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Détroit de Tiran : Un pont trop loin?

Cartes israélienne et arabe du détroit de Tiran. 

La cession par l’Egypte des deux îlots, Tiran et Sanafir, à l’Arabie Saoudite, est dans l’intérêt stratégique… d’Israël.

Par Dr Mounir Hanablia *

La nouvelle est étonnante : l’Egypte a cédé les deux îlots, Tiran et Sanafir, situés à l’entrée du golfe d’Aqaba, à l’Arabie saoudite.

Ces deux îlots possèdent une position stratégique puisqu’ils commandent l’accès par mer vers Aqaba, le seul port jordanien, et à Eilat, le seul port israélien en direction de la mer Rouge, par lequel transite tout son commerce avec l’Extrême Orient, sans obligation de passer par le canal de Suez.

Le libre passage à travers le détroit de Tiran (13 km de large) a été l’enjeu de deux guerres entre Israël et l’Egypte, l’une en 1956 et l’autre en 1967. Au cours de cette dernière, c’est la fermeture du détroit par l’Egypte qui avait fourni à Israël le fameux «casus belli» politiquement nécessaire à l’ouverture des hostilités. C’est dire combien le contrôle de l’entrée du golfe d’Aqaba confère à la puissance qui en bénéficie un avantage stratégique considérable.

Une décision à grande portée stratégique

La décision prise par le général Abdel Fattah Al-Sissi apparaît donc à tout le moins comme un nouveau désengagement stratégique égyptien d’autant plus étonnant que, depuis 1977, l’Egypte avait accepté la démilitarisation du Sinaï.

Cet accord égypto-saoudien survient dans une conjoncture régionale et internationale assez agitée, quelques semaines après la visite dans la région du président américain Donald Trump, et quelques jours après les mesures décrétées contre le Qatar par certains de ses alliés au Conseil de coopération du Golfe (CCG), le pilier de l’influence américaine dans la région, et le fer de lance de sa politique anti-iranienne en Syrie, au Yémen et au Bahreïn. Et dès le début l’Egypte s’est clairement située dans le camp de l’Arabie saoudite dont la campagne militaire contre le Yémen vise tout aussi bien à éviter que le contrôle du détroit de Bab El Mandeb, qui constitue en réalité l’accès du Canal de Suez et la mer Rouge vers l’océan Indien, ne tombe entre les mains iraniennes, déjà présentes dans le détroit d’Ormuz, à l’entrée du golfe Arabo-Persique.

Al-Sissi reçu à Washington par Trump en avril 2017: l’axe anti-Téhéran se met en place.

Cependant, la situation géographique du détroit de Tiran n’a que très peu d’effets sur les conflits en cours dans la péninsule arabique. Mais il y a quelques années, du temps de la présidence de Hosni Moubarak, un accord avait été conclu entre les deux gouvernements, égyptien et saoudien, en vue de la construction d’un pont et d’une chaussée, assurant la liaison entre le port de Charm El-Cheikh dans le Sinaï, et la péninsule saoudienne désertique de Ras Cheikh Hamid sur la voie menant vers la ville de Tabuk à 250 km de là. Mais le président Moubarak avait en 2005 gelé le projet à la suite des objections israéliennes de nature sécuritaire, mais dont les motivations politiques étaient plus qu’évidentes: Israël ne voyait pas d’un bon œil une liaison terrestre entre le Proche-Orient et l’Afrique, le contournant et relativisant donc sa situation stratégique de passerelle, point de passage terrestre obligé, entre les deux continents. Et il a donc utilisé cette carte comme moyen de pression pour obtenir des deux pays des avantages divers : l’Egypte, co-signataire des accords de Camp David avec Israël (et les Etats Unis), s’était engagée à ne jamais y entraver la navigation maritime. En 2013 le président Mohamed Morsi avait entrepris la réactivation du projet. Mais ce n’est que ces jours-ci que le président Sissi a entrepris le premier pas en vue de sa concrétisation, en ratifiant la cession des deux îlots au royaume saoudien, après que l’Etat sioniste eût levé ses réserves initiales.

Un axe anti-iranien au profit d’Israël

Depuis la dernière visite à Riyad de Trump, en effet, le royaume wahhabite, empêtré dans sa guerre au Yémen contre les alliés des Iraniens, dont il ne voit pas le bout du tunnel, politiquement fragilisé par les revers subis par Daech, dont beaucoup lui attribuent le parrainage, et en butte à une opposition interne de plus en plus active, la dynastie wahhabite, donc , en se déchargeant de l’accusation du soutien au terrorisme sur le seul Qatar, a levé toutes ses réserves concernant la normalisation de ses rapports avec l’Etat hébreu, et surtout, n’y pose plus comme condition préalable la solution aux droits nationaux du peuple palestinien.

L’Etat hébreu s’assure ainsi un avantage politique majeur, et il devient de plein droit un membre actif de la coalition sunna contre les chiites. Mais quel sera le bénéfice de l’Egypte grâce à ce projet pharaonique de pont enjambant le détroit de Tiran? Désenclaver le Sinaï, en faire un pôle d’investissement saoudien, et par le biais de la prospérité économique escomptée de la population, couper l’herbe sous le pied des Frères musulmans égyptiens qui sont en train d’y établir un sanctuaire armé à partir duquel ils mènent une véritable guerre d’usure contre le régime du général Al-Sissi.

Pour les Saoudiens, l’avantage est énorme, il s’agira d’une nouvelle voie d’accès terrestre pour les pèlerins, et même, en cas de nécessité, pour les soldats égyptiens si la situation du royaume l’exigeait.

Le roi Salman d’Arabie saoudite et le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi au Caire en avril 2016.

Une nouvelle fois la carte géopolitique est en train de se redessiner dans le monde arabe autour du pétrole saoudien sous un Co Dominium américano israélien fournisseur d’armes et de technologies, où l’Egypte jouerait le rôle de mercenaire, le Qatar et la Turquie celui de concurrents, l’Iran et ses alliés, celui d’ennemis.

Naturellement les grands perdants sont une nouvelle fois les Palestinens dont les droits nationaux font les frais de la realpolitik saoudienne; Gaza est privée d’électricité dans l’indifférence générale, parce que l’Autorité palestinienne, paraît-il, ne veut pas payer la facture.

Concernant l’Etat Islamique (Isis, Daêch), on ignore quel rôle il est appelé à jouer dans les années à venir. La seule certitude, c’est que malheureusement on n’a pas encore fini d’entendre parler de lui.

Quant à Israël, quand deviendra-t-il membre observateur de la Ligue des Etats arabes?

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa. 

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