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Tunisie-Allemagne : Chahed et Merkel recherchent un terrain d’entente

D’entrée de jeu, Youssef Chahed et Angela Merkel ont mis sur la table de leur discussion le dossier de l’immigration clandestine. Mais à chacun ses priorités nationales…

Par Marwan Chahla

Pour l’un comme pour l’autre, cette question revêt un caractère urgent. Pour la Tunisie, elle pourrait impliquer le retour de «revenants indésirables». Pour l’Allemagne, désormais hantée par le risque terroriste, il s’agit de renvoyer vers la Tunisie, et au plus vite, un certain nombre de Tunisiens dont le séjour sur le sol allemand est irrégulier.

«Tout demandeur d’asile débouté devra partir!»

Mardi 14 février, jour de son arrivée en Allemagne pour une visite officielle de deux jours, le chef du gouvernement tunisien s’est rendu, en compagnie de la chancelière allemande, à la Breitscheidplatz, théâtre de l’attentat meurtrier du 19 décembre 2016 qui a fait 12 victimes et plus d’une cinquantaine de blessés et dont l’auteur présumé est un Tunisien, Anis Amri.

Pour rappel, ce dernier, natif d’El-Oueslatia, gouvernorat de Kairouan, a quitté la Tunisie, en 2011, pour la Sicile, où il a résidé dans un camp pour mineurs. Après avoir servi une sentence de quatre années d’emprisonnement en Italie, de 2011 à 2015, il s’est rendu à Fribourg, en Allemagne, à la recherche d’un asile. Sa demande, auprès des autorités allemandes, a été rejetée et la procédure de son expulsion vers la Tunisie va prendre plus d’un an – étant donné que le jeune Tunisien a usé de tous les moyens à sa disposition pour rendre son rapatriement impossible. Entre autres échappatoires, Amri a utilisé pas moins de six fausses identités et, à chaque fois, la police et le renseignement tunisiens se sont trouvés dans l’obligation de vérifier les données soumises par Berlin, avant de pouvoir fournir les documents requis pour cette extradition…

Lors de leurs entretiens, Mme Merkel et M. Chahed se sont accordés sur la nécessité absolue de faciliter le renvoi de ceux d’entre les Tunisiens dont le séjour en Allemagne est illégal.

«Nous devons être clairs là-dessus: toute personne [en situation irrégulière, ndlr] qui n’accepte de partir volontairement nous placera dans l’obligation de la contraindre à le faire; et nous devons être plus rapides dans l’exécution de cette procédure», a indiqué la chancelière allemande.

Actuellement, selon les sources allemandes, il y aurait environ 1.500 Tunisiens dont la demande d’asile a été refusée et qui attendent d’être renvoyés en Tunisie.

M. Chahed a, une nouvelle fois, déclaré que notre pays est horrifié par l’attaque du marché de Noël de Berlin, insistant qu’«Amri ne représente pas la Tunisie.» De plus, le Premier ministre a rappelé que «le jour où, en 2011, Anis Amri a quitté la Tunisie, il n’était pas terroriste. C’est en Italie, en prison, qu’il s’est radicalisé…», laissant ainsi le soin à ses interlocuteurs allemands de comprendre que la Tunisie n’est en rien responsable de la tuerie de Berlin.

Youssef Chahed et Angela Merkel, 14 février 2017, Berlin

Conférence de presse conjointe des deux chefs de gouvernement. 

Le traumatisme du 19 décembre 2016

Le cas du présumé coupable Anis Amri, au centre des discussions Merkel-Chahed, a, en effet, engendré de vives tensions bilatérales entre la Tunisie et l’Allemagne, durant les semaines qui ont suivi l’attentat de la Breitscheidplatz.

Berlin a reproché à Tunis de n’avoir pas accéléré l’opération de l’envoi d’un passeport de remplacement pour procéder à la déportation de l’auteur présumé de l’attaque. Et Tunis justifie ce retard par les requêtes erronées présentées par la police et la sécurité allemandes…

Dans ses entretiens avec Youssef Chahed, Mme Merkel a également soumis la proposition de l’établissement en Tunisie de ce que l’on appelle des «camps d’accueil pour immigrés.»(1) L’intention, selon la chancelière allemande, serait de mettre hors d’état de nuire les trafiquants de personnes qui sont responsables, chaque année, de la mort de plusieurs milliers de boat people (2) – surtout à l’approche du printemps, saison à partir de laquelle le rythme des traversées illicites de la Méditerranée s’intensifie, jusqu’en octobre et novembre…

C’est donc sous cette pression – celle de l’inquiétude de l’opinion publique allemande traumatisée par l’attentat du 19 décembre 2016 et la montée de l’extrême droite anti-immigrés et du populisme en Allemagne – que Mme Merkel tente d’obtenir la coopération de son homologue tunisien sur cet épineux dossier de l’immigration clandestine. Et au plus vite, c’est-à-dire avant les élections fédérales allemandes de septembre prochain où la chancelière d’Allemagne risque d’être mise à mal…

Sur cette idée de «camps d’accueil» pour candidats à l’immigration, M. Chahed a préféré la prudence, suggérant que cette proposition soit placée dans un cadre plus large de «Plan Marshall» qui sera soumis à la discussion des pays d’Afrique du nord.

La coalition gouvernementale dirigée par Angela Merkel a ses priorités; le gouvernement de Youssef Chahed a aussi les siennes…

Notes:

(1) Début février, l’Union européenne s’est fixé, lors de son sommet à Malte, l’objectif d’ouvrir des camps depuis lesquels les migrants souhaitant accéder à l’espace européen pourraient directement déposer leur demande d’asile en Libye ou dans des Etats voisins d’Afrique du nord. C’est à partir de ces «centres d’accueil» pour les candidats africains à l’immigration que seront traités et triés les dossiers.

(2) En 2016, plus 4.600 personnes ont péri noyées en Méditerranée. L’an dernier, également, la péninsule italienne de Lampedusa a recueilli plus de 180 000 migrants. La situation est devenue ingérable pour un pays comme l’Italie, qui est en ligne de front de cette crise migratoire dont les conséquences, pour les uns comme pour les autres, sont dramatiques.

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