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Discours politique, information et désinformation

Le discours politique occulte plus qu’il ne révèle. Il s’adresse à l’affect de l’interlocuteur, afin de neutraliser son intellect et l’empêcher de penser par lui-même.

Par Abdallah Jamoussi *

La guerre contre la corruption a pris de court le peuple tunisien connu pour être pacifique et prendre ce qu’il entend pour de l’argent comptant. Mais comme la guerre a ses implications, on ne doit pas écarter les risques auxquels on s’expose si jamais on ne dote pas le public – au moins, d’une ébauche à la lecture de l’information.

De fait et de force, on est à la croisée de plusieurs chemins, ce qui incite, au moins, à remettre en question nos évidences d’autrefois et à revoir au microscope et aux jumelles certains emplois linguistiques dont certains signifiants caduques ne correspondent plus aux signifiés du genre «la Tunisie profonde», connotation, ayant longtemps désigné des régions enclavées et en manque d’équipements, d’autant qu’il s’est avéré qu’à certains endroits, les grandes villes n’en souffrent pas moins.

Un chemin plein d’embûches

Il en va de même de cette guerre qu’on mène pour récupérer des fortunes usurpées au peuple, sans que nous sachions si cet argent n’allait pas engendrer des déficits budgétaires, à l’instar du fabuleux trésor de l’ex-président Ben Ali.

Bien d’autres points seront élucidés et, au pire des cas, débattus. Ce sera, ma foi, un pas effectué sur un chemin scabreux et plein d’embûches et au bout duquel la désinformation devient ludique et se passe des mots pour se manifester sous formes de soutiens empathiques ou de quelques manières d’aides, au détriment de l’honneur de travailler l’unique voie d’obtenir un salaire mérité. La dignité? La voici !

De prime à bord, devrions-nous consentir que notre pays n’a pas cessé de subir, et depuis longtemps, des flux de tiraillements dans divers sens opposés. Les charges auxquelles on nous avait soumis eurent été si importantes qu’elles engendrèrent une apathie quasi-générale.

D’ailleurs, cela fait plus de six ans que l’on domine l’opinion par une sorte de suggestion qui consiste à user d’un jargon qui semble si évident et si familier qu’on omet d’analyser sa réelle portée.

Des fois des mots courants sont utilisés pour agir sur l’affect et provoquer des impressions au lieu de véhiculer des contenus consistants. Dans de tels cas, s’agirait-il de s’adresser à l’affect de l’interlocuteur, afin de neutraliser son intellect et l’empêcher de penser?

Possible ! Ce dont nous sommes sûrs c’est que ces pratiques nous renvoient à des techniques de communication utilisées pour diffuser des messages stéréotypés ou ésotériques, dans l’intention de produire, à tort ou à raison, une quelconque opinion publique, sans être obligés de fournir des preuves ou de présenter des justifications bien fondées. Cas de forces majeures, nous rétorque-t-on, on use de tout moyen, sauf que l’intention est bonne.

Rien ne prouve non plus, que l’on ne cherche pas à occulter quelque chose qui recèle un intérêt pour tous.

Néanmoins, il serait prudent de tenir compte des effets indésirables que peuvent produire ces techniques devenues basiques et à la portée de politiciens malveillants, qui les utilisent souvent à mauvais escient.

Les politiques et l’art de découper la vérité en deux

Le cas échéant, il appartient au public de s’en prémunir, c’est-à-dire prendre une distance critique vis-à-vis du discours politique, d’où qu’il vienne, et de préférence le soumettre à une lecture conjoncturelle sous plus d’un angle, à chaque fois qu’il s’agit de confusion.

D’autre part, lorsque nos politiciens nous rebattent les oreilles avec un vocabulaire bien soutenu sur leurs réalisations politiques, des fois inexistantes.

On voudrait tant croire leur énoncé, s’il ne s’agissait pas d’indices qui ne corroboraient pas les données sur le terrain? Quoi de plus éloquent que la courbe ascendante des dettes extérieures en amoncellement de crédits délibérés n’engageant aucune réforme de nature à combattre la disparité et le paupérisme, sources de tout conflit social?

Pour ne pas avouer leur échec, les politiciens ont tendance aussi à découper la vérité en deux pour admettre, tout simplement, leur échec au niveau d’un unique volet, ce qui écarte la thèse d’un échec complet, quoiqu’une demi-vérité ne vaudra jamais la Vérité. Une issue, leur permettant d’insinuer que tout va bien, même si du côté économique, il faut avouer que ça clopine. Du n’importe quoi ! Eh bien sûr qu’une telle déclaration nous paraîtrait invraisemblable, car l’économie est conjointement liée à la politique au même titre que les finances. La politique, c’est tous les volets confondus, de telle façon qu’une seule faille dans le système pourrait causer sa ruine.

Il y a donc lieu de s’inquiéter, lorsque les détenteurs du pouvoir n’entendent pas remettre en question leur façon de composer avec cet imbroglio par le biais duquel, ils découpent l’échec politique en rondelles de saucissons auxquelles on donne des variétés de noms : économique, culturel, social, structurel, constitutionnel…

Ce genre de traitement de l’information n’arrange pas la réalité factuelle, observable, quantifiable, pratique, seul juge de l’adéquation des termes théoriques avec les résultats sur le terrain.

Chômage et masses oisives dans les villes

Le cas de figure de ce qui se passe, chez-nous où le faible rendement des vaches maigres contredit les estimations et la médiation rose des temps moroses. C’est facile de dire qu’on est à pied d’œuvre, et même qu’on est pressé de relancer l’emploi et de booster l’économie, mais selon quelle logique parvient-on à justifier l’existence de masses oisives dans les grandes villes; s’agissant de chômeurs, de pigistes, de trafiquants, de courtiers, d’affairistes ex-nihilo et même d’ouvriers s’exerçant à la tâche et refusant d’être rémunérés selon le tarif de l’heure, d’autres activités liées au trafic ne sont pas à citer.

En milieu de journée, lambda bonde, déjà, les cafés populaires, à tel point que les chaises débordent les trottoirs. Il y a de quoi devenir sceptique, lorsque toute une génération lassée de vivre sans certitude en un lendemain meilleur perd la main et se perd dans les méandres d’une politique, qui au lieu de motiver au travail, récompense aux dépens des contribuables ce genre de comportement pitoyable. Ne sommes-nous pas face à un réel danger ?

Imaginez que nous importons actuellement de la main d’œuvre de la Côte d’Ivoire, alors que nos jeunes s’usent. Se trouvant à la marge d’une société de consommation, on leur avait demandé de patienter, en attendant, quoi? Quoi d’autre que ce que nous voyons? Le favoritisme, la corruption sont devenus la clé de l’intégration.

Conséquences de la rupture avec l’action transformatrice, autrement dit, les jeunes ont été contraints d’aller à la dérive sous l’effet de pulsions destructrices induisant un désir suicidaire. Puisse-t-il y avoir d’actes aussi désespérés?

Voici, donc où l’on est en pratique, non seulement dans la mêlée des grands centres urbains constitués en majeure partie de transhumants issus de milieux ruraux, mais aussi dans les enclaves à la lisière du désert, où le temps s’écoule à un rythme moins frénétique et où le train de vie est, relativement, plus modéré; sauf que cette aubaine n’a pas pu changer la situation sociale au beau fixe.

Echec culturel et crise politique

On perçoit, chez les jeunes des zones rurales un malaise du type qui sévit dans les villes, surtout vis-à-vis d’un mode de consommation ayant ravagé sur son passage plusieurs styles de vie et de production. Il fallait s’attendre à des réactions similaires, partout où la politique du développement durable échoue, surtout en matière d’éducation, laquelle n’a pas réussi à rétablir les passerelles entre les écoliers et leurs milieux respectifs et surtout à cultiver le savoir être – de surcroît de s’adapter.

L’effet de la mondialisation, j’en conviens! Je dirais aussi que la standardisation a englouti les traditions et les coutumes qui prédominaient par le passé, dans les milieux ruraux et pastoraux, en imposant, dans toutes les azimutes, des modes de vie et des goûts inopportuns. Mais, a-t-on tenu compte, au préalable, de l’impact d’un tel climat inapproprié? Et qu’a-t-on fait pour le résorber? Je ne pense pas qu’on ait réussi – au moins – à établir le lien entre notre échec culturel et notre crise sociétale, une crise foncièrement politique. Il ne s’agit pas d’être érudit pour diagnostiquer des failles dans le système censé produire les concepts permettant de réussir ladite transition.

* Universitaire.

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