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Polémique autour des JCC : La culture face à la mainmise de l’Etat

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Ibrahim Letaief et Mohamed Zinelabidine: au-delà du clash, un problème de fond.

La polémique suscitée par le limogeage du directeur des JCC 2016 remet sur la table le débat sur le rôle de l’administration dans l’organisation des manifestations culturelles.

Par Salah El-Gharbi

Une semaine après la clôture des Journées cinématographiques de Carthage (JCC 2016), la polémique à propos de l’organisation de cette manifestation dont on vient de fêter le cinquantenaire n’a cessé d’enfler pour s’achever, provisoirement, par l’éviction du directeur de sa dernière édition, le cinéaste Ibrahim Letaief, même si ce dernier cherche à persuader qui veut l’entendre que sa démission aurait, en fait, précédé cette éviction, et ce, avant même qu’il ait présenté les rapports moral et financier, censé achever sa mission.

D’ailleurs, cette décision du ministre des Affaires culturelles, Mohamed Zinelabidine, était attendue, compte tenu des déclarations du directeur de la manifestation, samedi, sur les ondes de Mosaïque FM, fustigeant l’attitude du ministre à son égard en des termes peu respectueux.

Sortir des sentiers battus

Avec l’ouverture, cette semaine, des Journées théâtrales de Carthage (JTC2016), cet épisode malheureux voire même pathétique n’est pas de bon augure puisqu’il en dit long sur l’incapacité de l’administration à sortir des sentiers battus et à tirer les leçons des précédentes éditions, en ce qui concerne, notamment, la gestion de ces manifestations internationales, qui requièrent des moyens financiers, humains et logistiques assez importants et, surtout, des modes d’organisation et des méthodes de gestion flexibles et efficients inconnus de l’administration publique.

Héritiers d’une conception interventionniste étriquée, les responsables politiques et les hauts cadres de l’administration publique se montrent souvent tatillons et susceptibles, cherchant plus à se servir de l’action culturelle pour redorer leur blason qu’à la servir réellement. D’où le hiatus, l’écart voire le malentendu qui ont toujours séparé les acteurs culturels, qui ont la légitimité du savoir-faire, des responsables de la culture, qui, eux, se prévalent de la légitimité des moyens, notamment logistiques et financiers.

Pour cette année, paradoxalement, la trop frileuse administration a préféré nommer à la tête des JCC un cinéaste connu pour son indépendance d’esprit, espérant s’épargner ainsi les méfiances et faire taire les critiques du milieu artistique et médiatique. Mal lui a pris, puisqu’elle s’est retrouvée la cible de tirs croisés venant de toutes parts et émanant, surtout, de la personne même à qui elle avait confié l’organisation de la manifestation.

Les contrecoups des bavures et des échecs

En refusant de céder les rennes de la responsabilité des plus importantes manifestations culturelles organisées dans le pays à des organismes indépendants et compétents, de préférence privés, et en s’obstinant à vouloir les encadrer, de près et de bout en bout, le ministère des Affaires culturelles finit toujours par subir les contrecoups et les éclaboussures des bavures et des échecs.

La place d’un cinéaste est, généralement, derrière la caméra. Il peut être utile dans l’organisation grâce à sa connaissance de son secteur, ses relations au sein de la profession et son riche carnet d’adresses. Mais cela n’en fait pas forcément un bon directeur de festival. Il faut donc accepter qu’il tâtonne ou qu’il commette des bourdes et que, pour les justifier, il se défausse sur les autres, notamment ses employeurs.

Les artistes qui, par définition, ont un ego surdimensionné, sont généralement aussi difficiles à gérer. Et, surtout, de mauvais gestionnaires. Par conséquent, désigner un artiste à la tête d’une manifestation internationale aussi importante que les JCC ne pouvait en garantir le succès. Le ministère des Affaires culturelles en a d’ailleurs souvent eu la preuve à ses dépens.

Contrairement à ce qu’on est tenté de penser, ce département n’est pas le plus facile à gérer. Pour le diriger, ni les qualifications académiques ni les dons artistiques ne suffisent. Sans une vision, un projet culturel crédible, porté par une aura et un leadership personnels, il est difficile d’y laisser son empreinte. Durant les cinq dernières années, plusieurs ministres se sont succédé à la tête de ce ministère sans y laisser des traces indélébiles ni fait preuve d’une réelle volonté de changement. Ils se sont tous contentés de le gérer à la petite semaine, marchant sur des œufs et essayant de faire le moins de vagues possible.

Revoir le rôle du ministère des Affaires culturelles

Il est temps que ce département, même avec son petit budget, sorte des sentiers battus, s’adapte à l’évolution rapide du monde, cesse de croire qu’il peut faire la pluie et le beau temps dans un secteur qui appartient, plutôt, aux créateurs et aux artistes. Il n’appartient pas au ministère d’organiser des manifestations culturelles et d’en désigner les directeurs et les comités d’organisation… Son rôle devrait se limiter à parrainer les initiatives, à les encourager et à les accompagner.

L’Etat-omniscient et omnipotent n’existe plus, c’est une vue de l’esprit. Une nouvelle ère s’ouvre où le rôle d’un ministère des Affaires culturelles – si tant est qu’il est indispensable, ce que beaucoup contestent – consiste seulement à aider les porteurs de projets culturels à dépasser les obstacles et à mettre en route leurs projets en les entourant de toutes les conditions du succès. Vouloir dominer les créateurs et les artistes et les réduire au statut d’assistés, inféodés et dociles, participe d’une approche dépassée et, surtout, improductive et qui n’a jamais aidé à impulser la créativité et à doper l’imagination.

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