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‘‘A mon âge je me cache…’’ : L’insoutenable légèreté d’être d’une femme

Le premier film de l’Algérienne Rayhana donne la parole à des femmes sous l’emprise du patriarcat, qui a fait d’elles d’éternelles mineures.

Par Fawz Ben Ali

Le film algérien ‘‘A mon âge je me cache encore pour fumer’’, premier long-métrage de Rayhana, projeté en ce moment dans les salles de Tunis, avait déjà été projeté lors des Journées cinématographiques de Carthage (JCC 2016) où il faisait partie de la sélection officielle de «La 1ère œuvre Tahar Cheriaa». Parti bredouille côté prix, le film a néanmoins fait sensation auprès du public avec son image épurée et ses dialogues pleins de verve.

Contre l’épidémie islamiste

‘‘A mon âge je me cache encore pour fumer’’ est à l’origine une pièce de théâtre que Rayhana avait écrite en 2009. Suite à sa première représentation à Paris, où elle est exilée depuis l’année 2000, l’artiste a failli se faire brûler vive par un groupe d’islamistes qui voyaient en la pièce «une atteinte au sacré». Un incident qui n’a fait que renforcer la détermination de l’artiste contre l’épidémie islamiste.

Connue surtout en tant que comédienne et dramaturge, Rayhana décide en 2015 de débarquer sur la planète du 7e art et d’adapter son œuvre théâtrale sur le grand écran en vue de toucher un plus large public.

Le film nous replonge au cœur de la décennie noire des années 90 en Algérie, cette guerre civile entre le gouvernement algérien et le Groupe islamique armé (GIA), ayant coûté la vie à plus de 60.000 personnes.
Le sujet a évidemment fait l’objet de nombreux films, mais Rayhana, fervente défenseuse des droits des femmes, l’aborde sous un nouvel angle, celui du regard féminin sur ces années de plomb.

Si le film n’a pas eu de prix aux JCC 2016, c’est probablement parce qu’il était tombé dans la même sélection avec, d’un côté, son compatriote ‘‘Maintenant ils peuvent venir’’ de Salem Brahimi (Tanit d’argent de la 1ère œuvre) évoquant également la même période de l’histoire de l’Algérie, et d’un autre côté, un autre huis-clos 100% féminin, le film palestinien ‘‘3000 nuits’’ de Maï Masri (Tanit de bronze).

Manifeste féministe et hymne à la vie

Réunissant quelques unes des plus grandes actrices algériennes et arabes comme Hiam Abbas, Biyouna, Nadia Kaci… ainsi que de nouvelles figures du cinéma, l’intrigue du film part d’une idée assez simple, celle de suivre le quotidien de Fatima (jouée par Hiam Abbas), qui accueille chaque jour une dizaine de femmes dans le hammam qu’elle gère.

Le film qui a pour particularité l’unité de lieu qu’est le hammam et l’unité de temps qu’est cette journée particulière où Fatima prend le risque de cacher une jeune célibataire enceinte fuyant son frère islamiste, s’avère un manifeste féministe et un hymne à la vie.

Alors que dehors, la guerre civile fait des ravages et les islamistes sèment la frayeur dans tout le pays, des femmes de générations et de milieux sociaux différents se réunissent le temps d’un après-midi dans ce fameux hammam qui devient leur seul refuge. Elles s’y rendent pour se détendre, partager leurs joies et leurs peines et se purifier aussi bien le corps que l’esprit.

En effet, la cinéaste manie intelligemment dans ce huis-clos le paradoxe entre l’espace fermé qui devient l’unique possibilité de liberté et l’extérieur qui représente toutes les formes d’oppression.

Avec un thème toujours d’actualité dans le monde arabe, Rayhana étoffe son sujet de prédilection, à savoir la condition de la femme, de la charge sociopolitique de l’époque, tout en nous rappelant que, plus de 20 ans après, la femme se place toujours comme la première cible des islamistes, et que l’hypocrisie, la régression des mentalités et le conservatisme ne font que gagner du terrain, encore aujourd’hui.

Dans les yeux des femmes

Contrairement à la pièce de théâtre jouée en langue française, le film, lui, repose sur des dialogues entièrement en dialecte algérien pour un rendu plus crédible et authentique.

D’ailleurs, comme l’intrigue est assez simple, c’est le texte qui constitue toute la force du film, nous offrant des répliques d’un naturel et d’un humour inouïs. Que ce soit dans l’image ou dans la parole, la censure n’a pas lieu d’être avec Rayhana, qui a pris le soin de s’entourer d’une équipe 100% féminine devant et derrière la caméra afin de préserver au mieux l’esprit et l’ambiance du hammam.

Pour son premier film, la cinéaste choisit de donner la parole à des femmes sous l’emprise du patriarcat, qui a fait d’elles d’éternelles mineures, une absurdité que reflète d’ailleurs si bien le titre. Loin du regard accusateur des hommes, nos héroïnes se livrent dans toute leur légèreté et complexité.

Entre larmes, cris, rires, confidences ou règlement de comptes, chacune d’elles s’ouvre et se dévoile au fur et à mesure que la caméra l’approche, pour parler de sa sexualité, de ses désirs, mais aussi pour questionner le monde et la religion.

Sans tomber dans la caricature ni dans la confrontation classique, Rayhana élabore l’une des plus belles scènes du film dans un clash emblématique entre une salafiste et une communiste pour nous rappeler que la femme peut souvent être sa propre ennemie et qu’elle est la proie facile des idéologies les plus diverses qui ne voient en elle qu’un instrument parmi d’autres dans leur quête du pouvoir.

Malgré les divergences, toutes les femmes se rejoignent dans un élan de solidarité pour aider la jeune fille à mettre au monde son enfant, accentuant davantage le paradoxe entre la vie qui se renouvelle dans ce havre de paix et la mort qui continue de rôder autour.

A leur âge, ces femmes se cachent encore pour fumer, pour danser, pour rire, pour dévoiler leurs cheveux … Mais elles continuent surtout de vivre et de rire des absurdités qu’on leur fait subir au nom d’une idéologie qui sème la mort.

‘‘A mon âge je me cache encore pour fumer’’ est actuellement dans les salles : Le Rio (centre-ville de Tunis), Amilcar (El-Manar) et Mad’art (Carthage).

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