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Cardiologie: Contre la théorie du député Ben Fredj

La cardiologie est d’abord l’affaire des cardiologues; sans doute, sauf que ses effets intéressent tout le monde.

Par Dr Mounir Hanablia *

L’affaire du Guide des bonnes pratiques en Cardiologie a connu de nouveaux développements avec la dénonciation par le député et cardiologue, le Dr Sahbi Ben Fredj, des atermoiements du ministère de la Santé publique, qui après en avoir accepté le principe, a finalement refusé d’adopter le document élaboré par la Société de Cardiologie.

C’est donc seulement aujourd’hui que le secret a été levé sur la teneur du projet, dont l’un des objectifs était d’établir une liste limitative des stents scientifiquement validés par les experts, et commercialisables dans notre pays.

Evidemment la page Facebook du Dr Ben Fredj a été le théâtre d’un âpre débat entre lui-même et quelques uns des cardiologues opposés pour différentes raisons à l’élaboration de cette liste.

Haro sur les stents dits bas de gamme !

Le Dr Ben Fredj considère que les stents d’origine non-européenne, ni japonaise ou américaine, devraient être interdits, ou à tout le moins vendus à un prix nettement inférieur au prix actuel pratiqué en Tunisie, en tant que génériques. La raison ? Selon lui, ces stents là seraient d’une qualité moindre comparativement aux européens et américains, et ils seraient achetés à des prix nettement inférieurs, ce qui permettrait aux fournisseurs de réaliser de fabuleux profits, et d’instaurer vis-à-vis des autres produits une concurrence déloyale. Il en découlerait ainsi un risque de voir le marché être submergé par des produits médiocres, de surcroît payés au prix des produits de bonne qualité.

Le Dr Ben Fredj a clairement mis le refus définitif du ministère de la Santé publique de souscrire à ce code de bonnes pratiques sur le compte des pressions exercées par un lobby médico-commercial, et a indiqué que le dossier de l’affaire serait communiqué à l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLCC), présidée par Maître Chawki Tabib.

Autrement dit, si on s’en réfère à tout ce qui a été dit, le Dr Ben Fredj soulève le problème du rapport qualité prix des stents et estime que l’assainissement du secteur de la cardiologie (bonnes pratiques) passe par une diminution de la marge bénéficiaire des fournisseurs , à tout le moins des stents dits bas de gamme. Il faudrait pourtant commencer par le commencement, en plaçant les choses dans leur contexte.

D’abord en Tunisie, il n’y a pas de stents chinois, même s’il y a eu un stent hindi, d’ailleurs excellent, qui a été semble-t-il retiré du marché victime des préjugés des cardiologues tunisiens dont l’esprit d’innovation n’a jamais été la qualité dominante. Cela rend déjà la menace, brandie par le député, de voir le marché envahi par les produits marocains ou libanais, assez peu vraisemblable, et devrait résoudre la question de la qualité des produits.

La deuxième question, qui intéresse plus que tout les pouvoirs publics, d’abord soucieux de réaliser des économies, est évidemment celle des prix. Mais là, selon le Dr Ben Fredj, la Société de Cardiologie aurait préconisé d’instaurer la liste limitative des produits uniquement validés par la FDA américaine et la Haute autorité de santé française. Or ces produits là sont justement les plus chers et il est tout à fait douteux que leurs fabricants consentent à des baisses significatives sur leurs prix de vente, pour notre pays, jugé être un petit marché, alors qu’en Europe le prix d’un stent décroit habituellement de plus de 50% en 5 ans, du fait de la concurrence, et surtout de l’apparition de nouveaux produits.

Laisser jouer la règle de la concurrence

On peut déjà imaginer à ce niveau une mésentente fondamentale entre l’autorité de tutelle, à la recherche de produits moins chers, et la Société de Cardiologie, attachée aux produits selon elle les plus fiables. Et là, la solution préconisée par le Dr Ben Fredj, celle de définir tous les stents non compris dans la liste officielle, comme étant génériques, ne paraît pas conforme au libéralisme économique, qui accorde au commerçant la liberté de fixer lui-même ses prix, ni aux règles définies par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), auxquelles la Tunisie a souscrit.

En fait, le concept de produit générique ne s’applique en réalité qu’aux médicaments, et nullement aux prothèses, dont font partie les stents, et l’instauration d’une distinction forcément arbitraire entre des produits de même catégorie ne pourrait entraîner de la part des fabricants que des recours auprès du Tribunal international du commerce qui pourraient finalement nous coûter très cher.

Evidemment on pourra toujours quelque part arguer du fait que dans un pays comme l’Inde, et face à l’explosion de la demande, le Premier ministre ait pris la décision de diminuer les prix des stents de 80% sans que sa décision ne suscite de la part des fabricants aucune récrimination. Mais peut-on comparer un marché de 1 milliard et demi d’habitants, à un autre de 11 millions?

Abstraction faite de tout conspirationnisme invoquant l’action de lobbys tout-puissants, toujours possible mais rarement démontrable, la décision des autorités tunisiennes de ne pas s’engager dans la voie préconisée par les leaders visionnaires de la Société de Cardiologie est justifiable. D’une part, elle évite de se mettre en porte-à-faux par rapport aux lois régissant le commerce international, et d’autre part elle laisse jouer les règles de la concurrence qui obligeraient les meilleurs produits, disons ceux qui sont mondialement reconnus, à aligner leurs prix sur les moins chers, ce dont tireraient bénéfice autant les malades, que les caisses sociales, toujours à la recherche d’économies substantielles sur les dépenses.

En fin de compte, la frustration des collègues de la Société de Cardiologie, dont les cœurs si je puis dire penchaient pour certains stents au détriment d’autres, a sans doute ce qui la justifie, en particulier le sentiment que la cardiologie soit d’abord l’affaire des cardiologues; sans doute, sauf que ses effets intéressent tout le monde.

D’aucuns diraient même que la cardiologie est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux seuls cardiologues.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

 

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