Accueil » Tunisie : L’école publique au risque du giron islamiste

Tunisie : L’école publique au risque du giron islamiste

Rached Ghannouchi / Neji Jalloul.

Derrière la «guérilla» menée contre le ministre de l’Education Néji Jalloul, c’est le parti islamiste Ennahdha qui mène l’assaut contre l’école publique mixte, moderniste et rationaliste.

Par Hedia Yakhlef *

Qui ne se souvient de cette rencontre entre Abdelfattah Mourou et Wajdi Ghanim où le vice-président islamiste de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), madré et matois, s’était laissé aller à une confidence on ne peut plus programmatique ?

Il cherchait à convaincre son interlocuteur, gourou d’un islam rétrograde, empressé d’étouffer alors le pays sous sa chape de prédications noires et haineuses, de la nécessité d’une stratégie par étapes dans la mise sous coupe des esprits et leur formatage dans l’idéologie islamiste et ses valeurs.

La nature du combat islamiste

Face au chantre de l’excision et autres billevesées d’un autre âge, les mots ont manqué à notre avocat à la faconde jamais en défaut. Au lieu de défendre les acquis d’une société vers plus de libertés individuelles, vers plus d’égalité entre les sexes, vers un plus large champ de possibles ouvert à tous les citoyens dans leur diversité et leur différence, maître Mourou s’est fendu d’une phrase laconique mais ô combien significative comme aveu! Une phrase concise qui en dit long sur la vérité de la vision islamiste et sur ses projets: «Notre cible prioritaire n’est pas les laïcs d’aujourd’hui mais leurs enfants». Formule claire comme l’eau de roche qui désigne, sans ambiguïté aucune, la nature du combat à mener que se fixent les islamistes et les instruments et les moyens de parvenir à la réalisation de leur objectif.

En peu de mots, notre habile orateur même dans ses actes manqués, affirme le socle dogmatique de son parti Ennahdha et sa stratégie.

En ne réfutant pas ce qu’était venu prêcher Ghanim, il déclare s’inscrire dans le partage du même univers de valeurs. Pire, il fait de ces valeurs le contenu à transmettre aux futures générations, c’est-à-dire les jeunes aujourd’hui encore en formation.
Il ressort ainsi, sans l’ombre d’un doute, que pour ce parti l’école est un instrument majeur dans leur projet de garantir leur hégémonie et leur modèle sociétal. Un levier capital à conquérir pour asseoir leur pouvoir et diffuser les représentations et les normes qui structurent leur vision.

Naïfs sont ceux qui nous objecteraient que les choses ont changé et qu’on n’est plus dans la surchauffe du tourbillon révolutionnaire.

Concessions affichées et convictions profondes

Certes, l’exercice du pouvoir et sa complexité, les choix politiques, économiques, sociaux, culturel… quand ils se fracassent sur le mur des réalités et de la résistance citoyenne obligent de mettre un bémol à ses ambitions, de contenir son appétit de suprématie et de contrôle de la vie des gens, de refréner ses ardeurs partisanes… Image que le parti islamiste cherche actuellement à imprimer: démocrate, consensuel, modéré, tolérant, ouvert ! Autant de concessions affichées pour prouver l’adaptation à la réalité tunisienne hors de laquelle n’importe quel parti reste comme exogène, importé, inauthentique.

L’effort cosmétique est indéniable et la nouvelle peau médiatique des «Bleus» peut faire illusion mais le maquillage souvent se fissure et laisse apparaître les traits réels qui trahissent les convictions profondes toujours à l’œuvre.

Ennahdha a changé mais rien qu’en surface. Sous le vernis avenant de la communication demeure la détermination à refonder notre mode d’être et de penser et à ramener nos enfants dans son giron.

L’attitude des islamistes face à ce qu’indûment on voudrait faire passer comme «crise» du ministère de l’Education nationale vient montrer l’inconsistance de cette fiction de la métamorphose d’Ennahdha et l’art consommé de la «taqiya» (pratique consistant à dissimuler sa foi) chez ses responsables.

La charge menée actuellement contre ce service publique de l’éducation ne trompe personne sur son origine tant cet oukase imposé par des syndicalistes ultras, exigeant le départ du ministre de l’Education, Neji Jalloul, porte la marque islamiste. Leur volonté de mettre la main, par personne interposée, sur ce secteur est manifeste. Les grèves successives très suivies, dans les écoles et les lycées, par les «frères» viennent, de toute évidence, répondre à des mobiles politiques loin des revendications réelles pécuniaires, statutaires, pédagogiques… des enseignants (pour certaines déjà dépassées).

Syndicat de l'enseignement secondaire

Les syndicat de l’enseignement: des idiots utiles. 

Derrière la «guérilla» contre Neji Jalloul

Une conjonction d’intérêts de quelques syndicalistes qui cherchent à se positionner et à se donner de la notoriété par la surenchère et de figures proches du «courant bleu» ayant pour mission de creuser dans le sens des constantes idéologiques du parti, a favorisé un climat de tension permanente; une technique rodée de harcèlement constant et d’agitation continue a été mise en place. Une peau de banane sous un pied, un gros caillou dans la chaussure à l’autre, on n’a pas arrêté de savonner la planche au ministre devenu, non plus un interlocuteur avec lequel on négocie, mais un ennemi à abattre. L’objectif de cette «guérilla» étant de créer le vide par où peut s’engouffrer la récupération de ce secteur vital de la formation de l’esprit et leur possible endoctrinement.

Le fruit semble, ces derniers jours, mûr, prêt à tomber entre les mains qui l’attendent avidement; ceci selon deux scénarios possibles: ou Ennahdha ramasse directement le portefeuille et s’en va, franco de port, dans la réalisation de ses plans, quitte à confier les manettes à un homme de paille; ou, d’une manière moins frontale, imposer, de manière retorse, ses choix et sa vision à un ministre affaibli, contraint à composer.

Le dernier communiqué du parti portant sur la réforme éducative semble entériner cette deuxième option au vu du style de discours lénifiant qu’il adopte.

Le sens de la mesure, de la modération et du consensus y est tellement appuyé qu’il en devient suspect et donc révélateur.
Qui oserait s’inscrire contre cet appel qui se réfère aux principes de la constitution et aux attentes des Tunisiens relatives à l’école? Qui nierait les vertus du débat et de la concertation?

Le communiqué se veut inattaquable et les propositions s’imposent incontournables, imparables tant elles cultivent par leur «généralité» et leur aménité l’évidence de la doxa régnant actuellement.

En réalité cet «œcuménisme» de façade cache une manœuvre politique habile qui fait basculer subrepticement une question complexe, ardue, nécessitant une APPROCHE SCIENTIFIQUE vers une simple confrontation d’OPINIONS où la diversité et la variété des orientations ne peuvent aboutir qu’à un compromis nébuleux reflétant, en partie, un rapport de force entérinant le poids des forces politiques mobilisables à un moment donné.

Elargir l’assiette de la «concertation» ne sert, au fond, que cette intention de noyer la réforme éducative dans des discussions sans perspectives débouchant sur des résolutions tellement larges ne pouvant que conforter chaque bord dans ses convictions, dans ses interprétations, dans ses conceptions et dans ses pratiques.

manifestation des enseignants

Ennahdha manipule les enseignants, qui manifestent devant le ministère de l’Education.  

C’est par cette instrumentalisation du débat – large, ouvert, démocratique – que s’opérera, pernicieusement l’«idéologisation» de l’institution publique et sa politisation au profit du mieux organisé et du plus solide sur son «socle dogmatique», à savoir, aujourd’hui, les islamistes d’Ennahdha, leurs relais et leurs ramifications.

Le communiqué islamiste évoqué, sous ses dehors bienveillants, vise à installer un dispositif de combat pernicieux s’appuyant sur une constitution de compromis à large spectre, un tissu associatif multiple et hors contrôle dans ses finances et ses champs d’action, un syndicat mu par des soucis de carrière; autant de manettes pour replacer leur projet politique, idéologique et sociétal au cœur de la réforme.

On reverra certainement, dans ce cadre construit, réapparaître les sempiternels discours sur l’identité confessionnelle, ethnique, linguistique… On reverra se répandre les réductions historiques et le relativisme culturel; on reverra s’exprimer le mépris des arts, des sciences humaines et de l’esprit critique et se manifester le refus des subjectivations… Tout cela au profit d’une école normalisatrice ancrée dans la culture de la tradition et de la conformité. Une école où domine la répétition et la restitution favorable, malheureusement à la reproduction d’esprits théologico-mythiques s’accommodant facilement de fictions nostalgiques d’un âge d’or de califes, d’imams, et de prédicateurs légiférant et taillant, au gré de leurs élucubrations, dans la liberté des citoyens.

La réforme éducative est à cet enjeu là et exige de nous que nous soyons vigilants, fermes sur une école publique, gratuite, égalitaire, mixte, universaliste, moderniste et rationaliste.

* Enseignante.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!