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Les pathologies de la démocratie tunisienne

Depuis la révolution de 2011, une nuée d’anomalies s’est abattue sur la Tunisie qui aurait dû en faire un cas d’école pour les chercheurs en sciences humaines du monde entier.

Par Amor Cherni *

C’est l’une des gloires de Freud que de nous avoir appris que pour connaître le normal, il faut s’adresser au pathologique. C’est l’étude des symptômes qui nous renseigne, en effet, sur la structure et le fonctionnement de la personnalité.

Ce théorème, largement démontré par la thérapie des névroses et des psychoses, vaut aussi bien pour les individus que pour les groupes. Car un groupe d’individus ayant la même culture, les mêmes coutumes et les mêmes traditions, liés par des relations économiques, sociales et politiques, sont comme un tout insécable, appelé nation et souvent assimilé à un être vivant.

Or, il n’est que très vrai que notre société tunisienne n’a pas arrêté, depuis la révolution de 2011, de nous appeler à nous pencher sur ses symptômes, qui ne sont que trop manifestes et trop nombreux pour être négligés.

Depuis la révolution, une nuée d’anomalies s’est abattue sur notre pays qui aurait dû en faire un cas d’école pour les chercheurs en sciences humaines du monde entier, qui y auraient trouvé une matière à la fois originale et paradigmatique, de ce que peuvent engendrer la «levée de la censure» et le «retour du refoulé» !

Les avatars de la révolution

N’a-t-on pas vu notre pays noyé sous des monceaux de détritus et de déchets durant des années, phénomène qui persiste encore, et qui pourrait facilement être référé, par un analyste, à une étape archaïque du développement du moi?

N’a-t-on pas vu notre pays, supposé être dirigé par un président dont les siens doutaient sérieusement de ses capacités mentales ?

N’a-t-on pas vu un «chauffeur de louage», Brahim Gassas, occuper l’honorable tribune de l’Assemblée nationale constituante (ANC) et devenir une «star» des médias?

N’a-t-on pas vu, en revanche, un grand lettré, parmi les meilleurs de nos intellectuels, feu Mohamed Talbi en l’occurrence, «traîné dans la boue» par des «voyous» déguisés en journalistes?

N’a-t-on pas vu un parti obscurantiste, Ennahdha pour ne pas le nommer, prétendre guider notre peuple vers «la lumière»…, celle des armes et des bombes?

Ne voit-on pas, aujourd’hui, un ancien «marchand de légumes», le prédicateur autoproclamé Adel Almi, s’ériger en censeur des mœurs?

Et dernièrement, nous avons vu un petit scribouillard, «de rien du tout», partir à l’attaque contre un grand militant et grand dirigeant, tel que Hamma al-Hammami, porte-parole du Front populaire. D’aucuns diraient : «la grenouille qui se mesure au bœuf !»

On pourrait continuer la liste et citer les phénomènes d’une pathologie économique, telle la corruption, la contrebande, le recours effréné à l’endettement, etc., ou sociale, telle la multiplication des suicides, des viols, de l’inceste, des vols, etc.

Un symptôme très significatif

Mais un symptôme particulier mérite qu’on s’y arrête en raison, à la fois, de son importance et de sa représentativité de l’état morbide de notre société : il s’agit de l’exacerbation qu’on voit apparaître de temps en temps chez certains à l’égard des forces d’émancipation de notre pays et qui ont effectivement été à l’origine de son émancipation : la gauche, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), les masses ouvrières et, parfois, l’université.

Freud a bien expliqué deux points importants qui s’appliquent adéquatement à notre société malade : d’une part, la fonction analgésique et consolante des symptômes par lesquels le patient finit, pour alléger ses souffrances, par s’accommoder de la maladie; d’autre part, la résistance qu’il oppose à la thérapie qui le libère de ses symptômes et de ses traumatismes inconscients.

Un passé lourd de traumatismes

A coup sûr, notre peuple a connu, à travers sa longue histoire, une infinité de traumatismes d’une gravité exceptionnelle. Ce sont ces traumatismes qui sont à l’origine des anomalies signalées plus haut, parce qu’ayant été refoulés pendant des décennies sous l’effet de la censure. Il a fini par s’en accommoder, et une bonne part de nos dictons, de nos proverbes, de nos attitudes, de nos traditions sont là pour le prouver.

Toutefois, contre cette culture de la servitude et de la soumission, des «forces conscientes», des «tendances du progrès» ou «progressistes» n’ont jamais cessé d’agir pour en «faire sauter les verrous» ! On peut symboliquement les représenter par des noms tels ceux d’Ali Ben Ghedhahom, Mohamed Daghbagi, Mhamed Ali El-Hammi, Belgacem Al-Gnaoui, Farhat Hached, Habib Achour, Chokri Belaïd, Mohamed Brahmi, Noureddine Ben Khedher, Ahmed Ben Othman, Gilbert Naccache, Hamma Hammami, etc.

C’est contre cette tendance que les forces réactionnaires se sont toujours dressées, dans le passé comme dans le présent. C’est ce que Freud appelle les mécanismes de résistance à la thérapie. Parce que ces forces réactionnaires représentent les forces de la servilité et de l’esclavage, qui se sont accommodées et qui ont cherché à accommoder notre peuple à la soumission, à la servitude et à la subordination; parce que ces individus se sont habitués à courber l’échine, ils ont peur de se briser les jambes si jamais ils osaient se redresser et marcher droits comme un homme libre.

A ces demis-hommes, à ces «esclaves qui conspirent avec leurs chaînes», à ces prisonniers de leurs fantasmes et de leur lâcheté, qui veulent maintenir notre peuple dans ses chaînes, rappelons ce mot d’ordre de la Révolution française et que Marx aimait à citer : «Les grands ne sont grands que parce que nous sommes à genoux / Levons-nous et nous serons aussi grands qu’eux!»

* Universitaire franco-tunisien.

 

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