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L’immobilier en Tunisie : Un secteur en souffrance


L’accès au logement est un espoir pour la majorité des Tunisiens, mais sa réalisation achoppe sur de nombreuses difficultés. Une nouvelle politique de logement est donc nécessaire.

Par Moncef Kamoun *

Grâce à la politique de l’habitat menée au cours des années 1970 et 1980, le nombre de logements atteint, aujourd’hui, en Tunisie, 3 millions pour un 2,6 millions de ménages et 11 millions d’habitants.

Cette politique n’est plus, actuellement, en mesure de répondre aux besoins avec, en plus, le déficit d’exploitation dégagé par les 3 opérateurs publics (Snit, Sprols et Arru), qui atteint 8 millions de dinars tunisiens (MTND) durant la période 2009-2013.

Il faut réinventer le secteur

Economiser pour acheter un logement devient quasi impossible eu égard à la cherté de l’immobilier et à la baisse du pouvoir d’achat. Autant d’obstacles qui ont poussé les Tunisiens à ne plus compter sur l’administration, à se prendre en charge et à s’aventurer dans l’auto-construction anarchique, qui convient mieux à leur rythme de vie et à leur pouvoir d’achat. Le résultat, on le connaît: un véritable désastre urbain, sachant que plus du tiers de l’habitat est constitué désormais de constructions anarchiques.

Aussi doit-on réinventer le secteur et mettre en place une nouvelle stratégie des opérateurs. Pour cela, quatre mesures, qui se complètent, doivent être mises en œuvre: la révision de la stratégie et la redéfinition du rôle et des missions des opérateurs étatiques du secteur; l’encouragement du secteur privé et le développement d’un nouvel acteur de partenariat public privé (PPP); l’allègement du cadre réglementaire et des procédures administratives; et la révision de la politique de financement du logement.

Accroître l’offre de terrains à bâtir

Le problème majeur du secteur de l’immobilier est, on le sait, la pénurie de lotissements viabilisés et de terrains constructibles, alors que le marché immobilier dépend fortement de l’évolution de l’offre foncière et de la disponibilité des terrains à bâtir.

Dans sa base de données l’Agence foncière de l’habitat (AFH) dispose, aujourd’hui, de 321.000 demandes de lots de terrain dont plus que la moitié dans le Grand-Tunis, alors qu’elle n’a offert qu’à peine 77.000 terrains, soit environ une demande sur 4 dans le Grand-Tunis.

Sur la période 2008-2013, le taux de satisfaction s’était établi à seulement 19%.

Par ailleurs, les délais de viabilisation sont très longs dans la mesure où le cycle du projet dépasse largement 7 ans.

Enfin, il y a deux autres obstacles : l’absence de promoteurs fonciers actifs et la lenteur de la révision des plans d’urbanisme.

Voilà la situation actuelle du foncier!

L’incidence foncière est, dans ces conditions, extrêmement élevée et le mètre carré couvert flambe et, dans ces conditions, il ne peut être, en aucun cas, inférieur à 2.000 dinars à Tunis. Aussi de nouveaux mécanismes doivent-ils être mis en place.

Depuis sa création il y a 30 ans, l’AFH n’a aménagé que 7.000 hectares et il n’est plus question qu’elle continue à fonctionner avec les outils des années 70.

Pour accélérer le rythme et améliorer le rôle de l’AFH, celle-ci doit faire l’acquisition d’importants terrains dans toutes les régions, mettre en place les infrastructures nécessaires et laisser les lotissements de détail aux sociétés de promotion publics et privés. Le rôle de l’AFH sera donc l’aménagement et la viabilisation des terrains urbains constructibles à grande échelle.

La direction générale de l’aménagement du territoire doit accélérer le rythme des démarches d’aménagement et créer une nouvelle structure administrative indépendante et multidisciplinaire, qui interviendrait dans toutes les régions, bénéficierait de l’autonomie de gestion et de décision et serait ouverte à toutes les composantes du tissu socio-économique.

Mobiliser le secteur privé pour un meilleur accès au logement

Sur les 2.800 promoteurs immobiliers enregistrés officiellement, seuls 600 sont en activité, les 2.200 restants sont des sociétés peu productives et opérant de façon peu professionnelle et occasionnellement.

La performance des promoteurs, le degré d’accomplissement des objectifs et l’assiette financière de l’ensemble du secteur privé sont très faibles et ne permettent pas d’entreprendre des projets d’envergure susceptibles d’augmenter la production, ni d’intervenir dans tout le pays.

Par ailleurs, la majorité des promoteurs se concentrent dans les grandes villes littorales et produisent plutôt du haut standing (65%), contre 33% pour l’économique et 2% pour le social.

Il faudrait donc une restructuration et une rationalisation du développement de la profession par la révision des modalités d’autorisation de l’exercice; l’encouragement des promoteurs professionnels et l’ouverture du capital des sociétés immobilières aux participations étrangères.

Une administration plus souple, efficace et accessible

L’administration tunisienne, connue pour sa bureaucratie pesante, son favoritisme, son manque de coordination et de synergies entre les services, a besoin de réformes en profondeur pour améliorer la qualité des services rendus et, par conséquent, réduire les délais qui influent directement sur le prix du logement.

Il faut, aujourd’hui, plus qu’une année pour obtenir une autorisation de bâtir, 6 ans pour faire adopter un plan d’aménagement urbain, 10 ans pour bénéficier d’un lot de terrain aménagé et 13 ans pour mener à terme un plan d’aménagement et disposer d’un lotissement. Cette lourdeur des procédures administratives est responsable des surcoûts du logement.

Un partenariat public-privé plus efficient

Le mode de partenariat public-privé (PPP) est un procédé par lequel l’Etat appelle les investisseurs privés à participer à la réalisation des grandes opérations immobilières et ce pour alléger ses charges et accélérer le développement du secteur.

Ce mode de financement, apparu en 1992 en Angleterre puis en France en 2004, a contribué à l’allègement des contraintes budgétaires de l’Etat, l’évaluation exacte des coûts et leur réduction, la réalisation rapide des projets et surtout la concentration de l’Etat sur ses vraies missions.

Les autorités tunisiennes ont plus que jamais besoin, aujourd’hui, de renforcer ce genre de partenariat, d’autant plus qu’elles font face à de grands défis économiques et sociaux.

Faciliter la propriété des étrangers

Soixante ans sont passés depuis la publication du décret du 4 juin 1957, instaurant l’autorisation du gouverneur pour l’accès des étrangers à la propriété immobilière. Cette mesure permet aux autorités d’étudier l’importance stratégique du bien immobilier à acquérir, de collecter les informations sur l’acquéreur, pour des considérations de sécurité et afin de prévenir la spéculation, mais le délai d’obtention de cette autorisation dépasse aujourd’hui 3 ans.

Le cadre juridique régissant actuellement la propriété des étrangers en Tunisie est considéré comme l’un des plus rigides et entravant pour l’investissement.

Afin d’encourager l’investissement étranger dans le secteur de l’habitat, il est donc nécessaire de revoir ce décret et de faciliter les démarches de l’obtention de ladite autorisation.

Promouvoir les logements sociaux

Un logement décent pour tous et à faible coût : tel est, depuis des décennies, le vœu de l’écrasante majorité des citoyens.

La Snit a lancé, dans les années 1960, une importante opération de logements sociaux et le pays a vu une expansion des cités populaires, avec le même topo pour toutes les régions et tous les contextes socio-économiques, les mêmes modèles étant implantés à Jendouba, Douz, Kasserine et Tunis.

Quarante ans plus tard, la Troïka, l’ancienne coalition gouvernementale conduite par le parti islamiste Ennahdha, a lancé, en 2012, un programme de logement social. L’opération qui consiste à construire 30.000 logements, s’articule autour de deux composantes: une première de 10.000 consistant à la démolition des logements rudimentaires et leur remplacement par de nouveaux logements sociaux et la deuxième visant à construire 20.000 logements neufs.

Ce programme, tel qu’il a été conçu, est voué à l’échec économique et social. Et pour cause : pour son exécution, l’Etat a lancé un appel d’offres international clés en main, sans qu’aucune étude (sociale, urbanistique, environnementale ou même financière) n’ait été élaboré préalablement. On n’a pas analysé les souches populaires ciblées, les contextes et les enjeux stratégiques, afin d’aboutir à une démarche rationnelle et de mettre en cohérence le programme avec son environnement physique et humain.

Ce programme, dont on escomptait un éphémère succès politique, n’avait aucune chance d’aboutir ou de constituer une réponse adéquate à la crise du logement. Il aurait fallu le mettre en adéquation avec les contextes social et urbain et adopter des solutions conformes aux besoins, aspirations et moyens financiers des populations concernées.

Des crédits-logements adaptés au pouvoir d’achat

Aujourd’hui, et même en cumulant leurs revenus, deux conjoints ne parviennent pas à trouver un logement à leur portée. Et alors que l’accès au logement constitue un espoir pour la grande majorité des Tunisiens, sa réalisation achoppe sur de nombreuses difficultés, notamment l’absence de mécanismes de financement appropriés.

Avec la chute de son pouvoir d’achat, le Tunisien dispose difficilement de moyens pour accéder à un logement. Il est donc contraint de recourir aux crédits bancaires. Aussi doit-on revoir de fond en comble la politique de financement du logement, en revoyant à la baisse le taux d’intérêt bancaire sur les crédits-logements contractés par le promoteur immobilier ou le citoyen, en baissant également le taux d’autofinancement requis par les banques à 10% de la valeur de l’immobilier et en révisant le délai de remboursement de l’épargne logement de 25 à 30 ans.

* Architecte, ancien enseignant à l’école d’architecture, ancien membre de la Commission supérieure de la recherche scientifique.

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