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In memorian : Le «mausolée numérique» de Sid’ Ahmed Brahim

Le 14 avril 2017, la Tunisie célébrera le 1er anniversaire du décès d’Ahmed Brahim, L’ancien fondateur et président de la Voie démocratique et sociale (Al Massar).

Par Habib Trabelsi

«Servir sans se servir», telle était la devise de Sid’ Ahmed Brahim, un bel exemple de probité, d’intégrité, d’humilité et déni de soi, dont devrait s’inspirer la «classe politicienne» tunisienne, ces grands ténors «tout à l’ego» de la politique de pacotille.

L’ancien fondateur et président de la Voie démocratique et sociale (Al-Massar), décédé le 14 avril 2016 et qui repose au carré des grands militants du Jallaz, s’était retiré volontairement à 68 ans de la scène politique, le 22 juin 2014, un geste de désintéressement qui, aux yeux de dinosaures sans vision et sans talent qui s’agrippent à leurs chaises à corps perdu, est synonyme d’hérésie politique.

En avril 2013, Sid’Ahmed devait d’ailleurs être «traîné dans la boue dans les médias» par certains collègues à l’Assemblée nationale constituante (ANC), qui, selon lui, «ne pouvaient imaginer que l’on pût faire de la politique sans y ‘‘trouver matériellement mon compte’’».

Sid’Ahmed venait alors de demander au président de l’ANC qu’il mette fin à son indemnité parlementaire et à toutes ses primes et de le considérer comme «un député bénévole»… Une profanation que «certains, qui n’ont que le mot ‘‘révolution’’ à la bouche, vous diront en aparté, quand il s’agit d’argent, que le système Ben Ali avait du bon. Tout de même!».

Ahmed Brahim

Un «testament numérique»

C’est ce que Sid’Ahmed devait raconter après son faux «repos de guerrier» sur sa page Facebook, désormais «commémorative», une mine de messages révolutionnaires dans un pays où «les ‘‘élites’’ politiciennes – pratiquement dans tous les partis, toutes tendances confondues – ont tendance à considérer les organes de l’Etat comme du butin».

Les centaines de posts – que je me suis délecté à re/lire par amour à Sid’Ahmed et en souvenir de ce leader emblématique — méritent bien d’être le «bréviaire» de toute personne qui veut «avancer sur la voie de la démocratie» et «épargner à notre pays une dérive nullement improbable vers les ténèbres».

C’est l’un des messages clé à retenir de ce foisonnement d’articles «à méditer», dans les trois langues, de vidéos, de chansons et de poèmes engagés, de caricatures, d’«intermèdes détente» et de… coups de gueule. La plume alerte, l’éloquence en verve, l’humour décapant, l’infatigable linguiste-universitaire-syndicaliste-militant-ministre-député semble livrer un «testament numérique».

D’abord, à ses camarades de lutte, au lendemain de leur débandade aux législatives d’octobre 2014: «Dans toutes les batailles, quelles qu’elles soient, il y a des victoires et des défaites, des succès et des échecs (…). Toutes les armées peuvent connaître une déroute et se ressaisir, se regrouper derrière leurs états-majors, ou ce qu’il en reste, pour se remettre en ordre de bataille après avoir revu lucidement la stratégie et la tactique. Mais le combat continue et gare à la politique de l’autruche !!».

«Sortez de votre silence, quittez votre léthargie, relevez-vous, adressez-vous à vos troupes, à vos militants, à vos sympathisants, à vos électeurs, pour leur dire que vous êtes debout, que vous avez reçu le message de l’opinion», les interpelle-t-il sous le titre «Lève-toi et marche, camarade!».

Ensuite au peuple, qu’il met en garde – dans un post daté du 18 avril 2015 et titré «Exit la Troïka… Vive le Quadrige» – contre les tractations entre les partis politiques formant le gouvernement Essid (Nidaa Tounes, Ennahdha, Afek Tounes et l’UPL) pour «le partage du butin que constituent les postes de gouverneurs, de PDGs des entreprises publiques, de diplomates…», contre des chefs qui se croient indispensables, infaillibles et inamovibles.

Mais aussi au chef de l’Etat, Béji Caid Essebsi, qu’il interpelle pour lui rappeler qu’«il n’est pas d’autre voie pour notre pays que l’unité de toutes les forces démocratiques et réformistes pour mettre fin au déséquilibre des forces révélé par le scrutin d’octobre 2011 et pour rendre possible l’alternance démocratique». «N’oubliez pas cette devise, qui doit rester la nôtre à nous tous: ‘‘La Patrie avant les partis !’’. Attention aussi à ne pas répéter l’erreur historique: ‘‘Le parti, c’est moi’’, donc ‘‘la patrie c’est moi’’», ironise Sid’Ahmed sous le titre allégorique «Lettre d’un petit Maltais à la Grande Allemagne !».

Funérailles de Ahmed Brahim

L’enfant de Zarzis repose au carré des grands militants du Jallaz.

Des coups de gueule à la pelle

Au mépris de la maladie, cet homme de conviction avait poursuivi après sa «retraite» sa lutte tous azimuts jusqu’au dernier soupir : suivant à la loupe l’actualité locale et internationale, accordant des interviews radiophoniques, haranguant ses camarades lors d’un hommage au doyen de la Faculté des Lettres de La Manouba, Habib Kazdaghli – Docteur honoris causa (Université Paris-X Nanterre, 2014 et Prix du «Courage de penser» (Amsterdam, 2014) –, commémorant les décès de héros nationaux – Sliman Ben Sliman (médecin et homme politique), Hassan Saadaoui (militant communiste et syndicaliste) –, signant des pétitions en faveur du peuple palestinien, recevant chez lui, aux derniers jours d’une vie combattante, une délégation de l’Organisation des Jeunes d’Al-Massar…

Son ultime grand combat politique a été la participation début avril à la célébration du 40e anniversaire de la «Journée de la Terre», ayant été toujours engagé corps et âme dans le soutien à la cause palestinienne.
Evidemment, Sid’Ahmed ne pouvait pas rester indifférent à tous les événements concernant la Tunisie de près ou de loin, mais il m’est pratiquement impossible de rendre compte de toutes les émotions qu’ils ont suscitées chez ce patriote intransigeant et défenseur crédible des causes justes.

De toute évidence, ce qui l’a le plus ébranlé ce sont les attentats qui ont secoué le pays et qui sont perpétrés, selon Sid’Ahmed, par des «fous manipulés pour tuer et mourir».

«Il y a fort à parier que leurs gourous et/ou commanditaires étaient aussi manipulés que leurs élèves!!», dira-t-il le 29 juin 2015, soit trois jours après l’attentat terroriste dans la station balnéaire de Port El-Kantaoui près de Sousse (39 morts et 39 blessés), perpétré par Seifeddine Rezgui et revendiqué par l’État islamique (Daêch).

La page de ce visionnaire comporte de nombreuses réflexions sur les groupes salafistes takfiristes et leurs «modi operandi» ainsi que des idées pour les combattre, dont «une idée qui me trotte dans la tête (…) et que je soumets ici à la réflexion: envisager la mise sur pied d’un corps de volontaires pour la résistance populaire contre le terrorisme (…) sous la supervision de l’armée nationale et de préférence loin des médias».

«Je n’arrive pratiquement plus à dormir depuis vendredi. Je suis profondément choqué: impréparation, incohérences; remake des mêmes erreurs depuis 2011 en plus inquiétant: gesticulation, signe d’impuissance et d’irresponsabilité. Arrêtez de courir dans tous les sens sous les caméras. Arrêtez cette plateaucratie cacophonique. Tous à côté de la plaque. Gouvernement, parlement, partis, syndicats, associations !!», postera-t-il avec ce «point d’interrogation» : «Imprévisible, le massacre de Kantaoui ?».

«Mes chers compatriotes, gardons le sourire!»

Je laisse à celles/ceux qui aiment Sid’Ahmed le soin de trouver du réconfort en consultant son profil pour se souvenir et célébrer sa vie et surtout de l’immortaliser et de d’en inspirer. Immanquablement, elles/ils y trouveront, intellectuellement, leur compte.

«Mes chers compatriotes, gardons le sourire!», concluait le 27 août 2015 dans un post désopilant: «Une formule de jouvence: A*= BCE-X», l’homme au «sourire large, chargé de bonté, de tolérance et d’un sens profond de conciliation (…) un sourire dont lui seul détenait le secret», selon l’ex-ministre de la Culture Latifa Lakhdar – à qui, ainsi qu’à Samira Méraï, l’actuelle ministre de la Santé : deux femmes de Zarzis, comme lui – Sid’Ahmed dédie… deux «Intermèdes DÉTENTE» nostalgiques.

Je laisse le soin aux lectrices/lecteurs de re/découvrir Sid’Ahmed, «l’un des rares leaders politiques qui a réussi à garder le respect et l’estime de ses adversaires», selon le journaliste Marouen Achouri.

J’ai eu la chance de croiser Sid’Ahmed à l’université dans les années 70, puis celle de le retrouver à «Itissam Errahil» (sit-in du départ) au Bardo, avec le même sourire chaleureux, irrésistible, inimitable, décontractant et désarmant. J’ai partagé avec lui plusieurs messages et j’ai la malchance de partager avec lui une maladie chronique d’un cœur… comme lui «à gauche».

Sid’Ahmed fait partie de notre Mémoire nationale… qui ne sera jamais confisquée…

Quel meilleur usage peut-on faire des réseaux sociaux (dont Facebook, hélas, de plus en plus peuplé de nos morts illustres), autre que celui d’honorer et d’immortaliser notre Mémoire nationale ?

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