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Lutte anti-corruption : Nidaa et Ennahdha en point de mire

Chawki Tabib et Youssef Chahed dans le collimateur de l’alliance diabolique Nidaa-Ennahdha. 

L’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUC) publiera en septembre prochain son rapport annuel. Des dents grincent à Nidaa et Ennahdha… 

Par Hassen Mzoughi

Selon des informations jugées fiables, ce rapport «explosif» affole les partis au pouvoir. Plusieurs ministres de la «Troïka», la coalition conduite par le parti islamiste Ennahdha qui a gouverné entre janvier 2012 et janvier 2014, comme de Nidaa Tounes, au pouvoir depuis janvier 2014, y seront nommément désignés, en lien avec des affaires de corruption et, dit-on, avec «des preuves».

Youssef Chahed – Chawki Tabib, même combat

Ce rapport a déjà déclenché la fronde de Nidaa et Ennahdha contre l’instance anti-corruption, que la loi fondamentale récemment votée par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a «délestée» de toutes ses compétences. En d’autres termes, on n’est jamais bien servi que par soi-même, sachant qu’Ennahdha et Nidaa dominent outrageusement le parlement.

Me Chawki Tabib s’est d’ailleurs élevé contre cette loi qui va dans le sens contraire de la mission de l’instance qu’il préside. Pourtant la lutte contre la corruption est l’une des exigences inscrites dans la constitution de janvier 2014 et que les deux grands partis de la majorité avaient présentée parmi leurs priorités lors des législatives de 2014.

«Cette volonté des députés de saborder l’instance est scandaleuse. Il semble que la majorité parlementaire ait décidé d’en finir avec une lutte contre la corruption qui est sur le point de mettre à jour plusieurs scandales touchant directement les partis au pouvoir», a affirmé Me Tabib.

A se demander s’il est utile de mettre en place une instance qui ne peut pas, de son propre chef, mener des enquêtes et mobiliser directement, au besoin, les unités sécuritaires.

Il est étonnant qu’une instance aussi importante pour la Tunisie, soit systématiquement rabaissée, que ce soit sur le plan budgétaire – 17 millions de dinars tunisiens (MDT) alloués à l’Instance Vérité et Dignité de Sihem Ben Sedrine, contre seulement 3 MDT à l’INLCC – ou au niveau normatif avec cette nouvelle loi qui la prive de ses pouvoirs d’investigation.

Nidaa et Ennahdha unis pour… le pire. 

L’offensive Nidaa-Ennahdha contre Chahed

Le rapport annoncé de l’Instance est derrière l’actuelle «offensive anti Youssef Chahed» Nidaa et Ennahdha que la campagne de lutte anti-corruption lancée par le gouvernement et de l’INLCC a déjà ébranlés. En effet, deux grosses têtes en liaison étroite avec ces deux partis sont, pour le moment, «visés par cette campagne. Et rien n’indique que la liste ne sera pas enrichie au cours des prochaines semaines.

Outre Chafik Jarraya, aujourd’hui en détention, un autre «homme d’affaires» est en ligne de mire, en l’occurrence le député d’Ennahdha, Mohamed Frikha, fondateur de Pdg de Syphax Airlines, que la députée Leila Chettaoui accuse nommément d’être non seulement directement impliqué dans l’envoi des jeunes tunisiens pour le jihad en Syrie et en Irak, en 2012 et 2013, mais surtout «d’avoir bénéficié des subventions de l’Etat alors que sa compagnie aérienne n’avait aucune activité depuis 2 ans», selon les propos de Mme Chettaoui, qui a été, rappelons-le, elle-même visée par une grosse cabale menée par le tandem diabolique Nidaa-Ennahdha.

«J’appelle le ministère public à mener une enquête sur cette affaire. D’autant que cette compagnie privée a été très mal gérée et ses dettes sont estimées à 200 MDT. En plus, cet homme a nui à l’image de la Tunisie à l’étranger», avait déclaré récemment Mme Chettaoui, qui se trouve actuellement à Damas. Elle fait partie d’une délégation parlementaire en visite la Syrie pour enquêter sur les filières d’envoi des jihadistes tunisiens dans ce pays, entre 2012 et 2014, lorsqu’Ennahdha conduisait le gouvernement.

Bien entendu, ces banderilles font mal.

Rached Ghannouchi : Le coup raté de la cravate!

Les messages de Ghannouchi aux alliés «opportunistes»

Les résultats attendus du rapport d’enquête de l’INLCC vont sans doute mettre les partis au pouvoir dans de graves embarras. Et si l’on pousse un peu plus la réflexion, on saisit la corrélation avec les propos de Rached Ghannouchi, dans son entretien à Nessma, mardi dernier, 1er août.

Le chef islamiste, qui était visiblement en colère, a en fait cherché, dans cette interview, en partie sans grand intérêt, à neutraliser Youssef Chahed, l’homme politique le plus populaire actuellement en Tunisie, en lui rappelant son statut de chef de gouvernement nommé par les deux grands partis de la majorité et donc tenu à ne pas se présenter à la présidentielle de 2019. L’objectif, on l’a compris, consiste à le sortir du «circuit» pour pouvoir y placer, grâce à un énième remaniement, un homme à même d’étouffer les terribles affaires qui attendent Nidaa et Ennahdha.

Le message à Chahed ne concerne donc pas uniquement l’élection présidentielle, rien ni personne n’empêchera ce dernier de briguer la magistrature suprême. Il vise essentiellement à fermer définitivement le dossier de la lutte contre la corruption. Il est aussi (et indirectement) adressé à Chawki Tabib.

Rached Ghannouchi s’adressait également à ses bases pour les rassurer quant à sa solide présence sur le terrain politique, et à ses alliés «opportunistes» pour leur dire qu’il reste aussi à leurs côtés. Les «menaces» à peine voilées du président d’Ennahdha à l’encontre du chef du gouvernement tendent à le dissuader de mettre «au pas» ses «alliés» dans la campagne de lutte contre la corruption.

Le sens du message de Ghannouchi dans un tel contexte va à l’opposé de la Constitution et du parlement (où Ennahdha est fortement représenté) qui a soutenu à une large majorité le programme du gouvernement, qui comprend parmi ses priorités, faut-il le rappeler, la lutte contre la corruption et la contrebande.

Le chef de gouvernement reçu par Mattis à Washington: Qui a peur de Youssef Chahed ?

L’unique rival des islamistes

Les propos de Ghannouchi traduisent aussi son embarras face à la popularité de Youssef Chahed.

Profitant des courants d’air qui agitent la coalition gouvernementale et du faible soutien des partis majoritaires à Youssef Chahed – son seul soutien indéfectible restant, du moins apparemment, le chef de l’Etat, Béji Caïd Essebsi – Ghannouchi semble donner, dans cette interview télévisée, le coup d’envoi du «compte à rebours» pour faire tomber le chef du gouvernement qui – ce n’est pas dit ouvertement – peut constituer un rival très sérieux tant pour le futur candidat islamiste que pour celui bénéficiant de son soutien.

Autre facteur qui peut expliquer cette attaque frontale de Ghannouchi contre Chahed : la dernière visite du chef du gouvernement aux Etats Unis a bouleversé la donne pour les islamistes. Cette visite a été un franc succès aussi bien diplomatique que politique.

C’est sur ce second volet que Chahed a marqué des points auprès de l’administration américaine, en se présentant comme un interlocuteur crédible des hauts responsables américains qui l’ont tous rencontré pendant de longues séances d’entretien.

Ce qui ressort des contacts avec les hauts responsables américains c’est que l’administration Trump a été séduite par le personnage. Il se pourrait bien qu’il soit le leader tant attendu par aussi bien les Américains que les partenaires européens.

Un autre impact positif de cette visite : la Chambre des représentants aurait décidé de maintenir l’aide pour la Tunisie et une résolution en ce sens sera bientôt adoptée par le Congrès. Preuve que Chahed a su gagner la confiance de l’administration américaine.

Au même moment, Ghannouchi paraît très fragilisé par la situation du Qatar mais aussi par celle de la Turquie, ses deux principaux soutiens étrangers. Il a subi aussi un échec total dans le dossier syrien. Même au sein du mouvement qu’il dirige depuis plus de 40 ans, Ghannouchi n’est plus le maître incontesté.

Les conflits au sein d’Ennahdha sont réels et provoquent souvent des clashs, surtout depuis le 10e congrès du parti, en mai 2016, qui a aiguisé les appétits des éventuels successeurs du guide suprême, notamment l’ancien ministre de la Santé Abdellatif Mekki. Ce dernier exprime l’impatience de la seconde génération tels Abdelhamid Jelassi, Abdelkarim Harouni, ou même Mohamed Ben Salem, qui ne font plus mystère de leur désir de voir Rached Ghannouchi lâcher du leste, loin de toute manipulation et de jeu d’influence, financier, familial, clanique ou autre.

Le «gourou de Monplaisir», qui, on le sait, tient tout le monde par la bourse, surtout ceux qui ont commencé à y goûter depuis l’accession de leur mouvement au pouvoir en 2012, a une peur bleue de sortir par la petite porte.

Aussi tente-t-il de regagner du terrain et de laisser penser à une prise réelle sur la situation par des sorties médiatiques ou des gestes symboliques comme ce Doctorat Honoris Cosa qu’il s’est fait attribuer par une université malaisienne.

Le plan «Pre-Wars»

Un autre facteur fait peur aux islamistes : l’administration américaine révise sa théorie sur le rôle des islamistes dans «le printemps arabe».

Cette révision, en phase d’élaboration, vise à «en finir avec le printemps arabe», conçu par la précédente administration pour associer les islamistes au pouvoir, sinon le leur confier en totalité.

L’administration Trump juge que ce «bouleversement» introduit dans le monde arabe a coûté cher aux Etats en moyens financiers et économiques. Plus, les stratèges américains ont abouti à cette conclusion, «fatale pour les islamistes» : le «printemps arabe» a par-dessus tout nui à la sécurité des Etats Unis, autant qu’Al-Qaida, sinon plus, en facilitant l’essor des organisations terroristes comme Daech. Les attaques des ambassades américaines (en Libye et en Tunisie), en septembre 2012, ont été un vrai traumatisme pour les responsables américains.

Ce plan appelé «Pre-Wars» (anticipation des conflits) entend non seulement rompre une fois pour toute avec le projet du «Grand Moyen Orient» mais surtout vise des «pays modèles» comme la Tunisie en Afrique du Nord pour servir de «plateformes d’anticipation» dans la lutte globale contre le terrorisme. Ces pays seront assistés par tous les moyens nécessaires.

Faut-il penser que les Américains iront jusqu’à revoir leur approche des mouvements islamistes pour y voir une source de déstabilisation du monde?

Rien que cette perspective fait peur à ces mouvements, y compris, bien sûr, Ennahdha, qui a cru, un moment, avoir trompé tout le monde sur sa nature extrémiste.

 

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