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En Tunisie, les martyrs se suivent et ne se ressemblent pas

Le défunt Zouari a réussi le tour de force de réunir les militants du Front populaire, d’Ennahdha du Congrès pour la république (CpR) dans le même cortège antisioniste.

Par Tarak Arfaoui *

L’histoire contemporaine de la Tunisie est jalonnée de hauts faits de la part de grands patriotes qui se sont sacrifiés à chaque fois que leur pays a été menacé par une quelconque hégémonie. Les martyrs de la lutte contre les dérives de la dynastie moribonde des beys husseïnites au 19e siècle puis ceux de la lutte contre le colonialisme français pour l’indépendance de la Tunisie se comptent par centaines pour ne pas dire par milliers et le pays leur est éternellement reconnaissant.

Fracture idéologique et pseudo unité nationale

Les événements qui secouent le pays depuis la révolution de janvier 2011 ont eux aussi apporté leur lot de martyrs dont la mémoire a été saluée à juste titre par la majorité des Tunisiens.

Je dis bien la majorité car après l’assassinat des martyrs Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, certains courants politiques religieux n’ont pas été offusqués outre mesure par ces crimes. Ils y étaient même partie prenante. Je n’oublierai jamais les murmures des dirigeants islamistes et leurs tergiversations pour ne dénoncer ces crimes que du bout des lèvres sous la pression de l’opinion publique et afin de faire bonne figure sur la scène politique nationale.

Ces prémices de fracture politique et sociale, sous-tendue par des conflits idéologiques sur fond d’extrémisme religieux, se sont accentuées au fil du temps et des événements pour aboutir à une scission de fait dans le tissu social tunisien, scission confirmée par les derniers événements.

Le récent assassinat à Sfax de l’ingénieur Mohamed Zouari, que dieu ait son âme, dans des conditions obscures, par des commanditaires non moins obscurs, digne d’un authentique thriller, a fait voler en éclat le simulacre d’unité nationale. Tant au niveau de la presse, sur les plateaux radio et télé ou les réseaux sociaux, on n’a jamais entendu une aussi flagrante dissonance chez les Tunisiens concernant ce triste événement qui, sous d’autres cieux, aurait peut-être passé pour un fait divers.

Si on se réfère au dictionnaire, le mot «martyr» qualifie, dans le strict sens du terme, une «personne qui se sacrifie pour sa religion», et accessoirement pour une cause ou qui est victime de mauvais traitement.

Mohamed Zouari, martyr de la cause islamiste radicale

Feu Zouari s’est peut-être sacrifié pour sa religion puisqu’en bon musulman, en adhérant corps et âme au Hamas, le mouvement islamiste palestinien, qui prône purement et simplement la destruction totale d’Israël pour le remplacer par un Etat islamique englobant la Jordanie et gouverné par la charia, il est indiscutablement un martyr de la cause islamiste radicale et non pas un martyr de la Tunisie.

Encore faut il souscrire à l’hypothèse qu’il a été éliminé effectivement par le Mossad parce qu’il constituerait un danger pour l’Etat d’Israël (sic !) étant donné son génie en ingénierie aéronautique (re-sic !). Israël, l’inventeur des drones, premier producteur mondial de ces appareils ultra sophistiqués, qui équipent même l’armée américaine, a ainsi voulu se débarrasser de ce génial concurrent qui va faire de l’ombre à son industrie militaire et menace sa sécurité! Cette version des faits aussi irréaliste soit-elle est défendue par tous ceux qui sont allés manifester à Sfax pour célébrer sa mémoire et dénoncer Israël et le sionisme.

En fait, qu’a fait le défunt Zouari pour la Tunisie? A-t-il milité pour sa sécurité, son intégrité ou son indépendance pour le qualifier de «chahid el-watan» (martyr de la nation) et de faire tout ce tapage? Le fait d’être à ses heures perdues un technicien féru d’aéromodélisme doublé d’un militant islamiste de la première heure, impliqué dans un activisme religieux extrémiste connu de tous, en contact avec de sombres réseaux d’embrigadement de jihadistes et de trafic d’armes, lui confère-t-il le privilège d’être traité en héros en Tunisie?

Beaucoup plus que les Palestiniens même, certains Tunisiens ont une telle haine du sionisme et d’Israël qui leur fait perdre tout discernement. Ont-ils oublié que le mouvement Hamas n’a pour credo que la violence armée et que son principal ennemi n’est pas Israël mais plutôt l’OLP qu’il déteste viscéralement parce qu’elle cherche une solution négociée avec l’Etat hébreux? Ignorent-ils que Hamas est une organisation dont la branche armée (les Brigades Izz Al-Din Al-Qassam) est tristement célèbre pour son massacre de civils dans de mémorables attentats sanglants et qu’elle est qualifiée d’organisation terroriste par plusieurs pays occidentaux et même arabes (Egypte, Jordanie)?

Le martyr des hypocrites et opportunistes politiques

Je me demande où étaient ces protestataires pour stigmatiser les terroristes qui ont miné notre pays et qu’ont-ils fait pour la mémoire des vrais martyrs de ce pays. Où étaient-ils quant nos soldats se sont fait égorger au mont Chaambi, quand des dizaines d’autres ont été lâchement assassinés dans plusieurs guet-apens, quand des tueurs ont massacré des touristes innocents par dizaines? Ils étaient plutôt dans des mosquées ou l’on prône le jihadisme aveugle; ils remplissaient les stades où des prédicateurs moyenâgeux crachaient leur venin obscurantiste; ils étaient dans les meetings d’embrigadement pour recruter de jeunes déboussolés désoeuvrés pour servir de chair à canon en Syrie et en Irak.

Si l’assassinat de Zouari a réveillé la fibre islamiste de certains Tunisiens, il a aussi titillé la fibre nationaliste arabe de beaucoup d’autres et permis d’exposer au grand jour les collusions politiques impensables il y a quelques temps entre certains partis de la place qui sont théoriquement aux antipodes idéologiques l’un de l’autre et qui ont l’outrecuidance de se pavaner côte-à-côte pour récupérer des événements aussi malheureux .

Le Front populaire, emblème de l’extrême gauche tunisienne, qui est tout le temps «dhod» (contre ou opposé) et éternellement «dhod» toute initiative politique, s’est retrouvée avec cette affaire, opposé à ses principe, piégé et je peux même dire martyrisé.

Réussir à réunir les militants du Front populaire, d’Ennahdha du Congrès pour la république (CpR) et de la racaille apparentée dans le même cortège est un véritable tour de force qu’a réalisé le défunt Zouari, que dieu ait son âme, et qui lui fera certainement porter pour la postérité le titre non usurpé de martyr des hypocrites et opportunistes politiques de cette pauvre Tunisie.

* Médecin de pratique libre.

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