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Quand Ennahdha tire profit de ses erreurs

La gestion calamiteuse de l’attaque de l’ambassade des Etats-Unis à Tunis aurait pu sonner le glas du mouvement islamiste Ennahdha. Mais il n’en fut rien…

Par Salah El-Gharbi

Face à Ahmed Mansour, le fameux «journaliste» d’Al-Jazira, l’ex-président par intérim nommé par la «Troïka», l’ancienne coalition gouvernementale conduite par le parti islamiste Ennahdha, n’a pas boudé son plaisir, se livrant avec jubilation à d’interminables «confidences» sur son tumultueux passage au palais de Carthage. Ses déclarations auraient pu passer inaperçues si notre «témoin de l’époque» (titre de l’émission), tout en relatant ses multiples exploits durant ses 3 ans de «présidence provisoire», n’avait évoqué un de ces tristes épisodes de cette période, à savoir l’attaque de l’ambassade américaine par des extrémistes religieux, le 14 septembre 2012.

Chronique d’une démission de l’Etat

Dans cette émission, l’ex-président par intérim a laissé libre cours à son imagination pour se donner le beau rôle, s’attaquant à l’ancien chef de gouvernement Hamadi Jebali, au ministre de la Défense Abdelkrim Zbidi, au chef d’état major interarmes le général Rachid Ammar, dénonçant la démission des responsables de la sécurité, tout en prenant soin, au passage, de ne pas accabler explicitement Ali Larayedh, à l’époque ministre de l’Intérieur.

Ce jour-là, Marzouki, un super-président, aurait épargné au pays la plus terrible des catastrophes. Sans sa sagesse et ses initiatives, on aurait vécu un drame semblable à celui de l’ambassadeur américain en Libye, assassiné deux jours plus tôt à Benghazi.

L’attaque de l’ambassade américaine à Tunis par des groupes islamistes aurait dû annoncer la fin d’Ennahdha.

Les déclarations de l’ex-président par intérim étaient trop polémiques sinon provocatrices pour ne pas provoquer les réactions courroucées des différents protagonistes qui étaient, à l’époque, au sommet de l’État. Et un tollé général dans l’opinion publique qui n’a pas apprécié (c’est un euphémisme) le déballage du linge sale de l’Etat tunisien, qui plus est, sur une chaîne de télévision étrangère.

Ainsi, les incohérences du récit de Marzouki étaient tellement patentes que Abdelkrim Zbidi, Rachid Ammar, et Touhami Abdouli, le secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères chargé de l’Europe, ont été acculés à quitter leur réserve habituelle, pour démentir formellement les allégations marzoukiennes et rétablir la réalité des faits tels qu’ils les ont vécus.

Dans l’ensemble, le récit de Marzouki n’a rien apporté réellement de nouveau. Ce jour-là, tout le monde était témoins du déroulement dramatique de l’attaque de l’ambassade, mais, jusqu’à aujourd’hui, personne parmi les responsables de l’époque n’est venu nous expliquer le pourquoi et le comment.

«90% de contre-vérités», déclarait Touhami Abdouli à propos des propos de son ex-président sur Al-Jazira. Les dix qui restent? Assurément, cela concerne la responsabilité dans ce triste événement du ministre de l’Intérieur et celle des chefs de la police, et ce, malgré les démentis des syndicats de police, venus nous expliquer, aujourd’hui, que la police n’avait pas failli, ce jour-là, à ses missions. Ce dont on est autorisé à sérieusement douter. L’explication de Ali Larayedh, devenue une boutade («On les attendait au devant, ils sont venus par l’arrière»), est loin de nous éclairer sur la vérité.

En focalisant son récit sur l’épisode de l’entrée des Marines américains, M. Marzouki n’a fait que noyer le poisson, en détournant l’attention de l’essentiel, à savoir qui a empêché la police d’accomplir son devoir, en amont et en aval… Quelle est la responsabilité des uns et des autres ? C’est la question qui taraude encore l’esprit des Tunisiens et non le nombre de Marines qui s’étaient introduits au pays. Ce jour-là, il y avait eu négligence. Qui en était responsable ?

Ce jour-là, vers six heures du soir, le vrai maître du pays, cheikh Rached Ghannouchi, interrogé sur l’attaque, déclara sur les ondes d’une radio privée qu’il comprenait la réaction de ces hommes en colère, qui ne faisaient que répondre à l’atrocité des atteintes à l’islam et des provocations contre les musulmans. Si ce n’est pas là un aveu de complicité avec les assaillants (une horde d’islamistes de tous bords, des partisans d’Ennahdha aux salafistes jihadistes d’Ansar Charia, très actifs à l’époque), cela lui ressemble beaucoup.

Suite aux déclarations de Marzouki, les réactions des leaders d’Ennahdha étaient d’ailleurs rares et plutôt timides. Ces derniers savent ce que leur infantilisme politique et leur manque d’expérience de la gestion de la chose publique leur ont coûté depuis.

Le parti islamiste a transformé ses adversaires d’hier (Nidaa Tounes) en serviles serviteurs d’aujourd’hui. 

Une trop courte sortie

Le souvenir de ce jour-là restera dans les annales du mouvement islamiste comme le témoignage des limites de ses dirigeants, souvent portés à mélanger politique et religion. Depuis, ces derniers ont perdu toute leur crédibilité au regard des Américains, qui, pourtant, les ont soutenus au départ et ont misé sur eux pour assurer une transition politique sans heurts et pour, croyaient-ils, isoler les islamistes radicaux.

L’ambiguïté de leur réaction à l’attaque de l’ambassade a été le point de départ d’une série de faux pas, de maladresses et de manœuvres politiques stériles (comme celle visant à doter le pays d’une constitution islamiste, conforme à la charia) qui allaient accélérer leur sortie du gouvernement…

Cette sortie, on le sait, a été momentanée, puisqu’ils sont revenus au gouvernement en janvier 2015, grâce à l’entregent de leurs pires adversaires devenus leurs meilleurs alliés : Béji Caïd Essebsi et Nidaa Tounes.

Il faut dire que les leçons de l’attaque de l’ambassade américaine ont été tirées par Nahdhaouis, qui ont gagné en maturité politique et évitent désormais les affrontements idéologiques et les démonstrations de force publiques. Ils sont, désormais, dans la séduction, les manœuvres subtiles, la simulation et la dissimulation, tendant la main à tous leurs adversaires et faisant leur nid partout où ils peuvent, en attendant des jours meilleurs.

Il faut dire aussi que la débandade de leurs adversaires de toujours, les forces progressistes et modernistes, leur a beaucoup facilité la tâche d’un retour rapide sur les devants de la scène politique tunisienne.

 

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