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Bloc-notes : Conseil national de sécurité et industrie de la délinquance

Ce n’est pas la consommation du cannabis qui fait le délinquant, mais le harcèlement des jeunes et la prison, devenue une véritable industrie de la délinquance.

Par Farhat Othman *

Aujourd’hui, en Tunisie, non seulement le parti islamiste Ennahdha louvoie en simulant et en dissimulant le plus machiavéliquement possible, mais il y est encouragé par le pouvoir en place qui, même sur une question sur laquelle il s’est engagé, ne fait rien de sérieux : la liberté sans atermoiement pour les consommateurs du cannabis.

Démission coupable

Ce qui est bien pis, c’est que cela se passe dans une quasi-inertie des militants dont on ne peut soupçonner la sincérité de l’engagement. Sur la question, ils se laissent globalement rouler dans la farine par les uns et las autres qui leur répètent que la société ne serait pas mûre pour la dépénalisation du cannabis. Ce qui est un mythe. La preuve en est l’augmentation des consommateurs, surtout parmi la jeunesse, au risque et péril de son avenir.

Aussi, les décisions du dernier Conseil national de sécurité (Mesures en faveur des consommateurs de cannabis) sont-elles très décevantes. Elles traduisent soit le manque de volonté réelle chez le président de la république de tenir parle en abolissant la prison pour les jeunes, soit l’inexistence de tout poids réel de sa part sur la vie publique. N’a-t-on pas parlé de Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha, comme seul vrai décideur en Tunisie?

Mais, répétons-le : ce n’est pas la seule responsabilité du président; c’est aussi celle des militants et leur démission sur la question cruciale de la dépénalisation comme seule solution possible aux drames actuels.

Pourquoi donc ne réagissent-ils pas en dénonçant les faux-fuyants? Pourquoi n’interpellent-ils pas, par exemple, M. Ghannouchi et ses conseillers qui pratiquent à merveille la désinformation? Le plus proche conseiller du gourou islamiste, Lotfi Zitoun en l’occurrence,  ne s’est-il pas prononcé pour la dépénalisation à titre personnel? Qu’il ose donc, s’il est sincère, le manifester à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) par un amendement au projet de loi gouvernemental? Ne trouvera-t-il pas neuf députés pour se joindre à lui ?

Conseil National de sécurité

Dernière réunion du Conseil national de sécurité le 15 mars 2017. 

Nécessité d’un sursaut éthique

On sait que dans toute négociation cruciale, il importe de demander le plus pour avoir le moins; alors, pourquoi ne pas demander haut et fort ce que commandent la logique et l’éthique, outre la justice et l’équité : l’abolition d’une scélératesse de la dictature qui a déjà fait trop de mal à notre jeunesse?

Bien mieux, n’est-on pas en droit d’exiger réparation pour les victimes de la dictature? On est donc bien habilité à l’exiger pour les innocentes victimes du cannabis ? Pourquoi l’Instance Vérité et Dignité (IVD) ne s’en soucie guère? Et n’a-t-on pas réparé des préjudices subis par des opposants aux régimes pour des faits plus graves, car touchant à l’ordre public?

Le Conseil national de sécurité et surtout les autorités du pays déçoivent énormément le peuple réel qui compatit bien au sort de ses jeunes au-delà d’une minorité embrigadée. Ses dirigeants continuent à s’en couper irrémédiablement, notamment de la jeunesse, risquant d’encourir un jour sa colère terrible si elles ne se ressaisissent pas au plus vite.

Or, le président, lui-même, a précisé que le cannabis n’a rien à voir avec les stupéfiants. C’est une drogue douce comparable au tabac et à l’alcool; interdit-on ces derniers? Bien mieux, la consommation épisodique de nos jeunes n’emporte aucune accoutumance, ce qui rend le cannabis bien moins nocif que la cigarette qu’on vend librement, et la prison, une véritable fabrique de la délinquance !

Stop à l’industrie de la délinquance !

Toutes les instances internationales expertes et compétentes, dont l’Onu, ont appelé à la dépénalisation pour se concentrer sur le trafic; que ne les écoute-t-on? Même dans les pays où la pénalisation est encore maintenue, comme notre modèle qu’est la France, on ne poursuit plus pour la détention à usage personnel; qu’on les suive donc !

Il importe aux militants de la société civile d’oser se rebeller contre le conformisme actuel autour de la question et exiger — rien de moins — que la dépénalisation et la cessation de toute arrestation, outre la libération des détenus actuels.

Cela ne nécessite même pas de loi, juste des instructions claires de la part des ministres de l’Intérieur et de la Justice. Ont-ils assez d’autorité pour ordonner de telles mesures? Et s’ils l’ont, ont-ils la volonté politique pour le faire et le sens de l’équité pour rendre justice à une jeunesse martyrisée? Bien mieux, ont-ils seulement un minimum d’éthique?

Qu’apporte de nouveau le Conseil national de sécurité? Rien de vraiment important : juste un cautère sur jambe de bois ! Il ne fait que veiller à sauvegarder l’autorité des forces de l’ordre et de la justice pour continuer à brimer la jeunesse et retarde encore plus l’abolition de la loi scélérate du régime déchu en introduisant une mesure pour l’adoucir alors qu’on demande son abolition
Si la société civile et les voix justes ne se révoltent pas contre une telle inertie en termes de valeurs, rien ne changera dans le pays et on continuera à fabriquer des délinquants, encourageant la jeunesse à se révolter.

Est-ce que qu’on cherche? Hélas, il paraît que c’est le cas chez certains politiciens qui agiraient en douce pour recruter des sympathisants dans les milieux des jeunes brimés !

Ils jouent ainsi avec le feu; et c’est le pays qu’ils embraseront. Que les patriotes réagissent donc tant qu’il est temps! Cela passe par le sauvetage de notre jeunesse menacée, non par le cannabis, mais par le harcèlement policier et judicaire de nos tartuffes d’un autre temps qu’on croyait révolu!

* Ancien diplomate, auteur de ‘‘L’Exception Tunisie’’ (éd. Arabesques, 2017).

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