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Sidi Bouzid : Les feux de la discorde

L’agent Majdi Hajlaoui est entre la vie et la mort.

Le drame des policiers brûlés dans leur véhicule pose plusieurs questions sur la gestion sécuritaire des heurts entre des groupes de la population.

Par Dr Mounir Hanablia *

Des policiers ont été brûlés, hier, vendredi 23 juin 2017, à Bir Lahfey (Sidi Bouzid) par des jets de cocktails Molotov alors qu’ils intervenaient pour séparer deux groupes de jeunes qui en étaient venus aux mains. L’un de ces policiers souffre de brûlures du 2e et 3e degrés sur près de 70% de sa surface corporelle, et se trouve entre la vie et la mort.

Les circonstances exactes des faits n’étant pas connus, il faudra se contenter de ce que l’on en sait pour essayer d’en déterminer les responsabilités.

Guerres de quartiers, dites-vous ?

Le premier fait est un affrontement entre deux bandes de jeunes, dont on ne connaît pas les raisons. Gangs criminels ? A priori peu probable: les policiers n’auraient pas tenté de les séparer et seraient d’emblée intervenus avec d’autres arguments. Bataille pour le contrôle (économique) d’un territoire? C’est la raison invoquée par les médias : une dispute à propos d’une place au marché de Bir Lahfey, qui a dégénéré en bagarre et abouti à la mort d’un homme.

Comme souvent, il s’agit de véritables guerres de quartiers dont les motivations d’ordre économique finissent par acquérir un caractère ethnique ou tribal. Dans ce cas, les quartiers deviennent de véritables ghettos homogènes où la partie adverse ne peut circuler qu’à ses risques et périls. C’est ce qui s’était passé en Irlande du Nord dans les années 70 dans des villes comme Derry ou Belfast, et en Cisjordanie, dans les affrontements entre les colons des implantations juives et les habitants arabes.

A Metlaoui, en 2011, il y avait eu des affrontements importants de type tribal lorsque la Compagnie de phosphate de Gafsa (CPG) avait ouvert un concours de recrutement, mais pour différentes raisons, dont certaines politiques, les forces de l’ordre s’étaient alors contentées de boucler les abords de la ville, et d’attendre que les choses se tassent. Cela avait pris trois jours et ce sont les notabilités locales qui avaient réussi à circonscrire la crise en collaborant avec les associations et les syndicats.

Il est donc permis de penser que des circonstances comparables, dans deux villes géographiquement voisines, aient abouti aux mêmes effets : des affrontements violents entre des groupes opposés. Mais si à Metlaoui, les causes étaient connues au moment des faits, à Sidi Bouzid, elles restent encore vagues, ce qui voudrait dire soit que les autorités les eussent ignorées, et n’eussent réalisé la gravité de la situation qu’avec le début des violences, soit qu’elles ne veuillent pas en parler, pour des raisons évidemment politiques. La première hypothèse supposerait une carence du renseignement, que la lutte menée avec succès contre les cellules terroristes, régulièrement démantelées, ne permet certainement pas de retenir.

Qui a allumé les feux ?

Et si c’était un affrontement planifié ?

Dans le pire des cas les autorités renseignées auraient néanmoins sous-estimé le danger, soit du fait de la pérennisation d’une situation anormale quelconque – avantage indu, monopole contesté – face auquel le manque de durable de la partie lésée eut laissé supposer qu’il fût sinon accepté, du moins entériné, soit parce que une situation fortuite (conflit d’honneur, conflit sportif, politique, beuverie), habituellement sans conséquence, avait dégénéré du fait d’un concours imprévisible de circonstances.

Cette dernière hypothèse apparaît toutefois très discutable, l’apparition de cocktails Molotov laissant supposer plutôt un affrontement planifié, préparé, et nullement une explosion spontanée de colère. Ceux qui les ont lancés défendaient un sanctuaire et voulaient en interdire l’accès aux forces de l’ordre et à leurs adversaires.

A Sidi Bouzid, le conflit couvait certainement depuis longtemps, et cela ne pouvait donc être ignoré de la part des autorités; auraient-elles donc sous-estimé la gravité de la situation? Il est permis de supposer que les autorités régionales dans tous les gouvernorats soient tétanisées par la possibilité réelle que l’exemple – mauvais – d’El Kamour, à Tataouine, puisse désormais faire tâche d’huile, et se propager chez elles. Et qu’elles aient donc toujours quelque appréhension à alerter les autorités centrales quant à la gravité réelle des faits, autant pour ne pas sembler jeter de l’huile sur le feu, en étant exagérément alarmistes, que pour ne pas être accusées d’inefficacité et de négligence.

Afin de discerner la vérité, il faudrait donc déterminer pourquoi et contre qui les syndicats des policiers ont-ils protesté, après les graves brûlures dont ont été victimes leurs collègues.

La colère des policiers est-elle justifiée ?

Habituellement les forces de l’ordre sont soumises à un risque normal dans leur exercice professionnel, au cours duquel elles peuvent subir de graves dommages physiques. Ce risque, elles le connaissent, elles l’assument, et elles essaient de le minimiser à l’extrême grâce au matériel et aux techniques d’intervention adaptées. Si donc le syndicat professionnel a protesté, c’est d’abord parce qu’il s’est estimé redevable d’un acte de solidarité de la part de la société civile toujours très critique vis-à-vis de la police, et qui s’est abstenue de le manifester même dans une situation aussi dramatique. C’est aussi très certainement parce qu’il aurait jugé qu’au cours de son intervention, il n’aurait pas bénéficié de la protection matérielle nécessaire.

Or la réalité de la situation est que dans un contexte d’état d’urgence, et connaissant les risques d’être exposés à des jets d’objets dangereux pour leur sécurité, les forces de l’ordre eussent dû se parer, pour intervenir à Sidi Bouzid, de moyens beaucoup plus énergiques, que ceux utilisés pour le faire.

D’où la question évidemment incontournable : furent-ils correctement informés des risques auxquels leur intervention les exposait, et disposaient-ils des moyens nécessaires pour y faire face? Evidemment la dernière constatation est d’évidence, la meilleure oeuvre de pacification sociale demeurera toujours le développement économique.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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