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Il y a 28 ans naissait l’ATFD : ‘‘Ce soir, je vous remercie de vous’’

L’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), légalisée le 6 août 1989, a soufflé, le 6 août dernier, sa 28e bougie.
Par Noura Borsali *

Noura Borsali, une de ses fondatrices évoque les années qui préparèrent la naissance de la première association de femmes indépendante de l’après indépendance. Elle rend également un hommage bien particulier à ses cofondatrices de ce projet rêvé et devenu réalité grâce à leur détermination et leur militantisme.

Cet hommage n’épargnera pas les failles d’une association en construction tout en mettant en valeur son engagement pour la cause des Tunisiennes.

* * *

L’ATFD, en ce temps-là, n’était qu’un petit groupe de femmes déterminées et ayant foi dans le féminisme que nous voulions alors autonome. Oui, nous étions quelques dizaines de femmes sans gros moyens, sans local et sans secrétariat. Nous nous réunissions dans nos maisons d’une façon conviviale et amicale… Nos discussions tournaient autour de sujets divers comme les droits des femmes, la question démocratique, le féminisme…

Qu’elles étaient longues nos discussions traversées par une pluralité et une diversité d’idées !

Nous réussissions, en dépit de quelques tensions, à dépasser nos divergences. Il en sortait des déclarations, des mouvements de rue, une présence remarquée dans le mouvement démocratique où nous avions réussi à nous imposer… en dépit d’un contexte politique qui cherchait, de façon autoritaire, à museler les voix libres. Nous réussissions à braver les interdits en publiant nos positions et en nous réappropriant la rue, sans craindre qu’un coup de matraque nous tombât sur la tête.

Je vous parle d’un temps
Que les moins de vingt ans
Ne peuvent pas connaître
(Chanson de Charles Aznavour, ‘‘La Bohême’’).

Nous étions à l’époque, et avant le 6 août 1989, celles qu’on nommait «les femmes démocrates»… C’est ainsi qu’on nous appelait dans les milieux de l’opposition démocratique et dans les médias libres. Fières de l’être, nous considérions, avec une ferme conviction, que la démocratie et l’émergence d’un mouvement féministe autonome étaient nécessaires à la réalisation de toute égalité que nous voulions «réelle et effective». Que de discussions nous eûmes ! Que de complicité nous réunissait ! Que de rires dominaient nos soirées qui continuaient nos rencontres !

Loin de moi l’intention d’idéaliser cette époque qui connut aussi des tensions, des malaises et des ruptures dus à une diversité que nous avions du mal à gérer… Nos comportements étaient maladroits parfois et souvent, diraient certaines d’entre nous. Certes. Mais, ce fut, pour nous, l’un de nos premiers apprentissages de l’exercice des règles démocratiques, de l’écoute de l’autre, de la gestion des différences… Une expérience épineuse face à un autoritarisme ambiant qui nous a marquées et dont, mentalement, nous avions des difficultés à nous défaire… Mais nos convictions furent, au fond, notre seule force… Et en dépit de tout, une belle complicité, une superbe amitié et une solidarité indéfectible nous avaient unies et empêchées de renoncer à inventer ensemble ce projet d’ATFD et, au fond, de réinventer également le monde. Que de rêves nous ont bercées à ce propos !

Quand on n’a que l’amour
Pour vivre nos promesses
Sans nulle autre richesse
Que d’y croire toujours
(Jacques Brel, ‘‘Quand on n’a que l’amour’’).

J’avoue que ce que j’aimais le plus, c’étaient nos 8 mars, journée mondiale de la femme, que nous fêtions, en bravant les interdits du régime bourguibien, sur l’avenue Habib Bourguiba, avec nos mimosas que nous dérobions dans nos espaces verts où ils fleurissaient en ces mois de mars. Nous marchions en dépit de l’illégalité de nos pas, heureuses de sentir que nous faisions partie du monde entier et que, au-delà des frontières artificielles qu’on nous imposait, notre cause était celle de toutes les femmes du monde. Nous n’étions qu’une centaine de femmes.

J’aimais surtout ces mimosas, ces belles fleurs jaunes, que nous tenions dans nos mains et brandissions vers le ciel…

Devenues le symbole de la Fête de la femme, dès 1946, en Italie grâce à l’Union des femmes italiennes (UDI), ces fleurs exprimaient, par leur couleur jaune, la vitalité et la joie.

Ce fut un cadeau symbolique que nos hommes nous offraient à cette occasion, mais que nous nous offrions également entre nous. La tradition voulait que, comme en Italie et dans d’autres pays du monde, nous passions ensemble la soirée du 8 Mars qui nous était dédiée, en prenant d’assaut nos restaurants les plus cotés de Tunis. C’étaient des moments de complicité et de joie inoubliables.

Et ce n’est qu’au matin
Qu’on s’asseyait enfin
Devant un café crème
Épuisés mais ravis
Fallait-il que l’on aime la vie
La bohême, la bohême
Ça voulait dire
On a vingt ans
Et nous vivions de l’air du temps
(Charles Aznavour, ‘‘La Bohême’’).

J’avoue que depuis cette époque, je ne connus plus un 8 Mars aussi chargé de sens et d’amour tant il est vrai que…

Notre jeunesse était l’histoire de ce monde
(Jean Ferrat).

Le passage du groupe à la légalité fut, sans conteste, un moment historique pour le mouvement de femmes dans notre pays.

L’ATFD fut la première association de femmes réellement indépendante non seulement du pouvoir politique en place mais également de tous les partis politiques existants à cette époque.

Toutefois, et comme toute institution, l’ATFD connut de nouvelles méthodes de travail, un nouveau mode de fonctionnement et de gestion, des projets financés par ses partenaires. Ce changement ne fut pas toujours heureux même si des réalisations ont été faites. L’association connut aussi des désertions, des ruptures, des replis sur soi du fait de pratiques qui nous éloignaient de nos principes.

Au vu des tensions existantes, certaines d’entre nous avaient préféré s’envoler vers d’autres cieux, emportant, avec elles, leurs profondes blessures et y laissant, parfois, leur santé. Peut-être que l’erreur se situait au niveau de cette vision du groupe qui se caractérisait par son unanimisme et son égalitarisme excessifs, niant, par là même, l’originalité et la liberté de l’individu et donc de chacune d’entre nous. C’est ainsi que le rêve s’évapora, pour quelques-unes d’entre nous, et que la réalité devint oppressante parce que conflictuelle et complexe.

C’est là que j’ai compris, tout à coup,
J’avais fini mon voyage
(Barbara, ‘‘Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous’’).

Mais…
Quand au hasard des jours
Je m’en vais faire un tour
A l’ancienne adresse
Je ne reconnais plus
Ni les murs ni les rues
Qui ont vu ma jeunesse
Certes…
On était jeunes
On était fous
Mais aujourd’hui, pour moi,
Ça ne veut plus rien dire du tout.
(Charles Aznavour, ‘‘La Bohême’’).

Qui ou quoi incriminer? Serait-ce notre manque d’expérience? Ou la nature même du féminisme? Les mouvements féministes, de par le monde, ont été, pour la plupart, des mouvements discontinus qui connurent, autant de conquêtes que de désenchantements dans lesquels nombreuses sont celles qui y laissèrent leurs plumes…

Mais quand j’entends parler de «bilan» positif
Je ne peux m’empêcher de penser à quel prix
(Jean Ferrat, ‘‘Le Bilan’’).

A un moment ou à un autre de sa vie de militante, il arrive que certaines d’entre nous prennent leur envol vers d’autres horizons. Toutefois…

J’ai le cœur qui me tremble
De penser à ces jours…
Car je demeure convaincue qu’au-delà de toutes sortes de distances qui nous séparent :
Nous vieillirons ensemble
Tout au long des années… 

Avec pour seuls souvenirs, ces moments glorieux que nous avions vécus ensemble et ces conquêtes obtenues après d’âpres combats et dédiées à toutes les Tunisiennes car…

Nous aurons aimé ensemble la marguerite et l’ortie
Le visage des amis
L’hirondelle qui rapporte la saison nouvelle au nid
Et tous nos étés enfouis
Nous aurons vécus ensemble comme cigale et fourmis
Toutes nos économies
Nos discordes bien défuntes
Nos accordailles jolies
Depuis le seuil de nos vies
Nous vieillirons ensemble
(André Bourvil, ‘‘Nous vieillirons ensemble’’).

Au fond, ce n’est jamais un adieu, mais un simple au revoir…

Au nom de l’idéal qui nous faisait combattre
Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd’hui
C’est un autre avenir qu’il faut qu’on réinvente
Sans idole ou modèle pas à pas humblement
Sans vérité tracée sans lendemains qui chantent
Un bonheur inventé définitivement
Un avenir naissant d’un peu moins de souffrance
Avec nos yeux ouverts en grands sur le réel
Un avenir conduit par notre vigilance
Envers tous les pouvoirs de la terre et du ciel
Au nom de l’idéal qui nous faisait combattre
Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd’hui
(Jean Ferrat, ‘‘Le Bilan’’).

En ce jour d’anniversaire, Et en ce jour du 6 août 2017 :

C’est là que j’ai compris, tout à coup,
(…) que
Vous étiez venus au rendez-vous.
[…]
Qu´importe ce qu’on peut en dire,
Je suis venue pour vous dire…
(…)
Ce soir je vous remercie de vous.
(Barbara, ‘‘Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous’’).

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