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Tunisie : Le retour à haut risque des jihadistes

Les chefs jihadistes tunisiens Abou Iyadh, Abou Baker El-Hakim et Kamel Zarrouk: Sont-ils morts et vivants? 

Bientôt, 2000 à 3000 jihadistes vont revenir en Tunisie et il sera inutile d’improviser des solutions précipitées pour gérer cette affluence.

Par Mohamed Nafti *

Rarement une question a autant mobilisé la classe politique et inquiété l’opinion publique en Tunisie que celle du retour des jihadistes.
Depuis quelques semaines, les débats se sont succédé à un rythme effréné dans les médias pour se calmer progressivement à la faveur de la célébration de la nouvelle année.

La question a aussi divisé les juristes, qui ont interprété différemment l’article 25 de la constitution et d’autres textes de loi relatifs à la protection des libertés fondamentales.

Rassurer une opinion publique très inquiète

Le pouvoir exécutif a, lui aussi, parlé : les «revenants» seront mis en prison, a déclaré le chef du gouvernement Youssef Chahed. Et de préciser que l’Etat ne rapatriera pas les terroristes, qui sont connus des services du ministère de l’Intérieur, mais les traitera à leur arrivée en Tunisie.

Le président de la république a voulu rassurer l’opinion publique en se prononçant pour une gestion du retour des jihadistes qui soit en accord avec la loi, mais sans mécontenter certaines parties influentes, qui clairement opposées au droit au retour des jihadistes.
Enfin, la plus haute institution démocratique de la nation, l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), est restée en marge de cette dynamique, observant un mutisme, alors qu’elle est supposée trancher sur cette question qui déconcerte les partis et inquiète l’opinion publique et la société civile.

La Tunisie sera confrontée, à un moment ou un autre, si elle ne l’est déjà, au retour d’un nombre important de jihadistes, quelque 3000 « revenants», selon les dernières estimations officielles. Ils ne sonneront pas à la porte, ne traverseront pas les frontières légales et ne seront pas rapatriés par les soins du gouvernement, mais s’introduiront dans le territoire national par des moyens divers, allant de l’entrée clandestine par les frontières terrestres ou avec de faux papiers d’identité.

Cependant, le risque ne réside pas seulement dans le retour, en tant que tel, de ces bombes humaines, mais dans la menace potentielle ou quasi-certaine que constitueraient leurs activités futures ou l’aide qu’ils porteraient aux groupes terroristes actifs dans les régions frontalières ou aux cellules dormantes – ou celles qui en restent – installées dans les centres urbains.

D’autres part, il sera très difficile de placer tous les «revenants» en prison ou de les traiter tous de la même façon. Des femmes, des bébés et des enfants seront aussi de retour, dont le traitement exigerait des mesures à caractère social.

Pour une gestion globale et appropriée

Pour ces raisons, il serait plus sage de traiter ce problème épineux d’une manière globale, aux niveaux politique, sécuritaire, juridique et social.

Sur le plan politique, le but est d’apaiser la crainte de l’opinion publique par l’annonce de mesures concrètes visant à protéger le territoire, les institutions et la population sur le court et le moyen terme des risques que présente le retour des jihadistes. Le parlement doit assumer entièrement sa responsabilité et se prononcer clairement sur cette question, notamment par une législation adéquate, qui prendrait en compte toutes les phases du processus : le retour, la démobilisation, la réhabilitation et la réinsertion dans la société.

La mesure législative mérite d’être prise par consensus parlementaire et bien expliquée à l’opinion publique. Elle sera ainsi d’un soutien important pour le gouvernement dans la gestion de cette affaire.

Cette opération est complexe et demande une large opération de planification, de coordination et de préparation. Avec l’écroulement imminent de l’Etat islamique (Daech), elle devient urgente. Le gouvernement doit donc mettre les bouchées doubles et anticiper le processus. Les solutions mises en œuvre dans certains pays européens méritent d’être expérimentées et adaptées. Elles pourraient donner satisfaction.

La tâche des institutions sécuritaires dans ce processus est énorme. Le travail d’investigation portera sur tous les individus qui ont quitté le pays depuis 2011 pour rejoindre les zones de tension. Le ministère de l’Intérieur nous a assurés en déclarant qu’il possède des informations sur tous les terroristes. Une coopération avec les acteurs influents dans les lieux des conflits serait plus efficace pour compléter toutes les fiches des éventuels «revenants». Préparer une infrastructure d’accueil pour isoler et «mettre en quarantaine» tous les jihadistes et procéder au triage nécessaire, première étape du processus.

La procédure judiciaire constituera la deuxième phase. Sur la base du dossier individuel, le juge entamera son travail, dans le strict respect des droits de l’homme, la Tunisie étant un pays démocratique et un Etat de droit mais.

La méfiance doit cependant être de rigueur, car ces individus sont partis faire la guerre de leur propre gré. Ils sont restés longtemps dans un environnement marqué par la violence extrême, ont participé à différentes actions de combat et ont peut être commis des exactions envers des civils désarmés ou des militaires prisonniers. En un mot, il est possible qu’ils aient commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité ce qui est passible de peines conséquentes. D’autres n’ont peut-être pas commis des actes criminels, mais le fait d’avoir vécu dans un climat de terreur et de violence extrême marquera leur esprit à vie. D’autres aussi passeront le restant de leur vie avec la tentation de la vengeance et du crime et pourront, un jour, passer à l’action et commettre des atrocités.

Mis en route d’un programme de dé-radicalisation

C’est cet aspect psychologique qui mérite le plus d’attention dans le processus de la gestion du retour des jihadistes. Il sera nécessaire, durant leur prise en charge, de les faire soumettre tous à un programme de dé-radicalisation permettant de les réhabiliter et de les réinsérer dans la société.

Tous les «revenants», même ceux sur lesquels ne pèsent pas de soupçons de crimes, doivent être «mis en quarantaine» pour une période déterminée et admis dans des camps de réhabilitation avant d’envisager leur libération définitive.

Le problème se pose aussi pour les membres de la famille des jihadistes. Les femmes ne seront pas exemptées de cette opération de dé-radicalisation et suivront le même processus. Les enfants mineurs et les bébés recevront, quant à eux, un traitement à part.

La gestion des jihadistes de retour au pays n’est pas un problème théorique ou un sujet de débat idéologique. Ce retour n’est plus un scénario envisagé, mais déjà une réalité. Tous les experts disent que les jours de Daech sont comptés. En Syrie et en Libye, l’organisation terroriste est en phase de désagrégation. Elle a perdu Alep et Syrte, ses deux plus importants fiefs. Beaucoup de ses chefs opérationnels ont été liquidés. Tactiquement ses troupes sont vaincues. Le soutien financier commence à tarir et la logistique ne suit plus.

Bientôt les jihadistes vont déferler en Tunisie, si ce n’est déjà fait, et il sera inutile d’improviser des solutions précipitées pour gérer cette affluence. Qu’il s’agisse de 2000 ou de 3000 jihadistes à accueillir, ces derniers représentent une véritable armée capable de mettre en péril la paix civile s’ils ne sont pas pris en charge d’une manière efficace dès leur retour au pays.

* Général à la retraite.

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