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Enseignement : Et maintenant que le verdict de Pisa est tombé, que faire ?

Au lieu de perturber les cours par de continuels arrêts de travail, les enseignants devraient s’investir sérieusement dans la restauration et la réforme de l’enseignement.

Par Mohamed Ridha Bouguerra *

Et maintenant que Pisa, ou Programme international pour le suivi des acquis des élèves, vient de rendre publics les résultats de son enquête pour 2015 sur l’efficacité, toute relative, de notre enseignement, que faire? Continuer à nous enfoncer dans nos ornières et à pratiquer la politique de l’autruche comme si de rien n’était? Poursuivre la politique d’affrontement des syndicats en vue de la prise du pouvoir décisionnel au ministère de l’Éducation nationale en organisant des grèves à répétition? Ou bien comprendre que le salut de la Tunisie de demain est tributaire da l’engagement de tous dans une refonte totale de notre système éducatif?

Difficile de faire des scores plus lamentables

En effet, nous n’avons absolument aucune raison de pavoiser au vu du dernier classement par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de 72 systèmes scolaires dans le monde et où la Tunisie se trouve à la 65e place, après tous les pays arabes participants, sauf l’Algérie encore plus mauvaise élève que nous!
Pire encore, nous perdons une place par rapport à l’évaluation effectuée en 2012. Ajoutons que notre score est aussi lamentable en compréhension de textes qu’en sciences ou en mathématiques, c’est-à-dire dans les trois disciplines auxquelles l’enquête de Pisa a soumis près de 4000 élèves tunisiens âgés de quinze ans provenant de divers milieux sociaux et régions. Dans toutes ces matières, nous restons largement au-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE et nous régressons même en compréhension de l’écrit, en comparaison avec l’année 2006.

Ces résultats déplorables et sans appel interpellent nos décideurs en matière d’éducation et posent plusieurs questions dont celles de savoir qui doit assumer la responsabilité de cette situation et, surtout, que faire maintenant?

Bien sûr, certains ne manqueront pas de chercher des explications à cette dégringolade de notre système éducatif en pointant la vétusté de nos établissements scolaires souvent dépourvus de l’essentiel comme de bibliothèques, de matériel informatique et de tout ce qui pourrait faire de l’école un espace, à la fois, de vie, de savoir et de loisirs.
Bien sûr, on ne manquera pas non plus d’évoquer, sinon d’invoquer, dans le même sens, les conditions matérielles difficiles dans lesquelles vivent souvent nombre de nos élèves, en milieu rural principalement et dont l’impact négatif sur leurs études est indéniable.

Pour recevables que soient ces remarques, il n’en demeure pas moins que des pays qui ne sont pas mieux lotis que nous sur le plan de l’infrastructure éducative enregistrent des scores bien plus honorables que les nôtres. Voir, à titre d’exemple, le classement du Vietnam, de la Croatie ou de Chypre.

Quelle place de l’école dans la cité ?

Encore une fois, que faire donc et pourquoi échouons-nous là où d’autres réussissent alors que les frais alloués pour l’éducation de notre progéniture occupent souvent le premier poste dans les dépenses des familles tunisiennes, les plus démunies d’entre elles comprises? Sans parler du budget, toujours conséquent, consacré par l’État au ministère de l’Éducation nationale.

La réponse devrait, probablement, se trouver non seulement au niveau matériel et financier mais, aussi et surtout, sur les plans moral et scientifique. C’est la place de l’école dans la cité qu’il faudrait, d’abord, définir en tant que lieu de l’apprentissage des valeurs de la citoyenneté. Si l’incivisme, l’incivilité, l’insolence, voire la violence, gagnent chaque jour davantage de terrain dans nos rues et cités, c’est que l’école, en premier lieu, a failli à sa tâche essentielle en tant que principal outil de transmission des valeurs civiques et républicaines. Au lieu de la cantonner dans le rôle ingrat de garderie ou simple voie de garage dans l’attente de mettre sur le marché du travail tant de jeunes sans formation aucune, l’école devrait être conçue comme passerelle vers la vie active et cela grâce au solide savoir qu’on est censé y dispenser.

C’est la place de l’apprenant dans notre système éducatif qu’il faudrait, ensuite, repenser. Ce sont nos programmes, nos méthodes d’apprentissage et d’évaluation qui sont à revoir de fond en comble. C’est toute une réforme pédagogique qu’il faudrait envisager et où le bourrage de crâne à force de cours particuliers serait banni afin de favoriser plutôt une approche didactique où la réflexion, la créativité et la personnalité de l’apprenant s’épanouiraient librement.

C’est la formation scientifique et pédagogique de nos éducateurs qu’il faudrait aussi remettre régulièrement en question et soumettre à un renouvellement constant afin d’accompagner la rénovation méthodologique, scientifique et technologique galopante que connaît notre époque.

C’est, également, une implication plus grande des enseignants dans la vie scolaire qu’il faudrait encourager car l’enseignement est un sacerdoce avant d’être un métier.

Le rôle primordial des enseignants

Aussi, professeurs et instituteurs devraient-ils se considérer, non comme de simples fonctionnaires astreints à tant d’heures de travail hebdomadaire, mais comme de véritables missionnaires laïques qui, par la parole et l’action, inculquent à leurs jeunes disciples la foi en la raison tout autant que les valeurs communes qui forment le socle d’une nation et fédèrent les citoyens.

Ainsi, la tâche des professeurs et instituteurs ne serait plus celle de simples répétiteurs mais celle de passeurs des valeurs de la vraie citoyenneté tout autant que d’un savoir moderne et vivant et non moins vivifiant pour l’esprit.

Bref, au lieu, comme actuellement, de perturber les cours par de continuels arrêts de travail, d’appeler au boycott de la réforme de notre système éducatif que toute la société appelle de ses vœux, nos pédagogues devraient, au contraire, s’investir sérieusement dans une réflexion pédagogique à même de faire entrer notre pays de plain-pied dans le XXIe siècle et l’ère des novelles technologies. Cela passera, nécessairement, par l’acceptation d’une rénovation qui ne manquera pas de bousculer quelques habitudes et routines aujourd’hui datées.

C’est là le prix à payer afin qu’un esprit nouveau souffle sur notre enseignement et donne à nos jeunes élèves un idéal et des perspectives qui ouvrent sur un monde en constante mutation. C’est à ce prix et à ce prix seulement, qui demandera, certes, de réels mais gratifiants sacrifices aux enseignants et de grands efforts aux élèves, que nous rattraperons notre retard et que les prochains classements de Pisa redoreront notre blason et lui redonneront l’éclat qu’il avait dans les années soixante, à l’époque des Pères fondateurs de l’école républicaine voulue par Bourguiba et Messaâdi.

* Universitaire.

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