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Les non-dits à l’origine de l’arrestation de Samia Saâdi

A propos de Samia Saâdi, l’enseignante universitaire qui a eu un accrochage avec des policiers et qui a été condamnée, lundi 15 mai 2017, à une amende de 200 dinars, pour conduite en état d’ivresse.

Par Mohamed Sadok Lejri *

La quasi-totalité des Tunisiens vous diront que la femme en question s’est montrée vulgaire et agressive. Soit. Personnellement, j’aime bien les femmes qui adoptent cette liberté de ton dans une société aussi constipée que la nôtre; une liberté qui gêne les coincés, les étriqués de l’esprit et tous ceux qui auraient bien aimé se ruer sur une femme pareille pour l’agresser et la traiter de «prostituée» et de «mouch moutrobia» (manque d’éducation). Tout ce beau monde se serait probablement montré plus indulgent envers un homme qui aurait tenu un langage aussi vert et plantureux.

Pour le commun des Tunisiens, le comportement d’une femme doit toujours être conforme à cette figure maternelle ô combien sacralisée sous nos cieux. Lorsqu’on s’adresse à des représentants de l’Etat, on doit, bien entendu, faire preuve d’un peu plus de respect à l’égard de ce qu’ils représentent, même s’il s’agit de types frustrés et misogynes empêtrés dans un uniforme qui ne leur sied nullement.

Qu’est-ce qu’une femme respectable ?

Allez savoir aussi ce qui s’est passé avant que des agents de police ne se mettent à filmer la scène en catimini. Nos policiers se transforment volontiers en des Torquemadas quand ils tombent sur une femme au volant légèrement vêtue et en état d’ébriété.

Ce que l’on feint d’ignorer, ou ce que l’on refuse d’avouer, c’est que dans de pareils moments, les agents de police ne sont plus mus par le désir d’appliquer la loi, mais se mettent à vouloir transformer la bourgeoise qui n’a pas froid aux yeux, et qui est trop émancipée à leur goût de péquenauds mal dégrossis, en un déversoir pour leurs divers types de frustration. Pour eux, les femmes qui portent des mini-jupes et qui rentrent chez elles en état d’ébriété constituent un danger pour la société et les valeurs auxquelles ils adhèrent car elles sont aux antipodes du prototype de la «femme vertueuse». Pour eux, la «femme respectable» est celle qui baisse les yeux dans la rue et prône la chasteté, c’est celle qui vénère son mari et qui se contente d’endosser le rôle de la mère affectueuse et pondeuse, c’est celle qui arrive vierge le jour du mariage et qui s’abstient de dire des grossièretés en public parce qu’elle a été bien éduquée par sa famille.

Sale temps pour les insoumises

Ce qui est scandalisant dans cette affaire, c’est que cette scène a été filmée par les agents de police eux-mêmes et circule depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux. En publiant cette vidéo, ces flics se vengent des femmes libérées, des femmes insolentes et insoumises, et assouvissent leur soif de voyeurisme tout en se faisant passer pour des victimes. L’objectif de cette vidéo était de livrer cette jeune femme en pâture au conservatisme de la société.

Les plus «progressistes» lui ont reproché son langage vert. Je m’inscris en faux contre ce discours. L’irrévérence de la conductrice met du baume au cœur, surtout lorsque vous vivez dans une société rongée par le conservatisme et le conformisme intellectuel le plus étroit. Le fait d’utiliser un langage de charretier ne rend pas forcément une femme libre, bien entendu, néanmoins, personnellement, j’ai toujours associé ces femmes arabes qui font fi des règles de la bienséance à la liberté. En effet, il faut avoir une bonne dose de courage pour braver les convenances et le conservatisme des sociétés dites arabo-musulmanes.

En outre, d’aucuns vous diront qu’en agissant de la sorte, Samia Saâdi voulait «faire le buzz» pour se faire connaître, elle voulait que les médias parlent d’elle, même en des termes peu flatteurs; l’essentiel est d’avoir son quart d’heure de gloire. Comment diable voulait-elle créer le buzz alors qu’elle a été filmée à son insu? Sans parler de l’état d’ébriété dans lequel elle se trouvait et qui est susceptible de lui créer des problèmes avec sa famille et dans la vie de tous les jours. En réalité, les conservateurs veulent à tout prix humilier ce genre de femmes parce que l’éducation traditionnelle qu’ils ont reçue les pousse à les dénigrer en adoptant un discours accusateur et en recourant aux arguments fallacieux. Les Tunisiens doivent impérativement se débarrasser de cette optique moralisatrice pour que leurs arguments épousent leur temps et deviennent un peu plus solides.

* Universitaire chercheur.

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