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Le scrutin turc servira-t-il de leçon aux Tunisiens ?

Erdogan compare la démocratie à un train : une fois arrivé au terminus, tout le monde descend. C’est ce scénario que Ghannouchi et Ennahdha préparent pour les Tunisiens.

Par Rachid Barnat

Les Tunisiens comprendront-ils la leçon du scrutin qui vient de se dérouler en Turquie? Il y a, en effet, beaucoup à apprendre de ce vote. Les similitudes entre la Turquie et la Tunisie sont nombreuses et éclairantes.

Voilà deux pays dans lesquels des hommes d’Etat de grande envergure, farouchement patriotiques, nationalistes convaincus, Atatürk et Bourguiba, ont fait évoluer leur peuple dans un Etat moderne et laïc et les ont conduits vers le progrès, grâce à l’éducation.

Mais voilà aussi deux pays qui sont la proie d’hommes politiques complexés de l’Histoire sinon de la vie; et qui n’ont d’autre ambition que le pouvoir pour prendre leur revanche sur l’Histoire sinon sur la vie. Ils instrumentalisent l’islam pour anéantir tout ce que ces grands hommes avaient créé, pour assujettir leurs peuples et les entraîner vers la régression intellectuelle, économique et sociale; au nom d’une idéologie passéiste, le panislamisme !

Erdogan et Ghannouchi contre les acquis de la république

Dans les deux cas, ce sont des Frères musulmans qui veulent revenir sur les acquis, avec la duplicité et l’hypocrisie qui les caractérisent.

Si au début les dirigeants islamiste turc Recep Tayip Erdogan et tunisien Rached Ghannouchi se sont attaqués ouvertement aux pères fondateurs de ces deux Etats modernes, pour les gommer de la mémoire collective de leur peuple; très vite devant l’échec de la stratégie de dénigrement, ils ont fait machine arrière. S’ils s’inclinent et font mine de célébrer, l’un Atatürk, l’autre Bourguiba; en douce, ils défont petit-à-petit leurs réalisations.

Ils vont jusqu’à les instrumentaliser, tout en s’attaquant méthodiquement à leur œuvre, sapant les fondements de ces républiques !

Que nous dit le scrutin référendaire turc? Qu’est-ce qui est comparable à la Tunisie et donc lourd de menaces pour les Tunisiens?

Il nous dit d’abord que ceux qui se présentent au début comme des modérés, qui parlent de démocratie, de liberté, n’ont de cesse d’obtenir les pleins pouvoirs, de brimer les libertés et d’instaurer une dictature.

C’est très clair dans le cas d’Erdogan. Après avoir jeté en prison plus de 150 journalistes, limogé 4.500 fonctionnaires, réprimé sans limite les oppositions, purgé l’armée, il a demandé par référendum au peuple de lui accorder les pleins pouvoirs pour régner seul.

Après avoir muselé la presse libre, il veut mettre les juges au pas.

Le wahhabisme que la confrérie des Frères musulmans a répandu dans le pays pour supplanter le soufisme ancestral des Turcs, a permis à Erdogan d’amener une partie du peuple à le soutenir sans réserve.

Ce que Ghannouchi a fait quand la troïka, la coalition gouvernementale qu’il dominait, était au pouvoir, en harcelant les journalistes et en recrutant massivement de nouveaux «fonctionnaires», infiltrant ainsi les rouages de l’Etat, pour les minier de l’intérieur.

L’analyse du vote est très éclairante. Erdogan est soutenu aujourd’hui par la partie du peuple turc la moins instruite, celle des campagnes dans la Turquie profonde, qui se plie devant ce qu’on lui présente comme la volonté d’Allah. Alors que dans les villes importantes et sur les côtes, une population plus ouverte, plus instruite, moins bigote, a voté en majorité contre lui, consciente du totalitarisme auquel il aspire.

La situation est la même en Tunisie. Ghannouchi tout comme Erdogan, appartiennent à l’organisation internationale des Frères musulmans. Il admire Erdogan et le prend pour modèle. Il vient de le féliciter même si le «oui» l’a emporté de justesse, score obtenu grâce à une opposition muselée qui dénonce la fraude ! Tout comme lui, il ne cesse de s’en prendre aux journalistes et aux intellectuels.

L’islam politique en mode rampant

Si Erdogan a profité du coup d’Etat raté pour purger l’armée et placer ses hommes, Ghannouchi n’aura de cesse de s’«assurer» l’armée, les forces de l’ordre et l’UGTT, ces remparts de la République !

Ce qu’a fait Erdogan en Turquie pour arriver au pouvoir et le conserver, Ghannouchi est en train de le réaliser en Tunisie ! Dans un premier temps les Frères musulmans répandent le wahhabisme, préalable indispensable pour toute manipulation et domination des masses populaires. Ce que les Nahdhaouis assurent si bien depuis le 14 janvier 2011, quand ils se sont emparés de la «révolution» et ont détourné ses slogans «Liberté, Egalité, Travail» pour un débat identitaire sous prétexte de faire recouvrer aux Tunisiens l’identité «arabo-musulmane» qu’ils auraient perdue.

Surfant sur leur manque de culture et leur ignorance, ils leur «vendent» le wahhabisme pour supplanter leur malékisme ancestral, ainsi que le modèle sociétal des pétromonarchies qui va avec, en guise d’identité «arabo-musulmane» !

Ainsi ont-ils distillé l’islamisme dans la société tunisienne qu’ils ont livrée aux prédicateurs envoyés par les pétromonarques, pour diffuser le wahhabisme.

Et depuis, la bigoterie augmente de jour en jour de manière exponentielle dans une population inculte et pauvre grâce, entre autres, aux «œuvres caritatives»; ces officines d’endoctrinement, sinon d’embrigadement, des Frères musulmans nahdhaouis, pour faire leur beurre; comme l’avait fait avant eux Erdogan dans la Turquie profonde.

Comme en Turquie, il faut aussi souligner qu’au début, ainsi que le rappelait le grand écrivain turc ils Nedim Gürsel, des intellectuels et des citoyens instruits ont cru au projet d’Erdogan, jusqu’au jour où ils se sont rendus compte vers quelles dérives autoritaires cela conduisait.

De même en Tunisie, on constate qu’une partie de ceux qui se prétendent progressistes, n’hésitent pas à s’allier à Ghannouchi au prétexte qu’il serait modéré !

Comme beaucoup de Turcs, ils se trompent et se rendront compte, trop tard, que la modération de Ghannouchi et de son parti n’est qu’un leurre destiné à accaparer le pouvoir.

Le parti d’Erdogan était comparé, au début, à la démocratie chrétienne par certains responsables politiques européens désireux d’intégrer la Turquie à l’Union européenne (UE), en jugeant son islamisme «modéré» !

Argument que reprendront les Frères musulmans d’Ennahdha pour amadouer les Tunisiens, qui découvrent à leurs dépens, la réalité de ce parti.

Si au début Erdogan a pu rassurer les Turcs, c’est parcequ’il a su cacher son jeu en usant de la «taqiya» (l’art de la duperie) pour ne pas les heurter et que l’économie fonctionnait bien. Malheureusement, sa politique a conduit à une récession sur tous les plans, et notamment dans le secteur du tourisme.

Comme en Tunisie, les islamistes au pouvoir ont entraîné une baisse importante de l’économie et détruit l’industrie touristique, pourtant vitale pour les tunisiens.

Autre similitude frappante. Erdogan comme Ghannouchi, tout religieux qu’ils se prétendent être, sont des corrompus qui utilisent le pouvoir pour s’enrichir. La corruption d’Erdogan et de sa famille, a atteint des sommets. De même en Tunisie les enrichissements soudains et importants des islamistes, choquent encore les Tunisiens qui ont pourtant dégagé Ben Ali, croyant en avoir fini avec le népotisme, la corruption et les enrichissements frauduleux !

Faut-il rappeler que ces ceux-là travaillent main dans la main dans le «jihadisme» international et exploitent la misère des peuples en recrutant les futurs jihadistes tunisiens pour servir de chair à canon en Syrie, Irak, Libye… faisant du terrorisme un commerce lucratif pour leurs familles et leurs Frères musulmans, et transformant la Tunisie en premier pays exportateur de terroristes !

Enfin, une dernière ressemblance frappante. Lors de ce scrutin, les Turcs qui vivent en Europe ont voté massivement pour la réforme d’Erdogan, lui accordant les pleins pouvoirs pour faire disparaître les libertés et la démocratie; tout comme l’ont fait les Tunisiens d’Europe pour soutenir Ghannouchi.

Le plus étonnant est que ces personnes jouissent de la liberté dans les démocraties européennes. Mais comme souvent beaucoup d’entre eux n’ont pas réussi à s’intégrer, ils votent «islamistes», comme pour marquer leur opposition à leur pays d’accueil où ils se sentent rejetés !

En somme, ils pénalisent égoïstement les populations de leur pays d’origine, les privant des libertés qu’ils n’ont pas su saisir dans leurs pays d’accueil, pour s’épanouir !

Que de similitudes !

Il reste aux Tunisiens à prendre conscience de cela et de ne plus tomber dans le piège du «consensus», de la «modération»; et de constater que les partis islamistes, tous sans exception, ont une trajectoire totalitaire. Ils font mine de respecter la démocratie tant qu’ils ne sont pas au pouvoir mais s’assoient dessus lorsqu’ils ont pris le pouvoir.

C’est ce qu’a fait Mohamed Morsi en Egypte une fois parvenu au pouvoir, démocratiquement !

Quand à Erdogan, il compare la démocratie à un tramway : une fois arrivé au terminus, tout le monde descend, disait-il dans un de ses discours dénigrant la démocratie, ce concept occidental dont il n’y a pas trace dans le Coran, disent les Frères musulmans !

Le référendum d’après, que demandera Erdogan aux Turcs, sera pour le rétablissement de la peine de mort. Ce qui lui permettra de se débarrasser physiquement de ses opposants, comme au temps du califat qu’il souhaite rétablir !

Pratique courante chez les Frères musulmans que découvrent les Tunisiens avec l’assassinat de Chokri Belaid, depuis que Ghannouchi et ses «Frères» sont rentrés de leur exil.

Par conséquent, la seule solution reste la lutte permanente et déterminée contre la religion en politique; et plus particulièrement la résistance à la wahhabisation qui prélude à la soumission aux autoproclamés avocats d’Allah et de son prophète !

C’est donc à une œuvre pédagogique permanente que doivent se livrer tous ceux qui sont conscients du danger de l’islamisme politique qui n’a jamais rien apporté au pays qu’il a dirigé, sinon l’obscurantisme.

Et comme les politiques ont trahi et qu’ils sont au-dessous de leur mission historique, il faut que la société civile se lève et résiste. C’est d’elle, et elle seule, que peut venir le sursaut nécessaire.

 

Blog de l’auteur.

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