du gouvernement tunisien la moindre réserve officielle, possède sa propre conception des relations internationales avec ses stratégies ainsi que ses mécanismes de la terreur : laisser l’idéologie d’un islam ultra-conservateur gouverner sa diplomatie.

Ainsi, pour ce régime, l’islam sunnite joue et devra jouer, particulièrement par rapport à la molligarchie iranienne, le rôle de moteur de l’histoire. Tout doit être vu et interprété à travers le droit islamique qui ne reconnaît d’autre nation que la nation islamique dont l’aire culturelle dépasse les frontières de la seule péninsule arabo-persique.

Nul besoin de retracer les huit décennies d’immixtion culturelle, financière et prosélyte de l’Arabie saoudite, du Caucase à l’Hindou Koush. L’affirmation du pouvoir des Talibans en Afghanistan était devenue un pôle d’attraction pour les militants djihadistes saoudiens en même temps qu’un pôle d’inspiration pour leurs idéologues en dépit de toutes les règles qui régissaient les relations internationales. Mieux, c’est principalement à l’aide de leur appareil diplomatique qu’ils organisèrent leur soutien au courant salafiste-djihadiste qui se construit dès 1990 autour de Hamud Al-Chu’aybi. Ses thuriféraires avaient légitimé, en dépit de la condamnation officielle de la monarchie, les attentats du 11 septembre 2001 dans une fatwa célèbre autour de «la razzia sur New York et Washington».

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Poignée de main de Ghannouchi et le roi Salmane: les frères musulmans entre eux.  

L’évitement systématique des sujets tabous

Ce n’est donc pas en enfouissant notre tête dans les sable en cherchant à éviter ce qui nous menace qu’on contribuera à changer le monde. Le soulèvement de janvier 2011 devait logiquement nous libérer de la volonté d’un chef d’Etat qui s’est toujours approprié la politique étrangère. De mettre fin à une approche traditionnelle des questions internationales fondée sur l’évitement systématique des sujets tabous et dominée par le souci quasi obsessionnel des intérêts économiques.

D’ailleurs, il arrive souvent que des chefs d’Etats occidentaux, en visite officielle dans des pays peu regardants en matière de pratique libérale du pouvoir, n’hésitent pas à recadrer publiquement leurs homologues en soulevant des questions comme celles des droits de l’homme et de la liberté de la presse sans que cela remette en question leurs accords commerciaux, provoquer une crise diplomatique, encore moins déboucher sur un casus belli.

Bien qu’insuffisamment initié aux principes de respect des règles d’une diplomatie hypocrite où l’on doit dire tout haut le contraire de ce qu’on condamne tout bas, Abdeljelil Ben Salem apparaît dans cette pénible affaire comme quelqu’un de profondément vertueux, car simplement soucieux du coût humain élevé d’une doctrine qui ne cesse d’envahir le monde.

Rappelons à Youssef Chahed, qui n’a été ici que le haut-parleur d’une décision qui le dépasse, que l’efficacité et les intérêts supérieurs de l’Etat ne suffisent pas à faire preuve. La vérité est une grandeur inviolable qui n’admet nulle concession sans qu’elle ruine notre humanité. C’est ce qu’on retiendra en tous les cas de l’exécrable décision d’un limogeage que le chef de gouvernement a maladroitement cautionné.

Enfin, et au-delà de cette histoire et son pénible dénouement, que signifie vraiment «Ministère des Affaires religieuses»? Une appellation absconse et un organe indéfinissable dont les fonctionnaires sont assis pour servir d’intermédiaires entre le réel et le spirituel. La religion musulmane, qui devrait se vivre strictement de manière privée, n’a pas vraiment pas d’«affaires», en d’autres termes de responsabilité sur ce que le croyant doit faire ou ne pas faire, et a encore moins besoin d’un ministre.

Pour ce qui est de la religion comme chose publique, le Grand Mufti de la république suffit amplement puisqu’il est censé intervenir sur la vie en société. Pour le reste, c’est-à-dire l’organisation et l’entretien des lieux de culte, pourquoi ne pas les confier tout simplement au ministère des Collectivités locales?

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