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Tunisie : Que reste-t-il de la Loi de Finances 2017?

En Tunisie, on n’ose pas taxer le fraudeur fiscal de criminel. Pire encore : c’est lui qui impose sa loi à l’Assemblée et au Gouvernement.

Par Mohamed Chawki Abid *

Jamais la Tunisie n’a connu un débat de «Loi de Finances» aussi humiliant pour le gouvernant et insultant pour les gouvernés. Certains défaillants du fisc prétextent leur refus d’acquittement fiscal par la gestion abominable du budget de l’Etat. D’autres justifient leur réticence par le fait que 60% du budget de l’Etat est affecté aux salaires de «fonctionnaires corrompus» travaillant «8 minutes par jour».

Les champions de l’évasion fiscale ont gagné

Ce sont les arguments fallacieux souvent utilisés par les champions de l’évasion fiscale. La mauvaise gouvernance des actifs publics ne légitime point l’évasion fiscale. Malheureusement, le patriotisme et le dévouement sont bousculés par l’opportunisme et l’égoïsme.

Si les prédateurs musclés cessaient de frauder le fisc en corrompant les contrôleurs, le budget de l’Etat serait tout autre tant en volume qu’en structure. Celui qui refuse de s’acquitter convenablement de sa contribution fiscale, devrait chercher une nouvelle résidence fiscale lui offrant un système qui répond à ses attentes.

Que reste-t-il du projet de Loi de Finances 2017, censé poursuivre l’implémentation du plan de «réforme fiscale» tel qu’adopté en janvier 2014. N’ont été maintenus dans le texte définitif que les droits d’enregistrement complémentaires sur les grandes acquisitions immobilières, et le taux d’imposition additionnel sur les résultats des sociétés (déduction faite de l’ensemble des charges d’exploitation, d’amortissement et de financement).

Quant à l’arsenal de lutte contre la fraude contributive et contre l’évasion fiscale, il a manqué cruellement de «mécanismes de bon sens» et de «dispositifs numériques efficaces» faciles à ériger.

Les avocats, nombreux à l’Assemblée, ont imposé leur volonté au gouvernement. 

Les parlementaires de la «démocratie représentative» ont enfin cédé au chantage financier et au harcèlement moral qui leur ont été exercés par les «champions de l’évasion fiscale»:

1) abandon de la levée du secret bancaire;

2) abattage du dispositif fiscal à l’adresse des avocats;

3) annulation de la collecte de la TVA sur les médicaments;

4) suppression des feuilles d’honoraires numérotées pour les fonctions libérales.

Aggravation de la discrimination fiscale

En revanche, les salariés vont devoir supporter la couverture du gap de recettes fiscales du Budget de l’État au titre de 2017, par le relèvement du taux effectif d’imposition sur leurs salaires, au moyen d’une reconfiguration vicieuse du barème de l’IRPP (déduction des frais professionnels, paliers, taux), accentuant ainsi l’iniquité fiscale entre les contribuables asservis et les contribuables émancipés.

Ce faisant, le salarié va faire l’objet d’une intensification de la discrimination fiscale, jusqu’à subir une torture financière lui ravageant son pouvoir d’achat. Plus grave encore, comme il n’est pas mentionné dans le texte, adopté hier soir par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), que les dispositions fiscales s’appliquent aux revenus générés à partir du 1er janvier 2017, les salariés soucieux d’effectuer leur DUR au titre de 2016 seront vraisemblablement taxés sur la base du nouveau barème à l’instar de ce qui s’est passé en 2014 en leur prélevant indument l’impôt complémentaire de 1% (instauré par la LF’2014) sur leurs salaires de 2013 (pour les cas > 20 mD).

Il est déplaisant de constater que les représentants du peuple refusent de demeurer cohérents avec les orientations salutaires du plan de «réforme fiscale», principalement axé sur le renforcement de la transparence financière, la répartition équitable de la charge contributive ainsi que sur la neutralité fiscale pour toutes catégories de contribuables.

Le pire, c’est que, par leur délibération, les élus du peuple ont enfreint à l’Article 10 de la Constitution de 2014, qui stipule clairement: «L’acquittement de l’impôt et la contribution aux charges publiques, conformément à un système juste et équitable, constituent un devoir. L’État met en place les mécanismes propres à garantir le recouvrement de l’impôt et la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales.»

En dépit de la clarté de cet article, les pouvoirs exécutifs et législatifs continuent à caresser dans le sens du poil les défaillants fiscaux. On est donc en droit de se demander auprès de quel employeur travaillent nos gouvernants et nos députés?

Il faut mettre fin à la mascarade

Nous gardons l’espoir que le Tribunal Constitutionnel (institution judiciaire chargée de protéger l’application de la Constitution) puisse intervenir clairement pour mettre un terme à cette mascarade, et exhorter l’ARP au respect des termes de la Constitution.

La fraude constitue partout dans le monde «une faute pénale d’une extraordinaire gravité», surtout quand il s’agit d’une tentative d’évasion fiscale. Cependant, la nouvelle loi de finances en Tunisie, telle qu’adoptée par les représentants des deux grands partis politiques, vient stimuler l’essorage du payeur et l’encouragement du fraudeur.

Aujourd’hui, les experts tombent des nues, et les citoyens se sentent abattus, face à une démocratie représentative qui décide de la volonté des mafias et ignore les revendications légitimes du peuple. Les observateurs considèrent que tant que les comptes des «partis politiques au pouvoir» ne sont pas certifiés par des Commissaires aux Comptes ou audités par des instances compétentes, conformément à la loi, les prédateurs endurcis continueront à se nourrir de la contribution des salariés sans être inquiétés par d’éventuelles sanctions disciplinaires ou compensatoires.

Sous d’autres cieux, la fraude fiscale est un «acte antisocial par excellence». En France, l’ex-ministre Jérôme Cahuzac vient d’être condamné à 3 ans de prison ferme, la procureure ayant souligné que «la différence de traitement entre délinquance de droit commun et la délinquance en col blanc nourrit le sentiment d’exclusion, favorise les comportements de rupture et propage l’idée qu’il existe une impunité des puissants».

En Tunisie, on n’ose pas taxer le fraudeur fiscal de criminel, seul dans les pays qui se respectent les évadés du fisc sont considérés des criminels. Aux Etats Unis, le crime fiscal est le pire des crimes; l’assassin pouvant être gracié, mais pas le prédateur des finances publiques.

Alors, quand l’État Tunisien va-t-il décider de recouvrer son autorité pour dissuader les fraudeurs et sanctionner les traficoteurs?

Quand les champions de l’évasion fiscale mettront un terme à plus de quarante ans de prédation et d’évasion, ayant favorisé la consolidation de la corruption et la généralisation de la malversation?

* Ingénieur économiste.

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