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Cardiologie : Un guide des bonnes pratiques, pour quoi faire?

Les bonnes pratiques doivent commencer par l’assainissement des rapports au sein même de la Société de Cardiologie, et de la corporation médicale en général.

Par Dr Mounir Hanablia *

Un guide des bonnes pratiques de la cardiologie? Récemment la Société tunisienne de cardiologie et de chirurgie cardiovasculaire (STVCCV) a annoncé, après une réunion conjointe avec des représentants de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), des syndicats de médecins, d’autorités académiques, et du ministère de la Santé publique, la finalisation de ce projet, dont la réalisation avait filtré depuis juillet 2016, sous l’ancien bureau de la société présidée par le Dr Sami Mourali.

La Société de Cardiologie en conclave fermé

Que ce guide-line engageant auprès des autorités et des bailleurs de fonds, l’ensemble de la profession des cardiologues, ait été réalisé dans le plus grand secret, sans prendre l’avis du plus grand nombre, serait certes un euphémisme; aujourd’hui, mis à part ses initiateurs, on ignore toujours tout de ce fameux guide, et sans doute à l’instigation de l’actuel président de la société, le Dr Faouzi Addad, il a été annoncé que sa teneur serait communiquée à la profession «ultérieurement». Autrement dit, et telles que les choses se présentent, le Dr Addad serait prêt à en discuter après l’institutionnalisation du document, c’est-à-dire quand il n’y aura plus aucune utilité à le faire. Mais ce n’est là que l’un des aspects de la question, et nul ne peut mettre en cause le choix de ses interlocuteurs par l’autorité publique, ni les organisations auxquelles elle puisse s’adresser pour demander conseil.

Et c’est un fait, la Société de Cardiologie constitue la structure savante de la profession dont les liens avec le milieu académique sont les plus étroits et les plus affirmés, et il est tout à fait normal que sur des questions se rapportant à l’expertise professionnelle, elle soit consultée par qui de droit, pour émettre un avis; dont l’autorité se réserve le droit de juger ou non du bien fondé.

Cela confère-t-il à la société savante le droit de se réunir en conclave fermé pour émettre des engageant l’ensemble d’une profession?

S’il s’agit d’expertises, on peut sur le plan des principes, l’admettre, quoique rien n’eût interdit non plus à ladite société de solliciter les avis de ceux qu’elle eût jugés elle-même les plus aptes à l’éclairer. Et apparemment, elle l’a fait en sollicitant ceux des anciens présidents.

Le problème, c’est que la société, ayant également été élue par l’ensemble des cardiologues, ses représentants eussent dû se sentir tenus de communiquer, ne serait-ce que sommairement, la teneur de ses travaux à l’ensemble des collègues, sinon même de les consulter, et dieu sait combien avec les réseaux sociaux la chose devienne désormais aisé.

D’autant que le titre du guide-line se rapportant à des bonnes pratiques, et étant donc fortement teinté d’une connotation morale, il soit fort difficile de faire admettre que son élaboration eût dû faire appel à des avis d’experts.

Un goût clairement affiché pour le secret

Evidemment, du fait du goût clairement prononcé pour le secret affiché par deux bureaux successifs de notre société d’experts, on n’en est encore qu’aux supputations, mais il est difficile d’admettre que la révision du prix de l’angioplastie coronaire ou des stents, ou encore celle de décréter les «bons» stents, fasse partie de ses prérogatives; c’est plutôt une affaire de syndicats, d’organisations patronales, de pouvoirs publics, et de négociations.

Exemple fameux qui passera sans doute à la postérité, on a vu lors de la révision des prix des actes de cardiologie interventionnelle en 2003, comment un éminent «expert», spécialiste de la dilatation mitrale, avait revu à la hausse l’enveloppe concédée à sa technique, et à la baisse celle des autres techniques.

Cela remet donc en question, parfois fort opportunément, l’objectivité des experts, en particulier lorsqu’à la clé se dressent des enjeux économiques insurmontables.

Toute la question est donc de savoir si la Société de Cardiologie a ou non émis des avis sur des questions ayant des répercussions financières et matérielles sur la profession; auquel cas, elle aurait outrepassé la mission qui soit normalement dévolue à une société savante.

On l’ignore encore mais la composition des personnes morales ayant assisté à la réunion, telle que rapportée sur la page de la société, tendrait à le prouver, et si c’est le cas, cela constituerait, de la part de son bureau, une faute et une violation de ses statuts.

Mis à part cela, l’autre question qui se pose est la raison pour laquelle une expression éminemment manichéenne, celle de «bonnes pratiques», eût été utilisée.

Il est certain que depuis l’irruption cataclysmique de l’affaire des stents pourris sur la scène médiatique, et aussi malheureusement de ses conséquences judiciaires, toujours en cours, la cardiologie ait beaucoup à se faire pardonner.

Tout le monde se souvient de l’avis plus que contestable, publiquement exprimé face aux médias, de l’expert en cardiologie et en communication, le Professeur Abdallah Mahdhaoui, aujourd’hui membre du bureau de la Société de Cardiologie, pour qui aucune étude n’avait démontré une quelconque nocivité du stent périmé par rapport au stent neuf.

Mais comment se fait-il que d’aucuns trônant aujourd’hui dans le bureau de la société savante, qui font eux aussi l’objet d’une enquête judiciaire consécutive à la plainte de la Cnam pour la même affaire, siègent avec les représentants de l’organisation plaignante, pour l’élaboration de ce même guide-line? Est-ce là l’un des exemples des bonnes pratiques que la société prétende instaurer au sein de la cardiologie?

La légitimité passe par une bonne communication avec les concernés

En considérant les choses sous cet angle, l’usage d’une telle expression moralisatrice dans le titre du guide-line viserait d’abord à dédouaner les membres de la société savante, promoteurs du projet, de toute accusation de malhonnêteté, et accessoirement, de la rejeter sur tous ceux qui auraient de bonnes raisons de s’y opposer, et dieu sait si des raisons valables, il y en aurait.

L’une en serait la démission du bureau des deux membres élus, Youssef Ben Ameur et Tarek Sraieb, qui, mis systématiquement en minorité par les autres membres du bureau, en ont conclu que la poursuite de leur mandat devenait inutile. Un bureau qui n’en estime pas moins normal de continuer sa mission dans ces conditions qui ne le sont pas du tout.

En conclusion, dans l’ignorance où une profession est volontairement maintenue concernant des décisions qui l’engagent, les critiques ne peuvent porter que sur la forme.

Il est indéniable que si le Dr Faouzi Addad, s’était rendu aux nécessités de maintenir les voies de la communication largement ouvertes avec ses collègues et électeurs, relativement à des sujets intéressant l’ensemble de la profession, sa légitimité ou sa bonne foi, ainsi que celles du bureau qu’il préside, ne seraient pas aujourd’hui remis en question.

Les bonnes pratiques doivent commencer par l’assainissement des rapports entretenus au sein même de la Société de Cardiologie, et de la corporation médicale.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa. 

 

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