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Caïd Essebsi – Ghannouchi : Vers la confrontation ?

Jusqu’à quand le président de la république et le chef du gouvernement toléreront-ils les nuisances du leader islamiste Rached Ghannouchi?

Par Zakaria Bouker *

Quand un homme politique se fait inviter précipitamment, hors saison, sur un plateau de télévision, et pas n’importe lequel, à une heure d’écoute impossible, c’est qu’il y a un message urgent à transmettre. Si ce message n’est pas court, clair et direct, nous sommes en plein dans la manipulation des esprits. Celui transmis par Rached Ghannouchi, dans l’entretien qu’il a accordé, mardi dernier, 1er juillet 2017, à la chaîne Nessma TV, apparaît dans l’une des réponses prolongées, bien au-delà de la question posée : «La corruption est du seul ressort de la justice». Comprendre : il n’est pas question de laisser le chef de gouvernement mener sa croisade contre la corruption et la contrebande sans l’aval du leader islamiste, dont le parti, Ennahdha, conduit la coalition gouvernementale, sinon, Youssef Chahed peut dire adieu à sa carrière politique.

Souvenons-nous du discours du même Rached Ghannouchi, après la démission de l’ancien chef de gouvernement Mohamed Jebali, en mars 2013, après l’assassinat du dirigeant de gauche Chokri Belaid par des extrémistes religieux, quand l’ex-secrétaire général d’Ennahdha avait cherché à se défaire du poids de ce même Rached Ghannouchi… Ce discours démontre, s’il en est besoin, à quel point l’intransigeance du «Guide suprême» ne tolère aucune voix discordante, fut-elle au sein de son propre mouvement… Parce que si Youssef Chahed avait été l’élève obéissant, jamais Rached Ghannouchi ne lui aurait demandé de se saborder ou de se suicider politiquement en pleine montée en puissance de a popularité parmi les Tunisiens.

Le Rubicon est donc franchi… En fait, il l’a déjà été depuis quelques jours, lorsque la députée Leila Chettaoui (bloc Al-Horra) avait pour la première fois désigné, lors d’une plénière à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), un député du mouvement Ennahdha, en l’occurrence l’homme d’affaires Mohamed Frikha, dans une sulfureuse affaire de corruption impliquant Syphax Airlines, la «Syphax Gates». Mettant ainsi de facto le gouvernement Chahed devant le choix périlleux : se soumettre aux diktats d’Ennahdha, qui veut voir fermés tous les dossiers de corruption ouverts et libérées les personnes incarcérées dans le cadre de la guerre contre la corruption, ou bien se soumettre à sa conscience de l’intérêt supérieur de la Tunisie dont il est censé être le principal garant, avec le président de la république Béji Caïd Essebsi.

Tout le reste de l’entretien de Rached Ghannouchi a été du bavardage sans intérêt, ou presque.

La colère que le leader islamiste a piquée, quand il était question d’affronter ouvertement, vertement même, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), renoue avec l’esprit du mouvement Ennahdha qui s’était déjà manifesté par l’attaque perpétrée par ses milices contre le siège de la centrale syndicale, un certain 5 décembre 2012.

En appelant à contrer l’UGTT, Rached Ghannouchi cherche à la détourner, et la gauche en général, du soutien actif et médiatique à la guerre contre la corruption que le chef de gouvernement mène depuis le 23 mai dernier.

Depuis cet entretien, les choses se précipitent. Youssef Chahed, que Rached Ghannouchi avait sommé, dans ce même entretien, de ne pas se présenter à la présidentielle de 2019, a répondu avec tact et finesse : «Les maisons des gens brûlent, alors que certains parlent des prochaines élections», par allusion aux dizaines d’incendies auxquels les pompiers font face depuis le samedi 29 juillet dans les régions du nord-ouest. Traduire: «Je suis trop occupé pour vous répondre».

Entre-temps, Me Chawki Tabib, le président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption, que les groupes parlementaires Ennahdha et Nidaa, majoritaires à l’Assemblée, ont amputée de ses moyens, a déclaré que son instance désignera nominativement, dans un mois, dans un rapport public, les corrompus du système, y compris ceux du mouvement Ennahdha.

Enfin, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Chedly Ayari, a rendu son rapport sur les réseaux de trafic d’argent au président de la république Béji Caid Essebsi.

Ce dernier avait misé sur des promesses vertigineuses d’une assistance financière de 125 milliards de dinars, qui se sont évaporées, puis sur des investissements étrangers de 30 milliards de dinars, disparus à leur tour. Il se trouve, donc, aujourd’hui, face à une grave crise économique et sociale, qui plus est, dans un tête-à-tête harassant avec un chef politico-religieux à la tête d’un mouvement corrompu qui, non seulement lui attire la foudre de ses partenaires arabes, très montés contre Ennahdha, mais aussi et surtout, qui se prend déjà pour le calife et s’exprime comme s’il était le chef de l’Etat.

D’ailleurs, dit-on, le chef de l’Etat prépare un discours, qu’il prononcera à l’occasion de la journée nationale de femme, le 13 août, pour essayer de faire bouger les lignes et de changer la donne.

Wait and see…

* Ingénieur d’étude.

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