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Théâtre – ‘‘Disparition’’ de Hichem Rostom : La déchirure

Un pays meurtri, qui rappelle la Tunisie, un Etat despotique, deux frères ennemis et une mère déchirée : huis clos pour une tragédie moderne.

Par Fawz Ben Ali

Pour son premier cycle de représentations en langue française, ‘‘Disparition’’, la nouvelle création théâtrale de Hichem Rostom, a été jouée à l’auditorium de l’Institut français de Tunisie (IFT), les 16, 17 et 18 décembre 2016.

Produite par Bedaa Production avec l’appui du ministère des Affaires culturelles et de l’IFT, ‘‘Disparition’’ est mise en scène par Hichem Rostom, sur un texte du cinéaste Nacer Khemir. Il s’agit d’un texte visionnaire destiné préalablement au cinéma, que ce dernier avait pensé avant la révolution tunisienne de janvier 2011.

«Tant que votre mère est vivante…»

La pièce met en scène la jeune comédienne Sana Ezzine (épouse de Hichem Rostom), dans le rôle de Tounes, une mère veuve qui avait perdu son mari dans une manifestation et qui, sous l’harcèlement d’un Etat totalitaire, est obligée de cacher dans la cave de la maison ses deux fils opposants au régime.

Béchir a 30 ans, c’est un ancien étudiant en histoire et un fervent militant de gauche, et Mahdi, qui a 20 ans, est sous l’emprise de la pensée islamiste djihadiste. Deux visions totalement opposées qu’unit un amour maternel inconditionnel. La mère, en effet, se montrera capable de tout pour protéger ses enfants. «Tant que votre mère est vivante, ils ne toucheront pas à un de vos cheveux», dira-t-elle.

La pièce s’ouvre sur une obscurité écrasante où on voit à peine les deux silhouettes qui émergent sur scène. Dans sa modeste et étroite demeure, la mère accueille un officier de la police politique, incarné par Hichem Rostom, déterminé à retrouver les deux fils recherchés. Avec son air machiavélique et sa voix tranchante, ce n’est pas un interrogatoire qu’il mène, mais un tour de force psychologique pour guetter le moindre faux geste de la mère qui lutte tant bien que mal pour dissimuler son angoisse et dévier les soupçons.

Hichem Rostom et l’équipe de « Disparition » après la représentation. 

La scène sombre à nouveau dans le noir puis apparaissent les deux fils recherchés. Le décor change et l’on se retrouve dans une pièce exigüe où le soleil n’entre pas. Cloitrés physiquement et mentalement, le marxiste et le salafiste révèlent leurs pensées, leur détermination à défendre leurs idéaux, mais aussi leur anxiété.

Face au discours ténébreux et aux idées empoisonnées de Mahdi, le frère aîné ne manque pas d’ironiser, voire de blasphémer son frère pour le provoquer et surtout l’amener vers la réflexion, des répliques qui nous font du bien au milieu de ce discours obscurément religieux.

Une tragédie contemporaine

Malgré les tentatives désespérées de Tounes (métaphore évidente du pays), les joutes verbales s’intensifient, s’imprégnant de plus en plus de haine et laissent désormais place à la violence physique. Dans cette tragédie contemporaine, le dénouement ne peut qu’être sanglant. En effet, habité par ses démons, l’intégriste, on s’y attendait, finit par assassiner son frère à coup de poignard.

Si l’officier rappelle l’Etat policier du temps de Ben Ali, les deux frères illustrent le retour en force de l’islam politique et la déchirure politique et idéologique qu’a connu le pays après la révolution du 14 janvier 2011, où chacun s’est permis de disputer le droit de contrôler le pays.

L’unité de lieu, qu’est la maison, est un élément essentiel dans la pièce, car le huis clos accentue l’effet prison aussi bien pour les personnages que pour les spectateurs.

L’intégralité de la pièce est jouée dans une sorte de boite à l’effet écran, un dispositif scénique original certes, mais qui inclut une vraie mise en danger, car le renvoi n’est pas net et on discerne à peine les traits des personnages.

La pièce donne l’impression d’être filmée d’autant plus que les voix sont enregistrées, un choix qui ne joue pas en la faveur de cette création engagée, qui se veut un portrait des dérives de l’Etat policier et de la folie des hommes par amour du pouvoir.

Un nouveau cycle de représentations en langue arabe de ‘‘Disparition’’ est prévu pour janvier 2017 dans les régions avant la tournée internationale.

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