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Hafedh… ou le «caïd» d’Essebsi

Le président Caïd Essebsi serait bien inspiré de siffler, au lieu et à la place du peuple, son fils Hafedh, en passe de devenir carrément son «caïd» protégé.

Par Abdelkerim Ben Khamsa *

Jeudi 29 juin 2017, 15 h passée, la sentence tombe. Hafedh Caied Essebsi (HCE) appelle à un remaniement ministériel en profondeur. Il jouerait sa dernière carte en tentant, une énième fois, de se créer une place sur l’agora tunisienne et d’assurer une présence de son parti émietté au cœur du débat politique.

Fils de Béji Caïd Essebsi, surnommé «Bajbouj» ou encore «Essebsi», Hafedh était, il y a encore trois ans, complètement inconnu du grand public. Celui qui affirme avoir été le génie derrière la création de Nidaa Tounes, le 28 octobre 2011, soit seulement 4 jours après l’élection de la constituante, s’acharne depuis à surfer sur le succès du parti sorti vainqueur des législatives et de la présidentielle de 2014, un succès dont le mérite revient essentiellement à son père, 1er président de la deuxième république tunisienne.

HCE profite pleinement de la sourde oreille de son papa, fin stratège soumis au devoir de réserve en sa qualité de président, et accélère les tentatives de mainmise sur le parti au pouvoir – ou, du moins, sur ce qui en reste.

«Caïd» de son royaume imaginaire

Ainsi, HCE s’autoproclamait, dès avril 2014, directeur chargé des structures régionales du parti. En mars 2016, il organise un conseil national du parti contre la volonté du comité constitutif, noyau dur de Nidaa tounes. En juillet 2016, décide de conduire les négociations sur la composition du gouvernement et participe à la désignation de Youssef Chahed, chef du gouvernement, à la tête du comité politique du parti, en septembre 2016. S’il s’est avéré par la suite que cette nomination n’est pas l’œuvre personnelle de Hafedh, il n’en demeure pas moins le principal responsable en sa qualité de chef autoproclamé d’un parti qui se vante de sa démocratie interne.

Nidaa-Ennahdha : un «couple» infernal hostile à Youssef Chahed.  

«Caïd» de son royaume imaginaire, HCE tente aujourd’hui de pousser ce même Chahed vers la porte de sortie, à un moment ou le chef du gouvernent a choisi de placer la lutte contre la corruption à la tête de ses priorités.

L’arrestation de Chafik Jarraya, affublé du sobriquet «Banana» du fait de ses activités d’importation des bananes développées avec les Trabelsi, la famille alliée à l’ancien président Ben Ali, aurait profondément vexé HCE, son alter ego depuis son coup d’Etat partisan. Certains avancent même que Chahed, en concertation avec le président de la république, aurait sagement attendu le voyage de Hafedh en Chine pour lancer, le 23 mai 2017, son opération coup de poing, qui se poursuit d’ailleurs depuis.

Hafedh au secours de Jarraya

Accompagné de Sofiene Toubal, président du bloc parlementaire Nidaa Tounes et porte-parole du parti, récemment convoqué à son tour pour s’expliquer de certaines de ses magouilles devant la justice, HCE aurait piqué une colère contre l’occupant du palais de la Kasbah, et tenté de déployer ses réseaux pour voler au secours du baron de la corruption et de la contrebande poursuivi par la justice militaire.

HCE ne semble pas conscient de son véritable poids politique, ni concerné par les conséquences potentiellement désastreuses de ses agissements.

Loyalisme aveugle envers l’un des barons de la corruption? Dévouement cupide à un malfaiteur qui aspirait à bousculer la sécurité d’une nation en convalescence? Simple caprice d’un fils à papa en pleine crise existentielle?Orgueil surdimensionné du caïd du coin qui se croirait dans un souk, un état de nature? Ou juste un effroi paranoïaque de se voir devancer par Chahed, aujourd’hui largement plébiscité par l’opinion publique?

Les raisons importent peu, HCE, fidèle à ses habitudes, a décidé de passer à l’offensive par la pire des manières, en empruntant le véhicule politique qu’est devenu le réseau Facebook. Oui, Facebook. Un statut Facebook mal rédigé, œuvre du pseudo chef d’un parti morcelé, aux fins d’émouvoir l’opinion publique et réclamer un changement gouvernemental en profondeur.

Hallucinant, certes. Mais, point surprenant. On s’attendait tout de même pas à mieux de la part de celui dont le CV en dit long sur ses limites intellectuelles, un CV que HCE exhibe pourtant fièrement depuis peu sur sa page Facebook, gérée par une boîte de communication qui s’efforce en vain de lui sauver la face.

Il serait donc plus raisonnable, et raisonné, d’aspirer juste à une certaine décence, à portée de tous, et d’exiger un minimum de respect à un peuple qui a son histoire et à un pays dont HCE ignore vraisemblablement le passé politique glorieux.

Sur-motivé, le chef autoproclamé de Nidaa Tounes ne semble pas accepter les limites que la nature lui a fixées, ni celles qu’aurait, ou du moins que devrait, lui poser son idole qui a du mal à lui servir de paternel en ces temps compliqués.

Sur-motivé d’autant plus que cette tentative de déstabilisation de Chahed et de son gouvernement a été adoptée depuis par des politicards qui partagent avec lui la même hantise. En effet, Issam Chebbi, secrétaire général d’Al-Jomhouri, dont l’omniprésence médiatique tâche tant bien que mal à masquer son faible poids électoral, a apporté son soutien à cet appel en précisant toutefois que Chahed devrait être maintenu à la Kasbah.

Contrairement au cadet des Chebbi, qui invoque le rendement insuffisant de certains ministères, HCE soutient que son parti, à l’origine de cette composition gouvernementale, n’y serait pas assez représenté. Ce constat – qui ne requiert nullement un QI de surdoué – s’avère être le seul point rationnel de la démarche entreprise. Mais, le génie politique de HCE se traduit ailleurs.

Hafedh s’entoure des propagandistes de Ben Ali, notamment Borhen Bsaies.

La cabale des médiocres

D’abord, il faut rappeler que c’est en août 2016 que ce gouvernement a été investi, à l’initiative de Nidaa Tounes, et avec l’approbation publique de son bloc parlementaire. Revenir subitement sur ce choix aujourd’hui, et sur l’alliance des frères ennemis Nidaa-Ennahdha des années après, traduit le sale jeu qu’envisage de mettre en place HCE.

Le passage d’Ennahdha devant Nidaa au parlement depuis la vague de départs qu’a connu ce dernier confirme davantage les intentions malsaines du fils de son père.

Nidaa n’a pas réussi à imposer ses fidèles quand il était à son apogée; aujourd’hui qu’il n’est plus le premier parti du pays, réclamer un renforcement de sa représentation au sein du gouvernement relève de l’absurde, et HCE le sait pertinemment.

Ensuite, et c’est là que l’on pousse la bêtise humaine à son paroxysme, HCE proposerait Borhen Bsaies à l’Education nationale et Samir Laabidi à la Jeunesse : deux figures emblématiques de l’ancienne dictature de Ben Ali.
Il choisit, donc, la médiocrité, à son image. Il choisit, puisqu’il est en mesure de le faire, mais il choisit certainement pour lui, pour son parti, et en aucun cas pour la Tunisie. Deux bonhommes au passé politique pourri, pour faire front à la plus courageuse des orientations politiques tunisiennes depuis la révolution, et ses objectifs que l’on croyait définitivement perdus de vue. Deux bonhommes que HCE devrait soigneusement garder aux Berges du Lac, au siège de son parti, pour l’aider dans ses basses manœuvres politicardes.

Pour résumer, il convient d’admettre que cette démarche haineuse ne vaut pas pipette, et ne revêt aucun caractère acceptable. Elle témoigne juste d’un laisser-aller frustrant et d’un amateurisme politique affligeant.

HCE joue la carte du renouveau, carte ultime dans le jeu politique, au mauvais moment, contre la mauvaise personne et par la plus médiocre des manières. Une énième bourde que l’on doit au fiston d’un président absent qui se trouve aujourd’hui, et avant que le drame ne produise ses potentiels malheurs et que le peuple ne siffle la fin de la récréation, dans l’obligation de mettre fin à la mascarade qui dure tout de même depuis longtemps.

Sifflez monsieur le président, sifflez au lieu et à la place du peuple parce qu’on croirait aujourd’hui que Hafedh n’est pas seulement votre progéniture, mais carrément votre caïd protégé au sort, une fois votre mandat accompli, sérieusement inquiétant.

* Elève-avocat. 

 

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